nabots

La musique corrompue par la théorie, la technique, d’où l’effondrement de la personnalité et un rapetissement si brutal des compositeurs qu’on ne saura bientôt plus quel nom donner à ces nabots.

Witold Gombrowicz, Journal (2), Gallimard, p. 165.

David Farreny, 22 mars 2002
déréglage

Soirs ! Soirs ! Que de soirs pour un seul matin !

Îlots épars, corps de fonte, croûtes !

On s’étend mille dans son lit, fatal déréglage !

Henri Michaux, « Plume précédé de Lointain intérieur », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 599.

David Farreny, 13 avr. 2002
tomber

Le sexe en tant qu’institution, en tant que concept général, le sexe en tant que problème, le sexe platitude, c’est tellement assommant que les mots me manquent pour en parler. Laissons tomber le sexe.

Vladimir Nabokov, Partis pris, Julliard, p. 31.

David Farreny, 14 avr. 2002
au-delà

Bourrelée de remords, éperdue, en proie à un désespoir pitoyable, Emma l’adultère — qui déjà tend vers un suicide inéluctable — s’efforce maladroitement d’inciter le prêtre à l’aider à trouver une issue au malheur qui l’accable. Mais le prêtre, un homme simple et pas des plus malins, se borne à tirailler sa soutane souillée de taches, à interpeller d’un air éperdu ses acolytes, et à offrir des platitudes très chrétiennes. Sans rien trahir de sa frénésie, Emma reprend sa route, au-delà de tout réconfort de l’homme ou de Dieu.

William Styron, Face aux ténèbres. Chronique d’une folie, Gallimard, p. 81.

Guillaume Colnot, 15 mai 2002
apartés

C’est fou, ce que je suis plein d’apartés : des consignes que je me donne, des réflexions pour moi seul, des encouragements que je me prodigue, des projets pour l’avenir, des retours, des réflexions en arrière, et énormément de petites explications, et d’élucidations de détail, que je me fournis incessamment. À chaque quart de minute, je me communique un renseignement (ou une conclusion) en aparté. À ne pas écrire et pour ma gouverne.

Henri Michaux, « L’infini turbulent », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 850.

David Farreny, 21 déc. 2003
chose

L’efficacité thérapeutique du pont naissait de son application directe à l’inimitié forte, concentrée de l’endroit.

Il ne mesurait guère plus de six ou sept mètres. À l’extrémité mobile, pour la dilatation, sous la plaque de garde-grève, on devinait le profil en double té des poutres principales. Elles reposaient sur une platine de fer scellée, elle-même, sur le sommier en pierre de taille. Le platelage en tôle striée masquait les entretoises. Mais il était facile de descendre le massif de la culée et on pouvait les voir par-dessous, avec leur contreventement en croix de Saint-André. Les traverses étaient agrafées sur les longerons. Elles étaient renforcées par des cornières de butée qui servaient à lutter, m’expliquerait plus tard le chef de gare, contre l’arrachement produit par le freinage des convois. Le tout était enduit d’une épaisse peinture grise, qui avait dégouliné sur les flancs des poutres et maculait la pierre très tenace — du granite, sans doute — à joints creux, du sommier. Voilà pour la chose.

Pierre Bergounioux, Simples, magistraux et autres antidotes, Verdier, pp. 30-31.

David Farreny, 9 août 2005
remerciait

À l’origine il y eut une découverte ou plutôt une réminiscence — car j’en avais eu deux ans plus tôt le pressentiment : les grands auteurs s’apparentent aux chevaliers errants en ceci que les uns et les autres suscitent des marques passionnées de gratitude. Pour Pardaillan, la preuve n’était plus à faire : les larmes d’orphelines reconnaissantes avaient raviné le dos de sa main. Mais, à croire le Grand Larousse et les notices nécrologiques que je lisais dans les journaux, l’écrivain n’était pas moins favorisé : pour peu qu’il vécût longtemps, il finissait invariablement par recevoir une lettre d’un inconnu qui le remerciait […]. Je m’appliquais à surprendre, au fond de moi-même, cette universelle attente, ma source vive et ma raison d’être ; je me croyais quelquefois sur le point d’y réussir et puis, au bout d’un moment, je laissais tout aller. N’importe : ces fausses illuminations me suffisaient. Rassuré, je regardais au-dehors : peut-être en certains lieux manquais-je déjà. Mais non : c’était trop tôt. Bel objet d’un désir qui s’ignorait encore, j’acceptais joyeusement de garder pour quelque temps l’incognito.

Jean-Paul Sartre, Les mots, Gallimard, pp. 142-145.

David Farreny, 4 janv. 2009
dégoût

Donc, tu ne dois pas penser que je renie ceci ou cela, je suis un espèce de fidèle dans mon infidélité, et quoique étant changé, je suis le même, et mon tourment n’est autre que ceci : à quoi pourrais-je être bon, ne pourrais-je pas servir et être utile en quelque sorte, comment pourrais-je en savoir plus long et approfondir tel et tel sujet ? Vois-tu, cela me tourmente continuellement, et puis on se sent prisonnier dans la gêne, exclu de participer à telle ou telle œuvre, et telles et telles choses nécessaires sont hors de la portée. À cause de cela on n’est pas sans mélancolie, puis on sent des vides là où pourraient être amitié et hautes et sérieuses affections, et on sent le terrible découragement ronger l’énergie morale même, et la fatalité semble pouvoir mettre barrière aux instincts d’affection, et une marée de dégoût qui vous monte. Et puis on dit : «  Jusqu’à quand, mon Dieu !  »

Vincent van Gogh, « Le Borinage, juillet 1880 », Lettres à son frère Théo, Gallimard, p. 99.

David Farreny, 15 juin 2009
forces

« La poésie n’est pas un simple jeu de l’esprit. » À cette note de Reverdy fait écho la déclaration d’André du Bouchet : « Un jeu de langage qui n’est qu’un langage bouclé sur lui-même est complètement stérile. » Éthérer la poésie jusqu’à la réduire à un pur travail de langue revient à en faire une coque vide, belle et complexe sans nul doute, mais décorative comme ces conques exotiques qui s’empoussièrent doucement dans leur vitrine et dans lesquelles les enfants croient qu’ils entendent la mer. La poésie a à voir avec vivre, avec la réalité de vivre, ses tensions, ses éblouissements et ses luttes, ses résistances. Plus précisément, elle demeure ce « bouche-abîme du réel désiré qui manque », elle est « avant tout le fruit de l’insatisfaction » (Reverdy). Je n’écris pas d’abord pour créer de la beauté, ou pour convier à une fête de l’intellect, j’écris pour éviter l’écrasement ou l’engloutissement par le manque. J’écris pour trouver un peu d’air. « Qu’un homme qui écrit déclare qu’il n’a jamais assez d’espace clair, assez de ciel au-dessus de sa tête, et je pense que ce mince détail est plus important, et pourrait en dire plus long, pour ceux qui seraient curieux de le connaître, que de savoir s’il a été peintre en bâtiment ou employé dans une compagnie d’assurance » (Reverdy). Cette masse oppressante, qui rend urgent le poème, non comme une délivrance mais comme un sursis, c’est ce que j’appelle la réalité, qu’elle soit extérieure ou intérieure. Un poète n’est qu’une peau, une sorte de mince tambour entre deux forces de frappe, celle de la mémoire et celle du dehors présent : « on ne peut faire de la surenchère / sur la réalité / il suffit / qu’on y bute » (du Bouchet).

Antoine Émaz, Lichen, encore, Rehauts, p. 89.

Cécile Carret, 4 mars 2010
sonorité

On passait par des villages, on en manquait aussi, qu’on voyait sur le côté avec leur clocher émergeant des maisons au bout d’une vicinale, et de temps en temps également on voyait des vaches, et toujours au loin ces rondeurs boisées qui se rapprochaient parfois et qu’alors on grimpait. Depuis la pause, Claire avait l’air moins tendue, à un moment il m’a semblé la voir de nouveau sourire, ou accueillir en elle un sourire, plutôt, qui lui venait de l’intérieur et qu’elle ne maîtrisait pas. Tout de suite après son visage est devenu impénétrable. Vous allez où, finalement ? a-t-elle dit soudain. Qu’est-ce que vous faites ? Je ne sais pas, ai-je répondu immédiatement, je roule comme ça, je me déplace, je n’ai pas d’a priori. Pour l’instant, je vous l’ai dit, je me dirige vers Mende. Je n’avais pas envie de lui dire que j’allais à Marseille, comme, je m’en rendais compte, je l’avais finalement décidé. D’abord parce que je ne voulais pas qu’elle puisse me situer dans un projet auquel elle aurait pu, peu à peu, adhérer. Ensuite parce que Marseille s’était peu à peu imposé à moi comme mot, et non prioritairement comme destination. J’ignorais comment Marseille, donc, l’avait emporté sur Nice, comment sa sonorité avait pris le devant, mais c’était un fait, je me dirigeais actuellement vers la sonorité de Marseille.

Christian Oster, Rouler, L’Olivier, pp. 65-66.

David Farreny, 22 sept. 2011
probant

Afin de m’assurer que je ne suis pas une ombre, que ma vie n’est pas une illusion, je dresse à bâtons rompus la liste des faits et souvenirs marquants de mon existence avant d’admettre que rien de tout cela n’est aussi probant que le soupir qui conclut cette évocation.

Éric Chevillard, « mardi 2 juillet 2013 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 2 juil. 2013
bouffée

À quelle bouffée d’illusions dois-je cette dégaine exceptionnellement insouciante aujourd’hui ? J’ai la déconcertante impression d’être un autre.

Jean-Luc Sarré, Ainsi les jours, Le Bruit du temps, p. 167.

David Farreny, 30 juin 2014
abstraits

Plaisirs de la chère et de la chair font des souvenirs très abstraits. La mémoire est une archiviste frugale et frigide.

Éric Chevillard, « lundi 7 octobre 2019 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 2 mars 2024

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