sache

Je ne sache pas qu’il y ait un sens à la vie.

Pierre Bergounioux, La casse, Fata Morgana, p. 9.

David Farreny, 23 mars 2002
civilisation

Comble de la civilisation : mentir sans mentir.

Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 50.

David Farreny, 1er janv. 2006
perception

Dès ce moment la grande affaire pour moi fut d’aimer et d’être aimé. Surtout d’être aimé. Je ne comprenais pas comment ce sentiment, qui me semblait à si vil prix dans mon enfance, était devenu si rare et si précieux. Je me répétais avec mélancolie la prophétie de Mme Lebrun : « À vingt ans toutes les femmes seront folles de lui. » J’espérais un peu qu’à vingt ans les choses changeraient. Mais, en attendant, le temps passait et je me pénétrais de plus en plus profondément du sentiment de ma laideur. En même temps, le rêve de discours séducteurs, dont on ne me donnait d’ailleurs pas l’occasion, se précisait et s’approfondissait. Il se serait agi de « présenter » le monde à une femme, de décortiquer pour elle les sens les plus enveloppés des paysages ou des instants, de lui donner une besogne toute mâchée, de me substituer partout à elle et toujours, à sa pensée, à sa perception et de lui présenter des objets déjà élaborés, déjà perçus, bref, de faire l’enchanteur, d’être toujours celui dont la présence fait que les arbres seront plus arbres, les maisons davantage maisons, que le monde existera soudain davantage. J’en étais alors bien incapable. Mais je note ce désir parce que c’était une fois de plus réaliser l’accord de l’art et de l’amour. Écrire, c’était saisir le sens des choses et le rendre au mieux. Et séduire, c’était la même chose, tout uniment. Et puis, je vois avec stupeur la profondeur d’impérialisme qu’il y avait là-dedans. Car enfin, qu’on y songe, il ne s’agissait rien moins que de percevoir à la place d’une femme, de penser à sa place, de lui voler ses pensées pour y substituer les miennes. Ainsi mes pensées, subies par une conscience enchantée, fussent devenues des enchantements à mes propres yeux, eussent acquis tout juste le relief et le recul nécessaires pour que je puisse m’en charmer.

Jean-Paul Sartre, « mercredi 28 février 1940 », Carnets de la drôle de guerre, Gallimard, p. 508.

David Farreny, 26 déc. 2006
simple

La psychologie des personnages, elle aussi, semble abonder en contradictions, comme chez Proust : de même que dans la Recherche, les appréciations morales sur tel ou tel sont suivies d’exemples qui les contredisent, une même série d’adjectifs peut en receler plusieurs qui semblent tout à fait antagonistes ; mais il n’est pas exclu qu’il s’agisse là d’un simple souci d’exactitude.

Renaud Camus, « lundi 7 juin 1976 », Journal de « Travers » (1), Fayard, p. 499.

David Farreny, 28 sept. 2007
empire

On diffère à un autre titre des montagnes ou des grains de poussière. Un grain de poussière qui atteindrait aux dimensions d’une montagne puis finirait par occuper la totalité de l’univers serait vraiment la seule chose. Alors que revêtu de l’ensemble des emblèmes de la puissance, couvert d’or, brillant d’un éclat tel qu’on en plisse les paupières, un type sera tenu de laisser subsister un espace de la taille d’un grain de poussière pour s’étendre et rayonner. Il aura besoin d’un autre type se regardant lui-même comme une tête d’épingle ou une miette de rien du tout pour fournir l’assurance qu’il est bien le seul. On acceptera la petite quantité de rien du tout qu’il est obligé de laisser subsister à l’extrême bord de son empire.

Pierre Bergounioux, L’orphelin, Gallimard, p. 28.

Élisabeth Mazeron, 3 juin 2010
clairière

Ni l’étude ni la sagesse ni le comble de l’art ne forment rien qui approcherait cet idéal atteint sans effort du simple fait d’être une petite fille.

Attention : je ne parle pas ici de Lolita. Je parle des petites filles, des pré-nymphettes dont le corps grêle et rond est encore dans le cocon des limbes, et qui sont si belles justement de ne pas prêter le flanc au désir, de n’être pas saccagées déjà virtuellement par le désir, de n’être pas des objets de convoitise ni davantage des corps défendant, point enfermées du coup dans la minuscule cellule du désir masculin à l’imagination si pauvre, si pauvre, qu’on dirait l’homme mû toujours par son pas militaire et que nul amour ne résiste bien longtemps à ce pilonnage répétitif supposé représenter le couronnement ou l’acmé de la rencontre entre deux êtres.

Une petite fille ! Voilà vers quel état, quelle réalisation de soi il faudrait tendre, tous autant que nous sommes : devenir des petites filles. Avec cet entrechat si particulier qui leur vient à toutes – mais d’où ? mais comment ? – quand elles courent, et que je n’ai jamais vu un garçonnet exécuter spontanément. Avec ces visages que rien ne dépare, ni la varicelle ni le rhume ni la colère ni les pleurs. Et le sommeil sur elles comme la paix sur le monde. Et le rire entier, qui prend tout leur visage – et leurs cheveux rient aussi. Aucune espèce de vulgarité ne les touche ; même quand leurs parents n’en manquent pas, elle ne les affecte en rien, les petites filles passent au travers leurs membres frêles. Elles vivent dans la clairière. Même sérieuses, appliquées, volontaires, elles ont ce menton minuscule. […] Tout ce que l’homme ingénieux et savant a bâti, rapporté à ce qu’elles sont, ne peut nous inspirer que du remords. Tout est dépravation qui n’est plus la petite fille, tout gâchis, désastre, folie, abjection.

Et voilà que ce qui était d’emblée l’accomplissement même va se défaire inexorablement !

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 106.

Cécile Carret, 25 fév. 2014
losanges

Entre deux inspections de cet empire, il revenait volontiers profiter du confort de son trône : un panier installé au bout de ce vestibule carrelé qu’il n’abordait pourtant jamais sans une espèce de méfiance, marquant au seuil un temps d’arrêt, comme s’il n’avait pas tout de suite reconnu le cœur même de son domaine, et s’assurait qu’aucune mauvaise surprise ne l’y attendait.

C’était que malgré son habitude de la conformation du carrelage, et à cause d’elle sans doute, il restait à chaque fois décontenancé par l’instabilité paradoxale qu’elle offrait à ses yeux comme aux miens.

L’assemblage régulier de losanges de trois teintes différentes composait en effet une sorte de kaléidoscope fixe d’où, vues en perspective et en relief, sortaient presque simultanément ou s’engendrant les unes les autres, les faces antérieures de trois cubes distincts, bien propres à susciter la prudence d’un chat.

[…]

Ainsi ai-je mieux compris la perplexité des chats au seuil du vestibule : il leur fallait d’abord prendre la mesure de l’illusion que le carrelage systématique leur présentait, eux qui s’accommodent si souplement d’une succession de vrais creux et de vraies bosses.

Pour moi, je m’arrêtais souvent devant ces cubes durant de longues minutes, hypnotisé par cette transformation d’une forme fondamentale abstraite, presque absente, en volumes théoriques surgis de leur immobilité.

Car sous l’alternance des cubes, j’observais le jeu d’une loi qui veut que tout ce qui apparaît simultanément disparaisse pour réapparaître aussitôt ou, pour mieux dire, tire son apparition de sa disparition concomitante.

Le chat pendant ce temps ronronnait.

Jacques Réda, « Autres écarts expérimentaux », «  Théodore Balmoral  » n° 71, printemps-été 2013, pp. 66-67.

David Farreny, 30 juin 2014
archipel

Très simple à expliquer, le paysage, en dépit de la diversité de ses aspects. Le puissant massif qui couvre la Norvège septentrionale s’élève à peu près partout à pic au-dessus de l’océan, en falaises gigantesques, précédé d’îles montueuses pareilles à des blocs détachés de l’énorme édifice continental. De Throndhjem au cap Nord le vapeur longe la base de cette formidable muraille. À droite c’est un entassement de pics et d’escarpements fantastiques ; à gauche, un archipel infini, dissimulant presque complètement la vue de l’océan ; à peine de loin en loin, par l’entrebâillement d’un chenal, un bout de mer bleue apparaît-il dans un horizon vague de mirage. Entre Throndhjem et Bodö, le skjœrgaard atteint son plus grand développement, composé de centaines et même de milliers de rochers essaimés jusqu’à 50 kilomètres au large. Derrière cette épaisse digue la nappe des fjords reste calme ; pas la plus légère houle, pas la moindre risée à la surface de l’eau.

Toutes ces pierres sont polies, comme passées à la meule ; toutes ces montagnes grattées et émoussées ; des îlots très bas ont l’aspect d’œufs flottant à la surface de la mer. L’énorme coupole de glace qui a recouvert le Nord scandinave durant la période quaternaire a étendu sur l’archipel son épais revêtement cristallin. La lente friction des glaciers a poli les cimes, érodé les aspérités, strié les monticules, et à travers les siècles ce faciès singulier s’est maintenu intact.

Charles Rabot, Au cap Nord. Aux fjords de Norvège et aux forêts de Suède, Hachette.

David Farreny, 15 juil. 2014
géant

Mes ailes de géant les empêchent de m’acheter.

Philippe Muray, « 15 janvier 1989 », Ultima necat (III), Les Belles Lettres, p. 30.

David Farreny, 29 fév. 2024

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer