intrigue

Moi, je ne sais pas ce qui se passe, je n’ai jamais su ce qui se passait. Certaines personnes, certains livres semblent le savoir, mais ces livres ne m’intéressent pas. Ils ont l’intérêt de la fiction, ils ont une intrigue. Mais je ne crois pas qu’il y ait d’intrigue.

Leonard Cohen, interview.

David Farreny, 22 mars 2002
exaspération

Plus tard nous est venue cette susceptibilité d’épiderme qui rend blessantes la pierre, l’avoine et la pluie et dont l’esprit, l’âme, la chose pensante — peu importe le nom — pourrait n’être après tout que l’exaspération hypostasiée.

Pierre Bergounioux, Points cardinaux, Fata Morgana, p. 40.

David Farreny, 13 avr. 2002
arraché

Je regardais le visage, près de moi, sous le petit bonnet de fourrure, mais pas trop, pas longtemps. Il me semblait qu’il aurait pu s’effacer encore, s’évanouir, comme les images feintes, les souvenirs, et il n’y aurait plus rien eu. Nous sommes revenus sur nos pas en direction du quai. J’ai dit, répété, que c’était (avant) comme maintenant et que maintenant serait un jour pareil, une image ternie, même si je ne parvenais pas à l’admettre, à l’imaginer. C’est que, pour moi, cela aurait pu ne pas être et jusqu’à la fin, cet instant et tous les autres (si d’autres lui faisaient suite, si elle acceptait) garderaient le tremblement, le cerne clair, frémissant, de ce qu’un jour nous avons arraché au temps, à l’étendue cachée sous le rideau mouvant.

Pierre Bergounioux, La maison rose, Gallimard, p. 143.

Élisabeth Mazeron, 15 sept. 2004
colloques

Une identique lumière de néon éclaire les couloirs de l’ISFP. Généreusement arrosé par les subventions ministérielles et régionales, l’ISFP, plus riche que toutes les universités et les lycées réunis de l’académie, avait eu les moyens de se payer de la décoration de standing. Des peintures calculées pour la sérénité du formateur. De la moquette pensée. Celle-ci, bleu violacé, s’accorde superbement avec les murs vert d’eau agrémentés de plinthes jambon de Parme. Cela sent le confort, la joie et la clarté, avec un je ne sais quoi d’audacieux. Hélas, dix ans après, tout cet enthousiasme chromatique enduit en couches généreuses a connu le destin fatal réservé à l’allégresse officielle des surfaces. La mauvaise qualité des jointures de fenêtres t’a compissé tout ça de traînées noires ressemblant aux larmes délayant la crasse sur la face d’une pocharde qui se remémore son enfance. D’innombrables affichettes administratives, extraits de publications officielles, annonces de conférences, dazibaos syndicaux et mutualistes ont tartiné d’ennui le ci-devant vert primesautier. Quant à la moquette, il ne reste de ses fraîches étendues qu’une steppe saccagée par les croquenots pédagogiques et les milliers de cigarettes grillées par des formatrices blêmes et cancéreuses.

De ces colloques spectraux, par-delà le triomphe des non-fumeurs sur les fumeurs, par-delà l’agonie solitaire, dans quelque service d’oncologie à la décoration allègre identiquement dévastée, des didacticiennes abandonnées à la souffrance et au souvenir obsédant des centaines de circulaires ministérielles ingurgitées, persiste cette odeur de cigarettes imprégnant toutes les surfaces, et une fumée, un fantôme de brouillard troublant les couloirs interminables, épaississant la lumière des néons, peut-être le vestige de tant de dossiers remués, de tant de papiers agités, la grande ombre pulvérulente de toutes les vieilles existences bureaucratiques qui se refusent à disparaître.

Pierre Jourde, Festins secrets, L’Esprit des péninsules, pp. 351-352.

David Farreny, 2 déc. 2009
lendemain

Les gens passaient leur temps à faire des préparatifs pour le lendemain. Moi je n’ai jamais cru à ça. Le lendemain ne faisait pas de préparatifs pour eux. Le lendemain ne savait même pas qu’ils existaient.

Cormac McCarthy, La route, L’Olivier, p. 248.

David Farreny, 18 mai 2011
une

J’ai appelé la serveuse pour régler. C’était une personne que je n’avais pas pris le temps d’observer en arrivant. Une grosse personne jeune avec de la finesse dans les traits. Elle ne souriait pas. Il m’a semblé qu’elle cherchait à le faire. Loin dans le regard. Je n’ai pas insisté.

Christian Oster, Rouler, L’Olivier, p. 17.

Cécile Carret, 26 sept. 2011
tremblement

On s’obstine parfois à vouloir substituer une image à la réalité, on veut épuiser les lieux, les vider une bonne fois de leur pouvoir, faire cesser ce léger tremblement de l’image à l’énoncé d’un nom, on cherche un air de ressemblance, on veut reconnaître un paysage à défaut d’un visage ou d’un souvenir.

Nathalie Léger, Supplément à la vie de Barbara Loden, P.O.L., p. 118.

Cécile Carret, 16 mars 2012
sombre

La vieille incapacité. J’ai cessé d’écrire depuis dix jours à peine et déjà, je suis mis au rebut. Je me trouve une fois de plus à la veille de terribles efforts. Il va falloir que je plonge, littéralement, et que je sombre plus vite que ce qui sombrera devant moi.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 381.

David Farreny, 8 nov. 2012
visage

Avait-il dormi toute la nuit, comme cela, sur le dos ? jambes croisées ? À la fenêtre grande ouverte, dans un mur de nuages qui allait grandissant, la lune décroissante avait fait son apparition, un moment, comme tombée en avant, le visage vers le bas.

Peter Handke, Par une nuit obscure je sortis de ma maison tranquille, Gallimard, p. 60.

Cécile Carret, 21 juil. 2013
nous

c’est la notion de parler qui fait défaut. c’est la notion d’avoir des relations. c’est la notion d’être. c’est la notion d’en vouloir et d’être. alors qu’on nous a posés là et qu’on n’en bouge pas. c’est tout dedans que ça remue. c’est quelque chose en dedans qui fait son remue-ménage. c’est même pas nous. nous on sait pas qui on est, on serait des nôtres. mais on n’est déjà pas là avec le personnage qui est moi. on n’a rien à voir avec un moi qui écrirait. ni un nous. l’époque est au nous. mais l’époque n’est pas à un nous scientifique. ni à un nous microbien. c’est le nous-nous noué à l’humain. c’est dégueulasse. l’époque dégueule du nous à travers nous. nous ne sommes pas du même bois que ce nous. nous sommes toujours avec le métal. nous sommes avec les vitres et les poutrelles. et nous sommes toujours d’accord avec les microbes et l’électricité. nous sommes profondément envieux du nucléaire. quoi qu’il arrive.

Charles Pennequin, « On n’est pas des écrivains », Pamphlet contre la mort, P.O.L., pp. 130-131.

David Farreny, 11 fév. 2014
manche

Plutôt le râteau que le fiasco – au moins a-t-il un manche.

Éric Chevillard, « lundi 21 août 2017 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 23 fév. 2024

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