ombre

La texture de l’Espace n’est pas celle du Temps et le type anormal bigarré à quatre dimensions qu’ont élevé les relativistes est un quadrupède dont on aurait remplacé une patte par l’ombre d’une patte.

Vladimir Nabokov, Ada ou l’ardeur, Fayard, p. 640.

David Farreny, 22 mars 2002
désapprit

Ils couchèrent en plein air, près des tertres de croix. Ils virent luire tristement dans la nuit les petites lampes des monuments funèbres. Ils mangèrent du pain aigre et des olives amollies. On ne sait pas s’ils volèrent. Ils furent magiciens ambulants, charlatans de campagne, et compagnons de soldats vagabonds. Pétrone désapprit entièrement l’art d’écrire, sitôt qu’il vécut de la vie qu’il avait imaginée. Ils eurent de jeunes amis traîtres, qu’ils aimèrent, et qui les quittèrent aux portes des municipes en leur prenant jusqu’à leur dernier as. Ils firent toutes les débauches avec des gladiateurs évadés. Ils furent barbiers et garçons d’étuves.

Marcel Schwob, « Pétrone, romancier », Vies imaginaires, Ombres, pp. 56-57.

David Farreny, 28 mars 2002
nu

Dans la cabine, étroite, je tournai autour d’une flaque pour me dévêtir, m’appuyant à l’occasion contre la cloison grumeleuse, humide, dont la couleur, un ocre aux résonances fécales, me fit convoquer mon enfance, qu’aussitôt je congédiai. Je me retrouvai en slip, un slip un peu étroit, jugeai-je, dont la coupe, trop osée à mon goût, eût sans doute mérité que la missent mieux en valeur des abdominaux tangibles, et d’une façon générale une alimentation plus saine. De mon haut, à coup sûr, bien que j’eusse vue sur mes pieds, je ne serais pas allé jusqu’à tendre un fil à plomb sans craindre qu’il ne m’effleurât, et cette légère imperfection, dans mon plan vertical, me fit sentir plus nu que je ne l’étais, sensation que j’avais perdu l’habitude, en raison de mon isolement, d’éprouver en public.

Christian Oster, Mon grand appartement, Minuit, p. 58.

Élisabeth Mazeron, 23 avr. 2002
las

Quand on se connaît bien, si on ne se méprise pas totalement, c’est parce qu’on est trop las pour se livrer à des sentiments extrêmes.

Emil Cioran, De l’inconvénient d’être né, Gallimard, p. 193.

David Farreny, 18 oct. 2006
voit

Si l’on suppose une affinité entre les lieux et les gens, il était prévisible que François Bon passerait un jour par Syam. C’est dans les pages qu’il a écrites à cette occasion que se dégage la vérité approchée, double, sentie et significative d’un travail qui demandait, pour être dit, établi dans sa totalité, un être divisé, touchant par une part de son expérience et de son ascendance au monde industriel et, par l’autre, à l’ordre des symboles. Lorsqu’on vient après lui, on voit le pas complexe que dessinent, sur le pavement de fonte, les chaussures mouillées des ouvriers, certain mouvement de tout le corps qui accompagne l’insertion du lopin entre les cylindres, les entretoises en bois, serrées par des tendeurs de bicyclette, sur l’arbre de transmission, la barre de métal — bête vaincue traînée à main d’homme sur le vieux sol — juste avant la passe de finition.

Pierre Bergounioux, Les forges de Syam, Verdier, p. 64.

Élisabeth Mazeron, 3 fév. 2008
milieu

Pas de milieu : ou on est seul, abandonné, ou on est aimé, c’est-à-dire traqué, isolé, enfermé.

Paul Morand, « 11 mars 1975 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 460.

David Farreny, 2 sept. 2010
cerveau

Heureusement voici Dino Egger avec son 109) échelle de corde ! Ah ! le pitre ! Merci la science ! Certes, il a le front proéminent, il y en a des cellules amalgamées sous son crâne bulbeux. Quel cerveau ! On en mangerait ! Des circonvolutions comme pour gravir l’Everest à bicyclette. C’est gris, c’est rose, ça bat, ça tremble, ça vibre, ça flageole, c’est incontestablement parcouru de pensées fulgurantes. Nous allons nous électrocuter si nous y touchons, prudence. Mais je n’y mettrai pas les doigts, aucun risque. Me dégoûte un peu, la grosse éponge à songes.

Éric Chevillard, Dino Egger, Minuit, p. 113.

Cécile Carret, 18 fév. 2011
criai

Je rouvris les yeux et me remis à faire les cent pas devant la grange, toujours plus vite, comme si je voulais prendre un élan. Je m’arrêtai. Je sentais ma poitrine devenue instrument, et je criai. Filip Kobal qu’on n’entendait jamais à cause de sa petite voix et que les surveillants du foyer religieux réprimandaient parce que sa prière « ne passait pas », Filip Kobal criait, à le faire désormais regarder avec d’autres yeux par tous ceux qui le connaissaient.

Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 170.

Cécile Carret, 21 sept. 2013

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