radieuse

Je ne trouve rien à écrire, je ne sais que flâner autour des lignes dans la lumière de vos yeux, dans l’haleine de votre bouche, comme dans une journée radieuse, une journée qui reste radieuse même si la tête est malade, même si le cerveau est fatigué, même si je dois partir lundi par Munich.

Franz Kafka, Lettres à Milena, Gallimard, p. 36.

David Farreny, 23 mars 2002
Occident

Mais — la rareté du ciel lorsqu’il blanchit, les rues identiques les unes aux autres, le dimanche soir en Occident…

François Rosset, Froideur, Michalon, p. 163.

David Farreny, 15 nov. 2002
museau

Quelques arbres, de la rivière, des barques, une certaine France de la mesure, des petites paresses, nonchalance et maupassaneries. On dirait que l’on caresse le museau d’un veau.

Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 149.

David Farreny, 5 janv. 2006
actes

Lorsqu’après avoir passé le Mohawk, j’entrai dans des bois qui n’avaient jamais été abattus, je fus pris d’une sorte d’ivresse d’indépendance : j’allais d’arbre en arbre, à gauche, à droite, me disant : « Ici plus de chemins, plus de villes, plus de monarchie, plus de république, plus de présidents, plus de rois, plus d’hommes. » Et, pour essayer si j’étais rétabli dans mes droits originels, je me livrais à des actes de volonté qui faisaient enrager mon guide, lequel, dans son âme, me croyait fou.

François-René, vicomte de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe (1), Le livre de poche, p. 246.

Guillaume Colnot, 17 mai 2007
échappée

Puis le temps précipite son cours, brise les cercles où il tournait en rond bien plus qu’il ne passait — celui de la reproduction simple, de l’autarcie, des saisons. Il amorce l’échappée tangentielle, irrésistible qui se poursuit toujours.

Pierre Bergounioux, Les forges de Syam, Verdier, p. 38.

Élisabeth Mazeron, 3 fév. 2008
veille

L’atmosphère ressemblait à une haleine, pour un peu on aurait cru voir le crépuscule, dans la même lumière inchangée depuis toujours ; ce fut la tombée de la nuit sur le rivage sans terre et les reflets sans provenance. La nuit bord à bord avec le niveau de la mer. Car tout cela finit par s’imposer sans être jamais prouvé ; le phénomène se déroule et personne ne consacre des heures de veille à l’étudier, ce qui serait bien vain — mais l’espérance d’un résultat précis, d’une preuve rongée et dissoute déjà…

François Rosset, L’archipel, Michalon, pp. 46-47.

David Farreny, 12 mars 2008
appareillerions

Dans une file, on finit toujours par avancer. Là, non. On n’avançait jamais. On n’avancerait pas. Je commençais à me faire à la pensée que nous resterions bloqués là au moins jusqu’à la nuit. Il était quinze heures, aucun signe ne se manifestait d’un proche déblocage. Je sortis de voiture pour voir la tête des gens dans les leurs. Ils ne semblaient pas céder à l’impatience. Je ressentis une bouffée de haine. J’imaginai que, si on leur avait annoncé leur mort, ils eussent hoché la tête en continuant de se passer la bouteille d’eau. […] Comme j’ouvrais la portière, des véhicules parurent, loin devant, qui venaient d’en face. Notre ferry, que nous ne distinguions toujours pas d’où nous étions, entrait dans la phase de débarquement des passagers sur le continent. Ça se précisait. Il y eut un moment que je ne parvins pas à situer dans le temps, lequel s’était distendu au-delà de toute mesure, où nous avançâmes enfin. Beaucoup plus tard, la file devint double, puis triple. Nous faisions face au ferry, qui nous dominait de toute sa hauteur, la poupe grande ouverte sur le premier niveau de parking. Il y aurait également le moment, je le savais maintenant avec certitude, où nous entrerions là-dedans. Où ça se refermerait. Où nous appareillerions. Nous n’y étions pas. Puis nous y fûmes. Pas tout à fait. Nous n’avions pas encore quitté la voiture. Un membre de l’équipage nous avait guidés pour nous garer. Nous nous trouvions pris dans une sorte d’échiquier dont les pièces se touchaient. Ça sentait fort l’essence.

Christian Oster, Trois hommes seuls, Minuit, p. 83.

Cécile Carret, 21 sept. 2008
blanquette

Bouquet ravissant de genêts de la forêt mêlés au lilas blanc. L’alimentation, c’est rapide ; la cuisine, c’est lent. Demandé à Louise de me faire une blanquette de veau « comme dans mon enfance ». Première conférence sur le morceau de boucherie : jarret, gluant ; collier, trop mou ; on se décide pour l’épaule, malgré mes préventions contre l’épaule, trop nerveuse. 1 h 1/2 de cuisson, avec écumoire à la main ; les herbes, le bouquet, les petits oignons blancs. Un roux avec morilles fraîches, deux jaunes [d’œufs]. (Les morilles sont une erreur ; d’abord 1100 F les 200 g, puis elles disparaissent ; il eût fallu de gros champignons de Paris.) Une heure plus tard, c’est prêt. Je constate que je n’aime pas la blanquette.

Paul Morand, « 17 mai 1970 », Journal inutile (1), Gallimard, pp. 395-396.

David Farreny, 25 mai 2009
mécanismes

Un noir à se crever le tympan à force d’écouter. Il était souvent obligé de se lever. Pas d’autre bruit que le vent dans les arbres dépouillés et noircis. Il se levait et titubait dans cette froide obscurité autiste, les bras tendus devant lui pour trouver son équilibre tandis que les mécanismes vestibulaires faisaient leurs calculs dans son crâne. Une vieille histoire. Trouver la station verticale. Aucune chute qui ne soit précédée d’une inclinaison. Il entrait à grandes enjambées dans le néant, comptant les pas pour être sûr de pouvoir revenir. Yeux fermés, bras godillant. Verticale par rapport à quoi ? Une chose sans nom dans la nuit, filon ou matrice. Dont ils étaient lui et les étoiles un satellite commun. Comme le grand pendule dans sa rotonde transcrivant tout au long du jour les mouvements de l’univers dont on peut dire qu’il ne sait rien et qu’il doit connaître pourtant.

Cormac McCarthy, La route, L’Olivier, p. 29.

David Farreny, 18 mai 2011
repas

– Je vais te nourrir au sein, mon enfant, dit l’ogresse à son nouveau-né. Une inquiétude passa sur le visage du bébé : ça ne ferait jamais que deux repas.

Éric Chevillard, « lundi 1er septembre », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 12 sept. 2014
compassion

Suite de ma note d’hier. Il s’agit au fond toujours du principe selon lequel il est bon de penser aux autres et vivre pour eux. Incompréhensible, dit Nietzsche, pour les représentants de la moralité antique (Épictète), luttant toute leur vie contre la compassion et pour eux-mêmes, et qui penseraient sans doute que c’est parce que nous nous trouvons pour nous-mêmes épouvantablement ennuyeux, que nous pensons aux autres plutôt qu’à nous.

Philippe Muray, « 26 août 1986 », Ultima necat (II), Les Belles Lettres, pp. 152-153.

David Farreny, 10 mars 2016

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