lassante

Plus de repos. Il faut en passer par là, successivement et indéfiniment contracté, puis décontracté, puis contracté, puis décontracté, puis contracté, puis décontracté, jamais lâché par la tyrannie de l’alternatif. L’idée qu’on a, happée par le même invisible mécanisme, montrée, puis éclipsée, puis remontrée, puis subissant une autre éclipse, puis réapparaissant, puis de nouveau oblitérée, est inefficace, lassante, oubliée, invivable, sotte, contrecarrante plus que tout, ajoutant son point final à la ridiculisation des fonctions mentales. Agaçante, ravageuse, atroce, rendant impropre à tout raisonnement, à tout théorème, à toute systématique, rendant sans mémoire, sans place (constamment éjecté de sa place, remis en place, réexpulsé de sa place), rendant pantin, rendant agité, agité, agité, agité de l’agitation du fou agité, traduction des incessantes menues agitations, des mouvements d’avance et de recul, de présence et d’absence, traduction de toutes les contradictions subies et de tous les antagonismes dont on est l’écartelé hébété.

Henri Michaux, « L’infini turbulent », Œuvres complètes (2), Gallimard, pp. 810-811.

David Farreny, 21 déc. 2003
fluide

Et elle passe ses journées dans l’attente de visites qui ne viennent guère, car l’attente, la dépendance, dans la vie sociale comme dans l’amour, dégagent un fluide invisible et impalpable qui dissuade les êtres de s’empresser auprès de ceux qui souhaitent trop leur présence, et dont ils se disent, plus ou moins consciemment, pour cette raison même, qu’ils les attendront toujours.

Renaud Camus, « samedi 20 juillet 2002 », Outrepas. Journal 2002, Fayard, p. 347.

David Farreny, 3 juil. 2005
tous

Les vaches vivent à l’horizon dans l’immanence des champs. Loin de nous. Loin de tous.

Frédéric Boyer, Vaches, P.O.L., p. 15.

David Farreny, 6 mai 2008
secousse

J’aimerais, une fois dans ma vie, une secousse paroxysmique.

Jean-Pierre Georges, Car né, La Bartavelle, p. 67.

David Farreny, 5 juil. 2009
atours

Et puis, il faudrait surtout que la colère islamiste soit dirigée contre ce que l’Occident a de pire : la rapacité financière, la consommation effrénée, l’égoïsme du bien-être. Or, les commanditaires des pieux carnages du 11 septembre et leurs admirateurs n’ont aucunement le souci de remédier à la misère du monde ou de sauvegarder la planète : le réchauffement climatique est le cadet de leur souci. Ils haïssent l’Occident non pour ce qu’il a de haïssable ou de navrant, mais pour ce qu’il a d’aimable et même pour ce qu’il a de meilleur : la civilisation des hommes par les femmes et le lien avec Israël.

C’est le destin claquemuré qu’ils font subir aux femmes, le mépris où ils les tiennent et le désert masculin de leur vie qui rend fous les fous de Dieu : fous de violence, fous de hargne et de ressentiment contre le commerce européen entre les sexes, contre l’égalité, contre la séduction, contre la conversation galante ; fous, enfin, du désir frénétique de quitter la terre pour jouir de l’éternité dans les jardins du paradis où les attendent et les appellent des jeunes filles « parées de leurs plus beaux atours ».

Alain Finkielkraut, « Au pays du progressisme déconcertant », L’imparfait du présent, Gallimard, p. 233.

Élisabeth Mazeron, 9 janv. 2010
transition

Comme les hommes, les choses meurent et leur mort, comme la nôtre, nous échappe. Dans le premier cas, le tableau de la corruption est si peu tolérable aux vivants qu’ils confient la dépouille à la terre, à ses sombres mystères, marquant d’un signe conventionnel, pierre, croix, croissant ou poteau funéraire, l’emplacement où la chair redevient poussière. Les artistes ont abondamment représenté le stade ultime, danses macabres et crânes des vanités, mais non pas la transition.

Pierre Bergounioux, « Friches », Les restes du monde, Fata Morgana, p. 39.

David Farreny, 13 mai 2010
épeurai

Porté par un tel élan, j’y fus bientôt, et, sous l’orbe adouci de la lampe, je retrouvai le lieu d’une existence dont la médiocrité m’apparut, brutale, et d’un coup. Rien n’avait changé cependant, et, dans ce sommeil qu’ont les choses la nuit, mes objets familiers demeuraient à leur place, silencieux et prêts à l’usage.

Un reste de feu mourait sous la cendre ; sa lueur dorait le flanc d’un vase, et, çà et là, quelques reliures. Je vis sur ma table le travail commencé, les feuillets noirs, et la plume, et les notes innombrables. Je vis tous ces témoins de mon labeur et de ma foi ; leur inutilité navrante m’apparut, et celle même de ma vie, et son ordre pauvre. Je perçus combien grande était ma faiblesse, et je m’épeurai.

Félix Vallotton, La vie meurtrière, Phébus, pp. 84-85.

David Farreny, 13 juil. 2010
possible

À peu près cinq cents mètres avant l’hôtel, dans un virage, il s’arrêta, ouvrit la portière :

— Je vous lâche. Il n’est pas nécessaire qu’on sache que nous venons de faire ensemble ce bout de chemin. Qu’en pensez-vous ? C’est préférable.

Et, plus doucement, il prit ma main ; il la regarda quelque temps, la maintenant entre ses doigts, la paume ouverte, il la porta lentement à ses lèvres.

— Il faut profiter du moment où les choses sont possibles, dit-il. Encore possibles. Un jour, même l’hypothèse n’est plus possible. Un jour, la possibilité n’existe plus. Vous le saurez, vous aussi. Vous le découvrirez, vous aussi. Un jour, il n’y a plus qu’à marcher devant soi, droit au mur. Mais le regret reste, dit-il. Au bout d’un certain temps, le regret, c’est tout ce qui reste. Allez, sortez.

Dominique Barbéris, Beau Rivage, Gallimard, pp. 126-127.

David Farreny, 16 août 2010
afflux

Car il y avait un si long temps que j’avais goût de ce poème, et ce fut tel sourire en moi de lui garder ma prévenance : tout envahi, tout investi, tout menacé du grand poème, comme d’un lait de madrépore ; à son afflux, docile, comme à la quête de minuit, dans un soulèvement très lent des grandes eaux du songe, quand les pulsations du large tirent avec douceur sur les aussières et sur les câbles.

Saint-John Perse, « Amers », Œuvres complètes, Gallimard, p. 263.

Guillaume Colnot, 3 avr. 2013
caducité

Ç’aura été un perpétuel sujet d’étonnement et de rumination que la caducité de mes desseins les plus fermes, la ruine de projets longuement mûris.

Pierre Bergounioux, Géologies, Galilée, p. 34.

David Farreny, 7 juin 2013
estival

Il fit une partie d’échecs avec lui-même, laissa « l’autre » gagner. Par les battants de fenêtre ouverts on entendait la rivière qui coulait rapide, invisible derrière la digue, de concert avec le crissement des grillons, des trilles, plutôt, bruit qui ne cessait de s’élever du talus, de sortir du sous-bois, des trous de terre, le plus estival des bruits.

Peter Handke, Par une nuit obscure je sortis de ma maison tranquille, Gallimard, p. 53.

Cécile Carret, 21 juil. 2013
terminal

Appliquer et systématiser les réflexions de Virilio : plus de ville, de campagne, plus d’agglomération ni d’aventure urbaine. Une traversée de Paris en voiture vous fait traverser un million de romans, mais ils ont été écrits. Vous allez de chez vous, qui est simplement un terminal pour de multiples appareils électroniques, à un autre appartement qui représente la même chose. Développer.

Philippe Muray, « 5 avril 1984 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, pp. 441-442.

David Farreny, 23 août 2015
langueur

L’ennui est ma passion. Il arrive qu’il se dissipe quelque temps, mais il revient toujours, et c’est pourquoi la vie me paraît aussi trépidante que ses dimanches. Comme me le fit un jour remarquer cet ami qui a le sens de la formule : « Tu sembles traverser les jours dans le sens de la langueur. » Et il est vrai que je me promène en ce monde en traînant la fatigue d’un décalage horaire. Cet état chronique serait tolérable s’il ne me rendait pas inapte aux amusements comme aux activités sérieuses.

Frédéric Schiffter, Sur le blabla et le chichi des philosophes, P.U.F., p. 5.

David Farreny, 14 mai 2024

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