régurgité

Quant aux kangourous, puisqu’il est inconcevable de parler de l’Australie sans évoquer les kangourous, « on en tirait, pour les manger, jusque dans le camp ».

Ayant bu de la bière, tué des marsupiaux, mangé de la poussière et sympathisé avec les Aborigènes, Gérard est définitivement régurgité par l’Australie au bout de deux ou trois mois de dissensions conjugales et de vaines démarches.

Jean Rolin, La clôture, P.O.L., p. 185.

Guillaume Colnot, 14 avr. 2002
malade

Il s’agit d’une maladie contractée à la naissance. C’est la naissance même qui l’a rendu malade. La naissance fut sa première maladie. C’est bien là le problème. Celui de parler à un vieux malade.

Charles Pennequin, Bibi, P.O.L., p. 74.

David Farreny, 28 déc. 2005
nombre

Le petit nombre doit l’emporter subversivement sur la subversion elle-même et sur tous ses dispositifs de misère, de honte et d’inutilité.

Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 56.

David Farreny, 1er janv. 2006
finis

De la plage du loch Laidon, curieusement aimable et sableuse, on contemple au sud cette énorme bouchée de néant, Rannoch Moor, la lande de Rannoch, qui s’achève en une ligne de montagnes désertes, bien sûr. Mais justement elle ne s’achève pas. On sait bien qu’au-delà il y a plus de solitude encore (c’est à peine concevable), plus d’absence, plus de rien modelé par la bruyère, velouté par la lumière, malaxé par les ciels, moiré par les eaux innombrables, incessamment pétri par le temps qu’il fait et qu’il n’a même pas le temps de faire : grands pans de soleil en oblique sur des brumes errantes, blocs de charbon suspendus, sables roses comme des chairs de femme — on a rêvé, ce n’est plus là. Pourtant ce n’est pas fini, ce n’est jamais fini, c’est nous qui sommes finis, ravagés de finitude, de manque de temps, de manque d’argent, de livres à rendre, de nuit qui vient : quand bien même on y consacrerait sa vie (et c’est tentant) on sait bien qu’on serait impuissant face à ce vide adorable, terrible et toujours dérobé, auquel nous sommes aussi peu commensurables qu’à l’énormité des bibliothèques. Oh, bien sûr, on peut tricher, on peut aller de l’autre côté, en voiture, en train (n’y a-t-il pas une gare ? C’est la gare de Rien) ou même en avion : on sait bien qu’on n’aura rien étreint, rien possédé, rien aimé, rien vu ; qu’un nuage qui passe fait de cette lande un autre monde.

Renaud Camus, « dimanche 3 août 2003 », Rannoch Moor. Journal 2003, Fayard, pp. 441-442.

David Farreny, 7 mai 2006
honte

Fleur de neige

fleur de bruit

fleur de braise

fleur de truite,

où sommes-nous depuis que la clarté tomba

(avec, dans notre sang, la fatigue des loups)

— à la recherche de quels commerces ?

— aux racines de quelles sources ?

le désir allumé au phosphore des nerfs…

L’aube n’est pas encore, il s’en faut

— La lampe brûle,

à quoi bon s’appuyer aux choses qui s’écroulent,

il est beaucoup de vies qui ont brûlé pour rien,

beaucoup de vies qui ont honte.

— Dormirais-je, dormirez-vous ?

… étoiles de la fin du monde !

… Que ne puis-je me mettre au chaud sous mon sommeil,

que ne peut-on ôter son visage de jour

— et dormir sans figure !

Benjamin Fondane, « Ulysse », Le mal des fantômes, Verdier, p. 58.

David Farreny, 21 juin 2013
âme

L’impalpable épiphanie du rien : cela seul m’aura requis ici-bas.

L’intellect tendu à l’extrême requiert le mode aphoristique. La brièveté est l’âme de l’esprit.

Roland Jaccard, « 7 novembre 1991 », Journal d'un homme perdu, Zulma, p. 227.

David Farreny, 28 fév. 2024

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