moitiés

Par toutes les fibres de son être, bouillant d’une ardeur prête à déborder, Van éprouvait, avec délices, la pression de ce jeune corps qui répondait à chaque cahot du chemin en s’entrouvrant en deux tendres moitiés et en écrasant de son poids le gonflement d’une envie que Van croyait devoir contenir, de crainte que le suintement accidentel d’une sève assouvie n’alertât l’innocence perplexe.

Vladimir Nabokov, Ada ou l’ardeur, Fayard, p. 116.

David Farreny, 22 mars 2002
comment

Je ne sais pas comment font les autres.

Jean-Pierre Georges, Le moi chronique, Les Carnets du Dessert de Lune, p. 47.

David Farreny, 19 nov. 2006
contredire

Un spectre hante la société actuelle : celui d’une critique à laquelle elle n’aurait pas pensé. Dans le but de se protéger de cette menace, elle ne cesse de sécréter ses propres contestataires et les pousse en avant : objecteurs de substitution, rebelles de remplacement, succédanés de perturbateurs, ersatz de subversifs, séditieux de synthèse, agitateurs honoraires, émeutiers postiches, vociférateurs de rechange, révoltés semi-officiels, provocateurs modérantistes, leveurs de tabou institutionnels, insurgés du juste milieu, fauteurs de troubles gouvernementaux, émancipateurs subventionnés, frondeurs bien tempérés, énergumènes ministériels. C’est avec ces supplétifs que l’époque qui commence a entrepris de mener la guerre contre la liberté.

D’une façon plus générale, la civilisation qui se développe sous nos yeux ne parvient à une parfaite maîtrise et un contrôle total qu’à condition d’inclure en elle l’ensemble de ce qui paraît la contredire. C’est elle, et elle seule désormais, qui encadre les levées de boucliers et les tollés de protestation. Elle s’est attribué le négatif, qu’elle fabrique en grande série, comme le reste, et dont elle sature le marché, mais c’est afin d’en interdire l’usage en dehors d’elle. L’ « anticonformisme », la « déviance », la « transgression », l’ « exil du dedans » et la « marginalité » ne sont plus depuis belle lurette que des produits domestiqués. Et les pires « mauvaises pensées » sont élevées comme du bétail dans la vaste zone de stabulation bétonnée de la Correction et du Consensus. Ainsi toute pensée véritable se retrouve-t-elle bannie par ses duplicatas.

Philippe Muray, Après l’histoire, Les Belles Lettres, pp. 13-14.

David Farreny, 19 janv. 2008
guetteur

Vagabond à ses heures sorti faire un tour, suivant l’humeur et la saison, en quête de champignons, de charbon ou de mazout pour le poêle, de paysages à prendre en photos ou à imprimer seulement dans sa mémoire, de quelque chose ou de quelqu’un d’autre enfin dont l’absence intenable pousse à aller au dehors à la rencontre de gens à tout hasard disponibles. Guetteur mélancolique des nuages qui vont étoffant le ciel au-dessus des collines et des monts, au large des fenêtres, en un lent mouvement de bateau sur son erre, distribuant au gré de leurs déchirements des éclairages prodigieux sur le relief environnant. Promeneur sans raison à la limite, démuni et livré à lui-même, touchant à une forme de désarroi et d’extase sans mesure, dans l’abandon qui est le sien.

Hubert Voignier, Le débat solitaire, Cheyne, p. 32.

Élisabeth Mazeron, 21 fév. 2008
traverses

Des bonnes heures, des joies, nulle trace, en revanche. Elles se sont évanouies avec l’instant qu’elles ont duré. La mémoire est celle des revers et des traverses, des plaies, des larmes, des épreuves où l’on a failli être détruit, se perdre sans retour. Si je dure encore, quel chaudron de sorcière finira par devenir ma cervelle, quelle peine j’aurai à subir le sabbat des démons qui m’escortent et auxquels vont se joindre ceux de demain !

Pierre Bergounioux, « mercredi 10 février 1988 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 669.

Élisabeth Mazeron, 1er janv. 2009
confond

Qu’est-il arrivé entre-temps ? Du temps. Je ne suis ni plus riche ni plus fameux, ni plus aimé, ni plus sage — tout juste un peu plus mélancolique, sans doute. J’ai oublié beaucoup de choses que je savais, j’en ai appris quelques autres, que je vais oublier pareillement.

Il faudrait voyager. Le voyage étire le temps. Il donne une couleur aux années. D’ici tout se confond.

Renaud Camus, « vendredi 1er mai 1998 », Hommage au carré. Journal 1998, Fayard, p. 192.

Élisabeth Mazeron, 6 avr. 2010
affluent

Vu passer, dans une travée, un chat qui tenait dans sa gueule un oiseau plumé, un pigeonneau, sans doute, dérobé à la boucherie. Nous sommes vraiment entrés dans l’affluent society.

Pierre Bergounioux, « mardi 25 mai 2004 », Carnet de notes (2001-2010), Verdier, p. 485.

David Farreny, 2 fév. 2012
réussi

Parfois aussi il se demande si

ce lui serait très dur de disparaître

sans qu’il ait pu, dans l’eau des choses, être

le long reflet d’un calme réussi.

Benjamin Fondane, « Au temps du poème », Le mal des fantômes, Verdier, p. 227.

David Farreny, 2 juil. 2013
anglais

S’exprimer en anglais tout le temps, c’était comme jouer tout le temps dans un film et prononcer des mots appris, qui avaient un sens léger, réduit, passager. […] Même les injures qu’elle lui lançait manquaient de réel et paraissaient trembler, ne jamais atteindre leur cible. Oui, voilà, parler anglais ne la touchait pas et elle ne touchait pas. Parler anglais ne lui promettait que des situations normées.

Alain Sevestre, Poupée, Gallimard, p. 136.

Cécile Carret, 19 mars 2014
horizon

Même si bien peu l’admettent, et si personne ne s’en satisfait, chacun pressent que le nihilisme est notre horizon indépassable. Les grandes fictions religieuses, métaphysiques ou politiques ne suscitent plus que railleries ou dédain. Parfois la jeunesse s’en empare, dans l’impatience d’être grisée par les concepts ou les slogans qui hypnotisèrent leurs aînés. Les vieux s’en accommodent d’autant plus volontiers qu’ils ne disposent pas de rhétorique de rechange. Mais, à l’exception des quelques épileptiques de service, nous nous accordons à penser, avec Ludwig Wittgenstein, qu’au moment où notre bêche heurte le roc de l’injustifiable, il est inutile de chercher à creuser davantage.

Roland Jaccard, « Les adultères de la raison », La tentation nihiliste, P.U.F., pp. 4-5.

David Farreny, 9 déc. 2014
viable

Je crois que j’approche du plus aigu, en ce qui concerne le noyau vibrant, le cœur du sujet du roman. Dieu existe encore aujourd’hui, c’est l’enfant. Le péché existe encore, c’est ce qui concerne toutes les occasions de se sentir coupable envers un enfant. L’athéisme est viable, mais extrêmement difficile : moi.

Philippe Muray, « 12 avril 1985 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, p. 547.

David Farreny, 3 juin 2015
autre

Une autre solitude serait-elle possible ?

Éric Chevillard, « mercredi 8 juillet 2020 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 17 mars 2024

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