équilibre

La contemplation d’un chou rouge coupé en deux lui procura un réconfort : replis blancs et violets, mystérieuse géographie, secrets de cervelle. Il s’arrêtait ainsi devant les structures végétales, minérales, animales, dont la luxuriance baroque semblait résumer la complexité de l’existence. Alors, il ne pensait pas, ne devenait nullement plus lucide, mais il se sentait en équilibre avec ce qu’il contemplait.

Michel Besnier, Le bateau de mariage, Seuil, p. 73.

David Farreny, 13 avr. 2002
s’insinuait

Le moteur coupé, le silence se refermait comme une eau profonde sur le trouble léger qui l’avait traversé — huit cents kilos de fer alésé, embouti, riveté, obéissant aux volitions du corps, bien moins lourd, qui s’y insinuait, lequel à son tour semblait répondre aux directives hasardeuses de la conscience impondérable, de moins en moins patente à elle-même, qu’il hébergeait.

Pierre Bergounioux, Catherine, Gallimard, p. 38.

Guillaume Colnot, 14 avr. 2002
accessoirement

Dites-vous que la douleur s’estompe à la longue, tout passe, même vous, même eux, les corps et le reste, les couples se succèdent indifféremment, sans laisser de traces bien longtemps, un clou chasse l’autre comme on dit, leurs pas s’effacent les uns à la suite des autres, et tout va benoîtement à la disparition sans trop faire de scandale. La plupart du temps, errant comme des âmes en peine, des fantômes qui ne veulent pas vraiment exister, ni pleinement s’actualiser dans le monde immédiat, il faut s’avouer que l’on n’est pas capable d’aimer, que l’on n’est pas vraiment à la hauteur du sentiment ni même du désir amoureux, que l’on ne voit que la face souriante du paradis à l’horizon. L’on s’en approche de très près, jusqu’à en toucher la lisière lumineuse, mais on ne poursuit pas plus avant cette vision de rêve, cette promesse, aventureuse.

Vivant anonymes, parmi des contemporains de bien peu de poids en réalité, menacés, périssables, incertains, l’on occupe sa vie à penser accessoirement à l’essentiel, à ce qui constituerait peut-être une bonne raison d’exister effectivement, et nombre de rencontres importantes, de passages à l’acte, d’engagements à plus ou moins long terme se produisent selon l’humeur ou l’occasion, faute de mieux quelquefois, comme en désespoir de cause.

Hubert Voignier, Le débat solitaire, Cheyne, p. 65.

Élisabeth Mazeron, 21 fév. 2008
vie

Et on en resterait là. Du moins entreprendrais-je comme promis la rédaction de mon livre de souvenirs et de confidences. Saviez-vous par exemple que je me mouche toujours une dernière fois dans le mouchoir que je mets au sale, afin de garder propre plus longtemps le nouveau que j’empoche, afin d’économiser sa blancheur en quelque sorte ? C’est moi. C’est ainsi que je mords à belles dents dans la vie.

Éric Chevillard, Du hérisson, Minuit, p. 33.

David Farreny, 18 mai 2009
blanquette

Bouquet ravissant de genêts de la forêt mêlés au lilas blanc. L’alimentation, c’est rapide ; la cuisine, c’est lent. Demandé à Louise de me faire une blanquette de veau « comme dans mon enfance ». Première conférence sur le morceau de boucherie : jarret, gluant ; collier, trop mou ; on se décide pour l’épaule, malgré mes préventions contre l’épaule, trop nerveuse. 1 h 1/2 de cuisson, avec écumoire à la main ; les herbes, le bouquet, les petits oignons blancs. Un roux avec morilles fraîches, deux jaunes [d’œufs]. (Les morilles sont une erreur ; d’abord 1100 F les 200 g, puis elles disparaissent ; il eût fallu de gros champignons de Paris.) Une heure plus tard, c’est prêt. Je constate que je n’aime pas la blanquette.

Paul Morand, « 17 mai 1970 », Journal inutile (1), Gallimard, pp. 395-396.

David Farreny, 25 mai 2009
errant

Le singulier, à dire vrai, c’était cette aisance avec laquelle cette manière d’ascension, qui n’était guère plus qu’une promenade solitaire, une escapade sans destination fixée d’avance, s’était jusqu’à présent déroulée : comme dans un rêve trop facile, comme dans une conscience somnolente que les aspérités du réel n’affectent plus. À la vivante élasticité des pas répondait cette élasticité d’un temps gorgé de promesses, dans l’insaisissable et toutefois parfaitement juste coïncidence de l’avenir et du présent. Monter, c’était bien, ainsi, croître en une puissance que les petits succès personnels grignotés, çà et là, dans la coite vallée, ne permettaient pas d’imaginer. Et comme s’il avait voulu traduire, par sa seule apparence, l’élégance hautaine de ses aspirations, le grimpeur — l’errant — s’était enveloppé d’une longue cape et portait un magnifique béret de velours noir également, en sorte que l’homme avait tout à fait le style de son ombre.

Claude Louis-Combet, « La tombe à son plus haut point », Rapt et ravissement, Deyrolle, p. 39.

Élisabeth Mazeron, 23 mars 2010
pièces

Bigongiari m’avait attiré, dès son titre, par une enivrante toponymie. Ajoutées à celles, nettement solennisées, de la forme journal (29 novembre 1955, 18 avril 1956, 10 août 1956, jour de la Saint-Laurent, 15-24 octobre 1957, etc., ces dates sont déjà, pour moi, de la poésie), ce sont toutes les séductions de la Toscane et de l’Italie qui viennent s’offrir à ces poèmes : Gare de Pistoia, Mugello, L’Adda sous la brume, Par un soir de vent et de lune au bord du Mugnone, Hirondelles au-dessus d’Anghiari, Soir de Barberino, Maremme, Sur le Lungarno en décembre, Luca se promenant dans Florence, Hirondelles de mer sur l’Arno, En remontant avec Mario [Luzi] la vallée de l’Orsigna, En revenant de Sabbioneta, La longue nuit de Cortone. Bien entendu, c’est moi qui reviens de Sabbioneta (avec Denis), c’est moi qui longe l’Arno en décembre, c’est moi qui rêve à Barberino, où si souvent je suis passé, dans la montagne au-dessus de Florence, c’est moi qui couche à Cortone, et me perds dans les brumes de l’Adda. Il n’est pas jusqu’à mon pauvre cher Indien des Cascine qui ne paraisse là, au confluent rituel de ses deux rivières : L’Arno divaga in una luce cieca, / attendono acqua i morti con la gole asciutte / e nei vivi si piaga la memoria. Et la mémoire chez les vivants se blesse… Et la mémoire chez les vivants se blesse… Comment puis-je juger de cette poésie comme texte, quand elle regorge d’emblée, à mes yeux, pour mon cœur, de tout ce qui peut les émouvoir le plus au monde, ces terres si souvent parcourues et pourtant à peine touchées, semble-t-il, et de soirs, et d’amours, et de pertes, et d’oublis ? Si ce sont les mots eux-mêmes qui s’emparent de moi, c’est par quelque amphibologie qui les fait mieux vibrer : la draga trapana quest’aria senza trafiggerla (la drague creuse l’air sans le trouer (L’Indien toujours, 18 avril 1956)). Mais en général c’est vers des noms que je m’envole et m’insomnise, vers de vraies chambres et de vraies nuits : donne-moi, / Cortone, glacée, une de tes / immenses pièces d’angle dans la nuit (dammi / una delle tue gelide, Cortona, / stanze d’angolo immense nella notte).

Renaud Camus, « samedi 2 juillet 1988 », Aguets. Journal 1988, P.O.L., pp. 222-223.

David Farreny, 21 août 2011
vieilles

Il y avait dans le paysage, jusque dans les années 70, une stabilité et une inertie toute séculaire. Les vieilles fermes au coin des routes. Les choses avaient une force placide, une pesanteur. Le sentiment du monde était écrasant.

Emmanuelle Guattari, Ciels de Loire, Mercure de France, p. 80.

Cécile Carret, 22 sept. 2013
tension

Je me sentais clairement ici — à une baisse de tension qui n’était pas le calme de la campagne, à un début d’engourdissement encore plaisant de l’imagination et de la curiosité — sur les lisières du monde habitable : une vie petite, un peu décolorée, un peu falote, pour laquelle l’espace semblait trop grand, la journée trop longue, bougeait à faible bruit sur ces marges crépusculaires ; les sons venaient frapper l’oreille, affaiblis, ouatés, espacés, comme quand on débarque au Montanvers — la grand’route qui traversait l’Elf sur son pont de ciment bifurquait au fond de la perspective sous une ligne de panneaux indicateurs qui semblaient concerner déjà l’enjambement d’un espace abstrait, des liaisons aériennes plutôt que routières : Haparanda — Finlande : 400 kms — Kiruna : 600. Bien avant quatre heures du matin, à travers mes rideaux le jour me réveillait ; je me levais et j’allais à ma fenêtre : une vive et blanche lumière de limbes, sans un chant d’oiseau, sans un bruit de voiture, éclairait la place vide, évacuée avec la nuit par les occupants de son parking, et où pour trois heures encore, dans le jour grand ouvert et pourtant déserté comme un œil de nocturne, nul signe de vie n’allait bouger.

Julien Gracq, Lettrines (II), José Corti, pp. 235-236.

David Farreny, 20 oct. 2014
méridienne

La même doctrine doit servir sous la lumière méridienne et dans les moments livides.

Seul est vérité ce qui vaut indistinctement pour l’âme affligée comme pour l’exaltée.

Nicolás Gómez Dávila, Scolies à un texte implicite, p. 266.

David Farreny, 26 mai 2015
situation

J’ai la rime – yack et kayak –, il me reste à trouver le lieu et la situation.

Éric Chevillard, « mercredi 10 février 2016 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 9 mars 2016

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