Une section de fantassins se repose dans un espace vide entre deux maisons. Les uns sont couchés, dorment. Les autres, debout, contemplent avec indifférence la caravane morcelée dans le village. Je m’approche. Ils ont fait la Somme. J’attends d’eux quelque clarté, quelque espoir. Mais je n’ai devant moi que les soldats mystérieux, les soldats résignés. Je cherche en eux l’âme, le fond, le choix, le désir. Ils ne me livrent pas leur secret. Ils parlent soldat. Ils sont las. Je n’obtiens d’eux que quelques : « Il ne faut pas s’en faire… »
Léon Werth, 33 jours, Viviane Hamy, p. 19.
L’avenir est difficile.
Pierre Bergounioux, « vendredi 2 août 1996 », Carnet de notes (1991-2000), Verdier, p. 738.
On dirait bien là des occupations de vieux, de retraité. Or, jamais je n’ai eu conscience comme maintenant de ma jeunesse ; je suis intact. Plus je reste immobile, plus je retranche d’actions dans mes journées, mieux je sens ma force et ma liberté. Je dois vraiment être un employé modèle, car le strict accomplissement de la tâche fait partie des moyens par lesquels je m’assure la sérénité.
Henri Thomas, Le précepteur, Gallimard, p. 127.
Porté par un tel élan, j’y fus bientôt, et, sous l’orbe adouci de la lampe, je retrouvai le lieu d’une existence dont la médiocrité m’apparut, brutale, et d’un coup. Rien n’avait changé cependant, et, dans ce sommeil qu’ont les choses la nuit, mes objets familiers demeuraient à leur place, silencieux et prêts à l’usage.
Un reste de feu mourait sous la cendre ; sa lueur dorait le flanc d’un vase, et, çà et là, quelques reliures. Je vis sur ma table le travail commencé, les feuillets noirs, et la plume, et les notes innombrables. Je vis tous ces témoins de mon labeur et de ma foi ; leur inutilité navrante m’apparut, et celle même de ma vie, et son ordre pauvre. Je perçus combien grande était ma faiblesse, et je m’épeurai.
Félix Vallotton, La vie meurtrière, Phébus, pp. 84-85.
Toute allégresse a son défaut
Et se brise elle-même.
Si vous voulez que je vous aime,
Ne riez pas trop haut.
Paul-Jean Toulet, Les contrerimes, Gallimard.
Il n’est pas nécessaire que tu sortes de ta maison. Reste à ta table et écoute. N’écoute même pas, attends seulement. N’attends même pas, sois absolument silencieux et seul. Le monde viendra s’offrir à toi pour que tu le démasques, il ne peut faire autrement, extasié, il se tordra devant toi.
Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 485.
Pourquoi l’océan me fait-il penser à ces plaines de Bessarabie,
on y marchait longtemps et c’était long la vie.
Steppe ! ce fond de mer agaçait les narines
l’œil de la terre s’ouvrait sous les paupières marines
on avançait sans avancer et on faisait le point.
Notre marche avançait la distance d’autant.
Benjamin Fondane, « Ulysse », Le mal des fantômes, Verdier, p. 26.
C’est s’abaisser que de déprécier après coup un bonheur perdu.
Jack-Alain Léger, « Memento mori », Ma vie (titre provisoire), Salvy, p. 98.
Pour le chat, n’existe du mur que le faîte qui est aussi sa réfutation.
Éric Chevillard, « samedi 10 septembre 2016 », L’autofictif. 🔗
Ne serait-il pas plus sage d’emprisonner plutôt tous ceux qui n’ont encore tué personne ?
Éric Chevillard, « jeudi 11 avril 2024 », L’autofictif. 🔗
Après toutes ces années passées en tête-à-tête avec le Moi, on ne peut plus le voir en peinture. On aimerait le fuir aussi loin que possible. Peut-être dans les Vosges ? Peut-être à Saint-Dié ? Ça doit être pas mal, Saint-Dié ? Ou peut-être Remiremont ?
Olivier Pivert, « La possibilité des Vosges », Encyclopédie du Rien. 🔗