civil

Quand un homme s’est mis en alexandrins il a beaucoup de peine à rentrer dans le civil.

Henri Michaux, « Qui je fus », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 100.

David Farreny, 20 mars 2002
temps

Freins. De plus en plus de freins. Je mets du temps, beaucoup de temps dans ma stupeur pour remarquer ma stupeur.

Henri Michaux, « L’infini turbulent », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 925.

David Farreny, 26 juin 2004
secret

L’eau fuit avec des froissements de couleuvre, tinte, dans sa hâte, contre les pierres, écume légèrement contre sa rive, profère des paroles que j’ai failli comprendre, qu’il a tenu à un imperceptible défaut d’articulation de sa part ou d’attention de la mienne, que je n’entende. Une bouche humide a formé, à trois pas, les mots qui contenaient à n’en pas douter un grand secret. J’ai surpris la voix de la terre rêvant tout haut mais notre désaccord foncier, le mauvais vouloir, l’hostilité qu’elle nous a marqués, d’emblée, à nous qui pourtant étions ses enfants, n’a pas permis que j’en recueille le dire, que je sois introduit, trop passager, périssable, sans doute, à de profondes, d’éternelles vérités.

Pierre Bergounioux, Le chevron, Verdier, p. 14.

Élisabeth Mazeron, 3 mars 2008
branle

Il est toujours très difficile de se couper de tout. Ne fût-ce qu’un lundi matin, quand toutes et tous, après un café trop fort avalé debout, ayant passé sous le joug une tête bouffie, se sont rués sur manettes et boutons pour que reprenne sans faute le branle absurde.

Le monde non utilitaire en reste comme hébété. Secoué de vrombissements sourds, il fait de la présence ; il dérangerait presque, sa mauvaise conscience est certaine. J’ai pour ma part « en charge » quelques toits de bâtiments publics, un énorme tilleul, et une petite portion de la rive droite du canal du Berry.

Bien sûr ce n’est pas une profession, ni même une activité. Mais je les assure d’une bienveillance, d’une humaine connivence. Deux hectomètres plus loin, quelqu’un d’autre prend le relais. Sans doute une vieille sur une chaise dépaillée, ou bien quelque grand fils trentenaire qu’on dit déficient intellectuel léger.

Jean-Pierre Georges, « En charge », Trois peupliers d’Italie, Tarabuste, p. 20.

David Farreny, 31 mars 2008
mais

De l’utilisation du mais. Ennio Flaiano rencontre dans la rue, un jour de 1946, le peintre Mino Maccari, sombre et attristé, qui lui confie : Ho pocho idee, ma confuse — “j’ai peu d’idées, mais confuses”.

Gérard Pesson, « mardi 4 octobre 1994 », Cran d’arrêt du beau temps. Journal 1991-1998, Van Dieren, p. 158.

David Farreny, 27 mars 2010
disposé

Confiné dans cette pure attente d’un destin que je ferais mien, j’étais mieux que quiconque disposé à ressentir ce manque qui n’expliquait pas seulement ma faillite personnelle mais celle de toute l’expérience humaine vouée à l’échec ou à la catastrophe. Les autres hommes ne pouvaient l’éprouver si vivement, pris au piège d’une vie bornée, leurs espoirs se limitaient à la réalisation d’objectifs à court terme inscrits dans la logique des menus gestes près du corps dont ils faisaient naïvement dépendre leur bonheur.

Éric Chevillard, Dino Egger, Minuit, p. 122.

Cécile Carret, 18 fév. 2011
mesurer

Aujourd’hui, mon point de vue a changé pas seulement parce que j’ai connu ce plaisir et que je ne me sens pas prêt à y renoncer (cet aveu me coûte), mais parce que j’ai appris à mesurer le temps qui passe à l’aune de la vie sexuelle. Je me suis mis – depuis mon veuvage – à compter les jours et les nuits moins en terme de temps chronologique écoulé ou révolu, qu’en fonction des rencontres ou des satisfactions de cet ordre. Non, ce n’est pas cela, c’est même exactement le contraire : je compte le temps des jours comme perdu, irrémédiablement perdu, quand il s’est écoulé sans émotion sensuelle. Sans émotion, sans contact, pas sans satisfaction : dans les périodes où j’ai recherché des satisfactions solitaires, il m’a semblé que le temps écoulé en était d’autant plus perdu ou gâché. Comme si l’émotion de la rencontre – une partenaire qui la veut bien, qui l’a souhaitée, quelle qu’ait été la nature de la réalisation – changeait la nature du temps qui passe, maintenait le contact avec la vie, avec la réalité même.

Pierre Pachet, Sans amour, Denoël, p. 64.

Cécile Carret, 13 mars 2011
mouche

J’aime les animaux, y compris le crabe mou et le crapaud verruqueux modelé par un ivrogne dans son foie malade, de ses propres mains tremblantes, y compris la hyène qui veut me voir mort et le cobra qui lui prêterait volontiers ses lunettes pour cela, y compris le bousier, le requin et le perce-oreille, mais je hais les mouches, m’entendez-vous, les entendez-vous, c’est insupportable, on m’apprendrait la disparition soudaine et définitive des mouches, je serais aux anges.

Il faudrait alors apprendre à vivre dans un monde sans mouche, me dira-t-on.

Je ne me donne pas trois secondes pour m’accoutumer à cela très bien et comme si je n’avais jamais connu autre chose.

Ce serait pourtant la fin d’une époque, me dira-t-on.

Oui, eh bien, la Terreur aussi n’a duré qu’un temps.

Je pense pouvoir me passer d’elles pour lire, pour manger, pour dormir. Si les mouches disparaissaient, elles emporteraient le deuil avec elles. Quand une mouche meurt, c’est un point d’azur en plus dans le ciel, une touche de vert frais sur la prairie, une nouvelle couche de lait de chaux sur les murs et dehors un jardin.

Je hais les mouches, leur vol est une aberration, une dérision du vol – à quoi bon voler, d’ailleurs, quand on sait marcher au plafond ? –, c’est un vol lourd et vrombissant avec pourtant des trajectoires absurdes de ballon crevé.

Éric Chevillard, Le vaillant petit tailleur, Minuit, p. 35.

Cécile Carret, 25 avr. 2011
encore

Elle est si bien retombée en enfance, la pauvre vieille, qu’elle ne se souvient encore de rien.

Éric Chevillard, « samedi 7 janvier 2023 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 24 fév. 2024

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