porte

Ce fut une épopée de géants. Nous la vécûmes en fourmis. Nous triomphâmes ainsi. Succès par la porte basse.

Henri Michaux, « La vie dans les plis », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 190.

David Farreny, 14 avr. 2002
nécrobie

Latreille, le prince de l’entomologie, à qui sa passion sauva la vie. Prêtre réfractaire, il allait être jeté, avec d’autres, dans la cale d’un navire qui devait sombrer au large de la Gironde. Il occupait ses derniers instants à inventorier la faune du cachot. Un des geôliers, qui partageait cette curiosité, le met à part des condamnés. Un insecte — la nécrobie, « la vie dans la mort » — témoigne de cet événement.

Pierre Bergounioux, L’héritage. Pierre et Gabriel Bergounioux, rencontres, les Flohic, p. 33.

David Farreny, 6 août 2003
temps

J’oscillais dans l’immense main. Il a dû s’écouler du temps puisque j’oscillais, mais c’était un temps différent, interstitiel, sans image, sans terme ultérieur pour lui donner la pente, même légère, la vibration, le volettement insaisissables à quoi l’on reconnaît le temps.

Pierre Bergounioux, La maison rose, Gallimard, p. 121.

Élisabeth Mazeron, 15 sept. 2004
surpassent

Deux journées de voyage éloignent l’homme — et à plus forte raison le jeune homme qui n’a encore plongé que peu de racines dans l’existence — de son univers quotidien, de tout ce qu’il regardait comme ses devoirs, ses intérêts, ses soucis, ses espérances ; elles l’en éloignent infiniment plus qu’il n’a pu l’imaginer dans le fiacre qui le conduisait à la gare. L’espace qui, tournant et fuyant, s’interpose entre lui et son lieu d’origine, développe des forces que l’on croit d’ordinaire réservées à la durée. D’heure en heure, l’espace détermine des transformations intérieures, très semblables à celles que provoque la durée, mais qui, en quelque manière, les surpassent.

Thomas Mann, La montagne magique, Fayard, p. 8.

David Farreny, 3 juin 2007
consoler

Les chagrins nous restent parce qu’on se souvient. Ceux que nous avons été, jour après jour, confient leur grief à celui qui les continue. Ils croient que le discernement, la volonté ou, simplement, les moyens dont ils sont dépourvus, lui les possédera et qu’il reviendra sur ses pas pour consoler ses hypostases lointaines. Le psychologue Zeigarnik suggère que c’est de ce qui n’a pas trouvé sa résolution que nous nous souvenons. Le reste s’est consumé dans un présent pur.

Pierre Bergounioux, « Visitation », « Théodore Balmoral » n° 58, automne-hiver 2008, p. 40.

David Farreny, 10 nov. 2009
univoques

Peu après, son père mourut d’une crise cardiaque, une mort rapide, claire et nette. Pour ce faire, il s’était mis au lit d’abord et s’était étendu bien droit sur le dos. C’était un homme qui aimait l’ordre, convaincu de la logique des choses. Quand il essayait de s’exprimer, il alignait les phrases univoques. Il misait sur la clarté. Et comme les phrases univoques sont souvent contradictoires, il édulcorait la première et arrangeait un peu la seconde, afin qu’elles s’ajustent l’une à l’autre, après quoi la troisième lui paraissait suspecte, raison pour laquelle il l’élaguait, elle aussi. À la fin, on se retrouvait régulièrement devant un enchevêtrement confus de phrases univoques mal taillées, un gargouillis embroussaillé auquel personne ne comprenait rien. Son père présentait ça comme s’il n’y avait rien de plus naturel, persuadé qu’il était de la limpidité de sa propre création. Si Maurice s’était planté devant lui et qu’il lui avait avoué qu’il ne parvenait pas à suivre son raisonnement, oui, qu’il n’arrivait même pas à distinguer et à remonter les fils de sa propre pensée, son père aurait été outré de cette faiblesse de son fils et il aurait dit : « Fais voir, t’inquiète pas, on va y arriver, il y a une logique dans toute chose. »

Matthias Zschokke, Maurice à la poule, Zoé, pp. 188-189.

David Farreny, 11 mars 2010
métamorphoses

Scheidman ne profitait pas de la situation. Son organisme avait subi des métamorphoses qui auraient compliqué une course éperdue. Sous l’influence des brumes radioactives de l’hiver, ses longues squames de peau malade étaient devenues d’imposants goémons. Vu de loin, Scheidman s’apparentait à une meule d’algues sur quoi on eût fait sécher une tête.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 148.

Cécile Carret, 19 sept. 2010
tableau

L’homme est un immense marécage. Quand l’enthousiasme le prend, c’est, pour le tableau d’ensemble, comme si dans un coin quelconque de ce marais une petite grenouille faisait pouf dans l’eau verte.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 509.

David Farreny, 9 nov. 2012
patata

À la télé, un documentaire animalier : des cygnes glissent sur un lac scandinave. Lubin n’écoute pas mais, s’il prêtait attention, il se rendrait compte que, loin d’être un programme animalier, l’émission est un cours de philosophie sur les erreurs logiques. « Par exemple, explique une philosophe danoise dont la coiffure rappelle celle de Marge Simpson, observant tous ces cygnes blancs, le cerveau s’enclenchera et commencera à induire la règle générale : Tout cygne est blanc ; or soudain arrive un cygne noir, ça alors, on comprend que notre jugement est faillible, et patati et patata », c’est bizarre, la voix rappelle aussi Marge Simpson. Lubin va baisser le son et ne garde que les images où les animaux évoluent silencieusement comme des fantômes flottants ; après les cygnes, on voit des dindes qui, nourries par des agriculteurs, en déduisent que l’humanité est constituée de sympathiques dames de la cantine, à nouveau erreur […].

Emmanuelle Pyreire, Foire internationale, Les Petits Matins, p. 35.

Cécile Carret, 13 avr. 2013
comprend

La femme : « Aujourd’hui je suis allée en ville avec Stéphane. Il ne me comprend pas, les banques, les stations-service, les stations de métro, il trouve ça magnifique. »

L’éditeur : « Peut-être y a-t-il là-dedans une beauté nouvelle que nous ne pouvons simplement pas encore voir. »

Peter Handke, La femme gauchère, Gallimard, p. 61.

Cécile Carret, 26 juin 2013
rose

Au milieu de l’immense rose

Que revêt pour mourir l’automne venaissin.

Gilbert Lely, « Ma civilisation », Poésies complètes (1), Mercure de France, p. 77.

Guillaume Colnot, 7 déc. 2013
fraîcheur

La grande valeur pratique des certitudes ne doit pas nous dissimuler leur fragilité théorique. Elles se flétrissent, elles vieillissent, tandis que les doutes gardent une fraîcheur inaltérable… Une croyance est liée à une époque ; les arguments que nous lui opposons et qui nous mettent dans l’impossibilité d’y adhérer bravent le temps, de sorte que cette croyance ne dure que grâce aux objections qui l’ont minée.

Emil Cioran, « La chute dans le temps », Œuvres, Gallimard, p. 566.

David Farreny, 28 fév. 2024
abstraite

Aucune brise, et le mystère semble plus vaste. J’ai des nausées de pensée abstraite.

Fernando Pessoa, « 140 », Le livre de l’intranquillité (1), Christian Bourgois.

David Farreny, 10 mai 2024

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