reposer

Il faut choisir : se reposer ou être libre.

Thucydide.

David Farreny, 23 mars 2002
néant

Le sortilège qui rend peureuse la lampe, sournois les chaises et le lait, hostiles les tentures, on en subit encore l’emprise après avoir quitté la maison. La rue est différente, les façades, entre lesquelles les phares de la voiture tâtonnent, aussi feintes que les panneaux de toile peinte qui cherchent à nous faire croire, au théâtre, que la scène se passe en ville, la nuit alors que c’est l’inverse. Les murs fantomatiques, les fleurs noires des jardins, les statues de bronze, les allées désertes exhibent, sans fard, leur véritable visage, proclament, sans phrases, qu’ils sont autres, insoucieux de nos agissements, sourds à nos répliques, tels que nous les verrions après avoir joué notre partie, avec nos âmes absentées, nos yeux vides. C’est à huit ans, avant l’aurore, que j’ai découvert le néant qui marche sans bruit sur nos pas, enlève nos traces, et je ne l’ai jamais plus oublié depuis.

Pierre Bergounioux, Le fleuve des âges, Fata Morgana, pp. 42-43.

David Farreny, 24 nov. 2005
létal

Est-ce le destin des rêves de dépouiller leurs vertus et leur charme lorsqu’ils s’accomplissent ? Enferment-ils un germe létal qui les détruit lorsqu’ils quittent la chambre où ils naquirent pour l’espace non protégé du dehors ? L’utopie semble vouée à nourrir l’utopie, le possible à engendrer du possible, tout réel à se nier. À peine les idéaux se sont-ils composé un visage qu’on y voit apparaître les stigmates inéluctables, dirait-on, de la tyrannique réalité.

Pierre Bergounioux, La fin du monde en avançant, Fata Morgana, p. 31.

David Farreny, 17 oct. 2006
raffinement

Pas d’érotisme dans le troupeau, la meute ou l’agencement grégaire. En revanche, toute micro-société intellectuellement constituée le permet. Et la formule inaugurée par le contrat hédoniste constitue ce territoire policé de deux êtres — au moins — soucieux de construire leur sexualité selon l’ordre de leurs caprices raisonnés, grâce au langage habilité à préciser les modalités de ce à quoi on s’engage. Le contrat exige la parole donnée, il nécessite donc un degré de civilisation élaboré, un raffinement certain, sinon un certain raffinement.

Certes cette configuration éthique et esthétique idéale suppose des contractants sur mesure. À savoir : clairs sur leur désir, ni changeants ni ondoyants, pas hésitants, nullement travaillés par la contradiction, ayant résolu leurs problèmes et ne trimbalant pas leur incohérence, leur inconséquence et leur irrationalité en bandoulière. Ce qui caractérise ce genre de personnages ? La trahison permanente de la parole donnée, le changement d’avis et la mémoire sélective, intéressée, le goût pour la tergiversation verbale et verbeuse pour légitimer et justifier leurs volte-face, un talent consommé pour ne pas faire ce qu’ils disent et pour agir à rebours de ce qu’ils annoncent. Avec ce genre de citoyens, aucun contrat n’est possible. Une fois détecté, passer son chemin…

Michel Onfray, La puissance d’exister, Grasset, p. 138.

Élisabeth Mazeron, 15 janv. 2007
enrobé

Parce que les hommes en général ne m’intéressent pas. En dehors, bien entendu, de nombreuses exceptions, mais enfin, tout ce que j’affirme doit être compris comme enrobé d’exceptions.

Richard Millet, propos recueillis par Romaric Sangars, « Chronic’art », numéro 32, février 2007.

David Farreny, 16 mai 2007
vie

Et on en resterait là. Du moins entreprendrais-je comme promis la rédaction de mon livre de souvenirs et de confidences. Saviez-vous par exemple que je me mouche toujours une dernière fois dans le mouchoir que je mets au sale, afin de garder propre plus longtemps le nouveau que j’empoche, afin d’économiser sa blancheur en quelque sorte ? C’est moi. C’est ainsi que je mords à belles dents dans la vie.

Éric Chevillard, Du hérisson, Minuit, p. 33.

David Farreny, 18 mai 2009
salamandre

La salamandre ne soupçonne rien de la moucheture noire et jaune de son dos. Il ne lui est pas venu à l’esprit que ces taches sont disposées en deux chaînettes ou se rejoignent en une seule sente compacte en fonction de l’humidité du sable, de la nuance vivante ou mortuaire du terrarium.

Ossip Mandelstam, Voyage en Arménie, L’Âge d’Homme.

Guillaume Colnot, 19 mai 2009
articuler

je partant voix sans réponse articuler parfois les mots

que silence réponse à autre oreille jamais

si à muet le monde pas de bruit

fonce dans le bleu cosmos

plus question que voyage vertical

je partant glissure à l’horizon

tout pareil tout mortel à partir du je

à toutes jambes fuyant l’horizon

enfin n’entendre que musique dans les cris

assez assez

exit

entrer né sur débris à peine reconnu le terrain

émergé de vase salée le fœtus sorti d’égout

plexus solaire rongé angoisse diffusant poumons souffle

       haletant

Danielle Collobert, « Survie », Œuvres (1), P.O.L., p. 415.

Bilitis Farreny, 2 août 2010
éléments

À quelque distance de la ville, on peut rêver le désert, la solitude la plus absolue. Toutes les maisons disparaissent entre les collines qui les abritent, et l’on n’aperçoit que la mer, les montagnes et le ciel. Là règne le silence des lieux inhabités. Pas une voix humaine ne se fait entendre, pas un chant d’oiseau ne s’élève dans l’air, pas une feuille ne soupire. Tout est calme, repos, sommeil ; et si après avoir contemplé ce tableau oriental, on reporte ses regards sur cette terre si nue, sur ces landes rocailleuses qu’on a à ses pieds, on dirait que la nature a jeté là par grandes masses tous les éléments d’une création splendide, et ne s’est pas donné la peine d’achever son œuvre.

Xavier Marmier, Lettres sur le Nord, Delloye.

David Farreny, 21 avr. 2013
mot

Le lecteur, dans ces après-midis passés sur le haut plateau, ne cessait de payer un tribut toujours renouvelé à l’épopée – et aussi de rire : non du rire par lequel on se moque, mais de celui qui accompagne la découverte et le jeu. Oui, il existait, le mot unique pour le coin de clarté dans un ciel nuageux, les folles allées et venues des bovins quand le taon les pique par temps de canicule, le feu qui soudain jaillit du poêle, le jus des poires cuites, la tache sur le front d’un taureau, l’homme qui essaie de se dégager de la neige à quatre pattes, la femme qui met ses robes d’été, le clapotis du liquide dans un seau à moitié vide, le ruissellement de la semence quittant la capsule du fruit, le ricochet du galet à la surface de l’étang, les langues de glace sur l’arbre hivernal, l’endroit trop cru de la pomme de terre bouillie et la flaque sur un sol argileux. Oui, c’était cela, le mot !

Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 162.

Cécile Carret, 21 sept. 2013
travail

Hommage à Mariano, d’Almería. À quarante et un ans, il vit encore chez sa mère. Il se rend pour la première fois au travail et meurt le jour même. C’est dans le journal.

Iñaki Uriarte, Bâiller devant Dieu, Séguier, p. 78.

David Farreny, 28 fév. 2024
comprendre

Apprendre plein de choses (les coefficients stœchiométriques, la philosophie d’Alain Badiou) diminue d’abord l’angoisse (car on a l’impression de mieux comprendre le monde) puis l’augmente (car on réalise qu’on ne comprend rien, et peut-être pis encore, qu’il n’y a rien à comprendre).

Olivier Pivert, « Connaissance de Montcuq (et alentours) », Encyclopédie du Rien. 🔗

David Farreny, 18 mars 2024

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer