rompre

À un certain degré de détachement ou de clairvoyance, l’histoire n’a plus cours, l’homme même cesse de compter : rompre avec les apparences, c’est vaincre l’action et les illusions qui en découlent. Quand on s’appesantit sur la misère essentielle des êtres, on ne s’arrête pas à celle qui résulte des inégalités sociales, ni on ne s’efforce d’y remédier.

Emil Cioran, Essai sur la pensée réactionnaire, Fata Morgana, p. 34.

Guillaume Colnot, 11 juin 2004
jeter

Que faire de tout cela ? Le jeter ?

Renaud Camus, « dimanche 31 mars 2002 », Outrepas. Journal 2002, Fayard, p. 83.

David Farreny, 3 juil. 2005
malpropreté

Il avait cessé de neiger. Le ciel se découvrait en partie ; des nuages gris bleu qui s’étaient séparés laissaient filtrer des regards du soleil qui coloraient le paysage de bleu. Puis il fit tout à fait clair. Un froid serein régna, une splendeur hivernale, pure et tenace, en plein novembre, et le panorama derrière les arceaux de la loge de balcon, les forêts poudrées, les ravines comblées de neige molle, la vallée blanche, ensoleillée sous le ciel bleu et rayonnant, étaient magnifiques. Le scintillement cristallin, l’étincellement adamantin régnaient partout. Très blanches et noires, les forêts étaient immobiles. Les contrées du ciel éloignées de la lune étaient brodées d’étoiles. Des ombres aiguës, précises et intenses, qui semblaient plus réelles et plus importantes que les objets eux-mêmes, tombaient des maisons, des arbres, des poteaux télégraphiques sur la plaine scintillante. Quelques heures après le coucher du soleil, il faisait sept ou huit degrés au-dessous de zéro. Le monde semblait voué à une pureté glacée, sa malpropreté naturelle semblait cachée et figée dans le rêve d’une fantastique magie macabre.

Thomas Mann, La montagne magique, Fayard, p. 311.

David Farreny, 3 juin 2007
inconsistance

Il est vrai que mon existence parmi les choses avait toujours manqué d’un certain poids. J’étais un homme d’inaction et je vivais avec le souci constant de ne pas déranger l’ordre des réalités qui m’entouraient et auxquelles j’avais affaire. Je subissais le monde plutôt que je ne l’affrontais. Et mon rapport aux êtres — aux humains comme aux objets — procédait d’un fond de passivité qui m’avait toujours facilité le passage à travers les médiocres épreuves de ma vie. Je laissais les événements se produire. Je laissais le temps dénouer les crises. Autant que possible, je limitais mes interventions et évitais les décisions catégoriques et les initiatives risquées. Si je connaissais quelquefois l’indignation, elle n’allait jamais jusqu’à la révolte. Rarement l’émotion m’arrachait un geste. Elle demeurait enfouie dans les limbes de l’inexpression. D’une façon générale, en toute circonstance quelque peu difficile, je faisais confiance à ma puissance d’inertie. L’immobilité était mon seul système de défense contre les menaces ambiantes. Immobilité et silence — car ma propre parole fuyait les mots dès qu’elle était mise en demeure de répliquer ou de s’expliquer. Et ainsi avait coulé ma vie dans cette ville fluviale où l’espace coulait avec les eaux et où la couleur du ciel avait toujours cette nuance indécise du regard qui rêve. Jusqu’à ce que je fusse mis en face de l’évidence insoutenable de cette blancheur sans rien, apparue soudain au cœur de mon univers, ma vie n’avait été qu’une coulée muette et une rêverie sur cette coulée. Espoirs et désespoirs, attentes et déceptions, travaux et peines avaient passé comme cet autre sourire au fond de tout sourire sur un visage qui s’ignore — moins qu’une trace, moins qu’une ombre, moins qu’un soupir… et si peu de souvenirs, d’avoir vécu. J’étais l’inconsistance personnifiée.

Claude Louis-Combet, Blanc, Fata Morgana, pp. 66-67.

Élisabeth Mazeron, 17 mars 2010
traître

Melvin était loin d’être le premier à avoir besoin d’exister pour moi et à sentir qu’avec moi tout était possible. Néanmoins, il était rare que cela me soit dit si simplement et clairement.

Quand je reçois ce genre de propos, je ne sais pas très bien quel effet cela me fait : un mélange d’émotion et d’inquiétude. Pour comparer de tels mots à un cadeau, c’est comme offrir un chien. On est touché par l’animal, mais on pense qu’il va falloir s’en occuper et qu’on n’a rien demandé de pareil. D’autre part, le chien est là avec ses bons yeux, on se dit qu’il n’y est pour rien, qu’on lui donnera les restes du repas à manger, que ce sera facile. Tragique erreur, inévitable pourtant. […] Il y a des phrases-chiens. C’est traître.

Amélie Nothomb, Une forme de vie, Albin Michel, pp. 59-60.

Élisabeth Mazeron, 26 sept. 2010
change

Certains hommes se placent au-dessus de leur malheur pour rendre compte de celui des autres. Il arrive que leur roman nous donne l’idée de la vie absolue, aussi bien du voisin que de la nôtre, pendant qu’on les lit. C’est presque ça. Puis on les quitte. On ressort. Et tout recommence. Mais peut-être ont-ils tout dit. Un homme, peut-être, peut tout dire. Ça ne change rien. Voilà notre drame.

Georges Perros, Papiers collés (3), Gallimard, p. 17.

David Farreny, 24 mars 2012
culs

toi t’aimes bien les bons petits culs, t’aimes bien ça voir les petits culs tout bons, t’aimes bien voir un bon petit cul passer, un bon petit cul papoter ou passer, hein ouais t’aimes bien voir ça, le bon petit cul qui demande pas son reste et passe, qui passe et qui rapasse, mais le bon petit cul ne demande pas mieux que de rester, le cul petit tout bon qui demande pas son reste mais reste tout de même, t’aimes bien ça hein, t’aimes bien que le petit cul tout bon reste sur place, pour ça t’aimes bien que ça t’écoute un bon petit tout cul, que ça se tende bien de par le cul le petit cul tout bon, que cul tendu te soit tout ouïe, qu’il soit tout oui le tout bon petit cul tout ouïe, qu’un petit tout bon cul comme ça c’est bon pour n’être qu’un petit cul après tout, pourquoi ce n’est pas qu’un tout bon petit cul qui passe et qui rebondit quand on l’appelle, quand on le retient pour qu’il fasse un gros oui le tout petit bon cul tout ouïe à toi, car c’est à toi qu’il est le petit bon tout cul n’est-ce pas, et ça t’aimes bien, t’aimes bien avoir ton tout bon petit cul et qu’il te dise que oui, que ça dise oui à tout, à tout bout de champ le tout bon cul petit qui passe et qui rebondit, c’est ça que t’aimes au fond, au fond du fond t’aimes bien les tout bons petits culs qui passent, qui passent et qui rapassent, les bons petits tout culs qui ne restent pas en place

Charles Pennequin, « Les petits culs », Pamphlet contre la mort, P.O.L., pp. 92-93.

David Farreny, 11 fév. 2014
rapiécer

Ce ne serait pas la première fois que j’observe combien le souvenir qui s’éloigne devient perméable à une fiction littéraire, quand elle est restée à l’esprit présente et forte, au point d’accepter, si cette fiction s’adapte par hasard à un espace usé de la mémoire qui montre la corde, de se laisser rapiécer par elle sans façons.

Julien Gracq, Lettrines (II), José Corti, p. 8.

David Farreny, 18 oct. 2014
lâche

Nul ne serait donc suffisamment lâche pour ne jamais mourir ?

Éric Chevillard, « samedi 30 mars 2024 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 13 avr. 2024
sage

Ne serait-il pas plus sage d’emprisonner plutôt tous ceux qui n’ont encore tué personne ?

Éric Chevillard, « jeudi 11 avril 2024 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 13 avr. 2024

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer