discipline

La discipline, c’est d’aimer ce qu’on aime.

Georges Perros, Papiers collés (1), Gallimard, p. 65.

David Farreny, 20 mars 2002
fatigue

Cette fatigue est loin de m’être particulière. Et c’est elle qui vous ôte de plus en plus toute envie d’échanger des idées avec quiconque. J’ai presque renoncé à écouter le contenu des paroles et me borne à écouter la manière dont elles sont énoncées.

Witold Gombrowicz, Journal (1), Gallimard, p. 71.

David Farreny, 21 mars 2002
ravoir

Pourquoi on devrait être mieux en communiquant avec un autre qu’en étant seul, est étrange. C’est peut-être seulement une illusion : la plupart du temps, on est très bien seul. Il est agréable de temps en temps d’avoir une outre où se déverser et où boire soi-même : étant donné que nous demandons aux autres ce que nous avons déjà en nous. Pourquoi il ne nous suffit pas de regarder et de boire en nous-mêmes, et pourquoi il nous faut nous ravoir dans les autres ? Mystère.

Cesare Pavese, Le métier de vivre, Gallimard, p. 186.

David Farreny, 24 mai 2003
nécrobie

Latreille, le prince de l’entomologie, à qui sa passion sauva la vie. Prêtre réfractaire, il allait être jeté, avec d’autres, dans la cale d’un navire qui devait sombrer au large de la Gironde. Il occupait ses derniers instants à inventorier la faune du cachot. Un des geôliers, qui partageait cette curiosité, le met à part des condamnés. Un insecte — la nécrobie, « la vie dans la mort » — témoigne de cet événement.

Pierre Bergounioux, L’héritage. Pierre et Gabriel Bergounioux, rencontres, les Flohic, p. 33.

David Farreny, 6 août 2003
valeur

Le silence commence à muer.

Autour de moi quelque chose, d’extrême, de fin, de pas définissable, petit balayage en tous sens et qui se rapproche. Dans le voisinage une multitude avance.

En bruissements, comme il en émane d’une maisonnée, la chambre solitaire s’est changée.

Mots qui prennent une valeur extrême. Présentement, le mot « milliers ».

Henri Michaux, « Les grandes épreuves de l’esprit et les innombrables petites », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 355.

David Farreny, 8 déc. 2005
être

— Mais, Jane, il faudra supporter mes infirmités, voir sans cesse ce qui me manque.

— Tout cela n’est rien pour moi, monsieur. Je vous aime, et plus encore maintenant que je puis vous être utile qu’aux jours de votre orgueil, où vous ne vouliez que donner et protéger.

Charlotte Brontë, Jane Eyre ou les mémoires d’une institutrice, FeedBooks.

Cécile Carret, 11 nov. 2011
longue

La fille est longue, très blanche de peau, éclatante, une lumière mate la nimbe toute quand elle paraît dans l’amphithéâtre rutilant de boiseries sombres et de fresques languides ; longue de jambes et de cheveux ; Claire eût dit longue de crinière ; elle a pensé aux chevaux massifs, croupes rondes encolures de velours pattes solides, crinières pâles partagées répandues épaisses, aux chevaux lourds rassemblés là-bas à l’automne derrière les clôtures de barbelés sur les plateaux ; les vaches ont déserté, quitté l’estive et les chevaux restent seuls en troupes fluides pour faire face aux hivers, aux nuits qui ne finissent pas, au bleu inouï, aux neiges réitérées.

Marie-Hélène Lafon, Les pays, Buchet-Chastel, p. 51.

David Farreny, 30 août 2013
chevillard

CHEVILLARD : Boucher d’abattoir qui vend sa viande en gros ou demi-gros, prétend le dictionnaire, c’est mal me connaître : je vends très peu, toujours au détail. Vraiment, on se demande parfois quels historiographes incultes ou négligents se chargent de rédiger les notices consacrées aux grands hommes.

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 167.

Cécile Carret, 9 mars 2014
fourrure

En face, dans ce qui semble être une île inhabitée, une végétation rêche et hirsute, une broussaille courtaude de plantes rudérales vient battre la base remblayée des talus de ciment. Plutôt que de regarder ce fleuve — non, ce plan d’eau — mort et souillé, cette végétation de rebut qui sert de fourrure miteuse au béton (la société des plantes, grâce à l’homme, est maintenant dotée aussi de ses bidonvilles) rentrons à l’hôtel et couchons-nous. Et même pas de sommeil bien ivre sur la grève : le Rhône n’en a plus, tout comme il n’a plus d’autre mugissement que la double chaîne sans fin de véhicules de ses deux rives.

Julien Gracq, Lettrines (II), José Corti, pp. 16-17.

David Farreny, 18 oct. 2014
sel

Ce sont les théoriciens de la « valeur » et autre « fétichisme » de la marchandise qui ont fini par faire accroire aux esprits influençables la dimension mystique et aliénante de ce bien matériel — et, par là, renforcé le sentiment chrétien que, pour une âme, avoir revient à pécher contre son être. S’épuisant à fournir la preuve de l’inexistence de Dieu, le libre penseur prouve qu’il est tout sauf un esprit libre, de même, à vouloir déceler dans la marchandise je ne sais quelle trace de substance métaphysique diabolique, le libertaire s’en fait le théologien. Il ne comprend pas que le drame des humains d’aujourd’hui n’est pas de se sentir étrangers à eux-mêmes, perdus au milieu des marchandises, mais, au contraire, de ne pas pouvoir réellement s’oublier dans ces objets faits par eux et pour eux, à leur image et conformes à leurs désirs. Il ne comprend pas, surtout, que s’ils s’inventent des besoins c’est pour entretenir leur insatisfaction, le sel même de leur vie.

Frédéric Schiffter, « 36 », Contre Debord, Presses Universitaires de France.

David Farreny, 5 mai 2024

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer