mort-nés

Or, c’était, ce quart de seconde, un de ces quarts de seconde qui comptent dans une vie, qui se comptent, ou se décomptent, tant il est vrai que les autres passent, mort-nés, pas même distincts de leurs confrères, à peine successifs, dans cette sensation de globalité qui emporte les jours ordinaires — presque tous, en fait.

Christian Oster, Mon grand appartement, Minuit, p. 70.

Élisabeth Mazeron, 23 avr. 2002
valeur

Le silence commence à muer.

Autour de moi quelque chose, d’extrême, de fin, de pas définissable, petit balayage en tous sens et qui se rapproche. Dans le voisinage une multitude avance.

En bruissements, comme il en émane d’une maisonnée, la chambre solitaire s’est changée.

Mots qui prennent une valeur extrême. Présentement, le mot « milliers ».

Henri Michaux, « Les grandes épreuves de l’esprit et les innombrables petites », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 355.

David Farreny, 8 déc. 2005
sous-politique

Chiqué et cabrioles sur escarpins glacés, l’exaltation sous-politique a permis aux plus indigents de se croire dans l’intelligence de l’histoire, avant de sombrer ou dans la syncope collective ou dans le putanat arrosé de muscadet gratuit.

Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 71.

David Farreny, 1er janv. 2006
cuirasse

Se voir en prédécomposition, parcheminé, strié de rides horizontales, d’un jaune-brun douteux, uni, n’incite pas à la rêverie. C’est au contraire un stimulant pour l’esprit, qui doit faire un va-et-vient aigu entre la tête de mort que la glace réfléchit et le flux puissant des forces vives, l’amour, le passé, le temps, la politique, l’ennui. Lorsque l’heure vint, installé dans l’œil du cyclone, centrifugé par la chimie, haché, épars, renvoyé les os brisés aux silences de Stalingrad, aux déchirures de Verdun, c’est sur le souvenir de mon amour fou d’Antoine que je m’appuyai pour lutter contre les aubes naissantes, le sommeil sans repos, le goût douceâtre, révoltant, des choses, leur fadeur inadmissible, l’inadéquation soudain profonde, définitive, de mon corps aux contours du monde. Jolie cuirasse en vérité. Car c’est bien avec mon corps que cette partie-là s’est jouée, la modification de son équilibre tactile, le glissement de son odeur, ces petites avancées vers l’inconnu chaque fois plus imperceptibles, sournoises.

Mathieu Riboulet, Mère Biscuit, Maurice Nadeau, p. 16.

Élisabeth Mazeron, 31 oct. 2007
est-ce

Aimer quelqu’un à partir de sa mort, est-ce de l’amitié ?

Édouard Levé, Suicide, P.O.L., p. 16.

Cécile Carret, 22 mars 2008
cour

Tu es la cave fermée

au sol de terre battue,

où l’enfant est entré

une fois, les pieds nus,

et sans cesse il y pense.

Tu es la chambre sombre

qu’on évoque sans cesse,

comme l’ancienne cour

où l’aube se levait.

Cesare Pavese, La mort viendra et elle aura tes yeux, Gallimard, pp. 194-195.

David Farreny, 2 sept. 2008
couler

Le spectacle des passants me fait douter que la vie n’est qu’urgence, tension permanente de toutes les forces, fatigues, désespoirs. J’aimerais aller d’un pas tranquille par les rues, l’esprit en repos. Mais il y a trop longtemps que j’ai perdu ce droit et presque tous les autres. C’est à la table de travail, à peiner, interminablement, que je trouve une sorte de paix. J’aimerais comprendre un peu ce qui s’est passé avant de couler à pic.

Pierre Bergounioux, « mercredi 20 avril 1983 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 200.

Élisabeth Mazeron, 28 sept. 2008
fiabilité

C’est agréable de laisser filer le temps avec toi. Nous nous racontons des bêtises dans des cercles restreints, toujours les mêmes, tu me donnes raison, toujours sur les mêmes points, et tu me donnes tort, toujours sur les mêmes points, je te coupe la parole, toujours aux mêmes endroits, je te laisse poursuivre ton discours dans le vide, toujours aux mêmes endroits, encore et encore, toujours pareil, ça vous rassure, ça vous rend heureux, cette certitude, cette fiabilité, cette familiarité. Et nous nous réveillons et disons les mêmes choses, et nous nous endormons après avoir dit les mêmes choses, et parfois vient s’y ajouter une nouvelle pensée qui nous surprend, une nouvelle tournure qui nous plaît…

Matthias Zschokke, Maurice à la poule, Zoé, p. 239.

David Farreny, 11 mars 2010
découvert

Mais il y a un temps pour les renaissances et un temps pour le renoncement. Maintenant les mots simples, les considérations de bon sens et la sagesse toute faite qui m’importunaient tant quand j’étais plus jeune (« ce n’est plus de ton âge ; si jeunesse savait ; un temps pour chaque chose ; si jeunesse pouvait ») s’imposaient à moi physiquement. […] Il ne me restait plus qu’à affronter à visage découvert, sans dérobade et sans illusion, la dernière échéance, celle qui ôtait tout sens au terme même de solitude. Il n’était plus temps de s’arrêter sur le bord du chemin. Pour la première fois de ma vie, j’ai résisté à l’illusion du recommencement.

Marc Augé, Journal d’un S.D.F. Ethnofiction, Seuil, p. 122.

Cécile Carret, 27 fév. 2011
bordel

Ah, c’est que l’ennui guette vite, dans les descriptions, on ne va pas trop traîner là-dessus. Finalement, le roman, quand on y pense, aura été un formidable réservoir à phénomènes, avant de les voir foutre le camp l’un après l’autre. Les choses, les objets, les détails. Les couleurs à la surface. Rien qu’à regarder une liste d’autrefois, c’est tout un bazar fantastique qui vous remonte à la mémoire, une vraie quincaillerie oubliée. Tout un magasin d’accessoires, mannequin d’osier, peau de chagrin, étui de nacre, chartreuse d’ici ou de là, contrat de mariage, chat-qui-pelote, sept pignons, mousses du vieux presbytère et ainsi de suite. Mais où sont tombés ces rossignols ? Toutes ces choses inanimées qui avaient pourtant une âme, et encore plus forte que celle des acteurs de l’histoire. Mais où est-ce que ce bordel est passé ?

Philippe Muray, Postérité, Grasset, p. 95.

David Farreny, 5 déc. 2012
triomphe

L’Arc révèle le vide de tout Triomphe.

Petr Král, Cahiers de Paris, Flammarion, p. 195.

David Farreny, 2 avr. 2013
effronterie

Alors que d’habitude je changeais constamment de pas, m’écartais à contretemps, me heurtais, je marchais maintenant avec les autres, et chacun de mes pas, si inhabituelle que fût la densité humaine, trouvait du jeu sur l’asphalte. Enfin je ne trottais ni ne traînais les pieds (comme tous dans les couloirs de l’internat), mais avais ma démarche, avançais en me balançant sur la plante des pieds qui déroulait, sensible, la succession des orteils, du métatarse et du talon, envoyais au passage de petits objets sur le côté, avec le sentiment d’effronterie tranquille qui, je l’éprouvai alors dans le recommencement, avait autrefois caractérisé mon enfance.

Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 104.

Cécile Carret, 8 sept. 2013
déplaisent

Je ne peux écrire qu’en touchant à des choses dangereuses, inflammables, et qui déplaisent. Je ne peux écrire qu’en déplaisant à une majorité de gens, puisqu’une majorité de gens me déplaisent.

Philippe Muray, « 23 novembre 1985 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, p. 569.

David Farreny, 3 juin 2015

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