déréglage

Soirs ! Soirs ! Que de soirs pour un seul matin !

Îlots épars, corps de fonte, croûtes !

On s’étend mille dans son lit, fatal déréglage !

Henri Michaux, « Plume précédé de Lointain intérieur », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 599.

David Farreny, 13 avr. 2002
étalé

Le comble est que je ne me souviens pas si pour ma part je suis arrivé jusqu’à l’orgasme. Mais peu importe : l’orgasme est étalé sur les mois et sur les années, multiplié par le souvenir et par son immanquable effet, attesté hier encore et ce matin, à l’instant, à cause de ces phrases même — le point de renversement égaré étant atteint sur le mélange d’une sensation visuelle étroite, obscure et vaporeuse, très rapprochée et d’une sensation tactile, procédant plus exactement du toucher, à la fois, et du goût, celle que me donnaient ma langue et mes lèvres, avançant sur les poils en sueur, très denses, du haut du dos de cet inconnu, entre son épaule et sa nuque.

Renaud Camus, « mercredi 14 avril 1993 », Graal-Plieux. Journal 1993, P.O.L., p. 94.

Élisabeth Mazeron, 12 août 2003
excellent

Soleil à 9 h du soir, qui devient chaud vers 10 h. Ces crépuscules interminables comme on en voit d’avion, l’été, en allant en Amérique. La marée basse, les longues laisses noires des récifs noircis par le varech humide, qui n’ont jamais le temps de sécher, entre deux marées. Les bateaux échoués, qui dorment sur le côté, leur mât qui se relève du sable, avec le flot ; les caps, nez allongé comme crocodiles en sommeil, des îles apparaissent, insoupçonnées. À 10 h, un soleil rouge comme bombe atomique descend dans une eau calme d’étang ; où la marée va-t-elle trouver la force de se gonfler de 7 mètres de haut ; elle s’arrête au même endroit, excellent, au bord du sable chaud et blanc.

Paul Morand, « 22 juin 1975 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 555.

David Farreny, 6 sept. 2010
suffit

Le dimanche, tout beau dimanche d’hiver qu’il soit, n’est pas le meilleur jour, bien sûr, pour dépasser Pitti et monter vers le ciel, du côté de San Miniato. Mais j’étais de si bonne humeur que la foule même, pourtant familiale et hinarce au possible, trouvait grâce à mes yeux. J’avais tiré trois coups la nuit d’avant, plutôt gentils chacun. Je pouvais me passer pour un moment d’autres engouements de la chair. D’ailleurs, à peine redescendu parmi les bugnes, les tourelles d’angle et les fenêtres géminées, j’ai rencontré vers la place de la République un aimable Sicilien qui avait tenu la veille, dans une scène d’orgie douce au Crisco, un rôle non négligeable. Nous avons marché côte à côte, parlant d’Agrigente et de Strasbourg, de part et d’autre de l’Arno. Il ne voulait pas me croire : mais jamais Rome n’offrirait rien de pareil, ces faciles accords, cette camaraderie sans empois, ces sourires qui volettent dans la foule, cette reconnaissance de la peau, ces légères accordailles des regards. Tout cela, dit-il, est illusoire. Sans doute. Mais l’illusion suffit au voyageur, quand elle dure autant que lui. Je ne fais que passer.

Renaud Camus, « lundi 26 janvier 1987 », Vigiles. Journal 1987, P.O.L., pp. 29-30.

David Farreny, 9 oct. 2010
riches

Ils me regardent comme si j’étais en train d’accomplir des actes riches en enseignements. Tel n’est pas le cas. Je suis en train de crever, c’est tout.

Michel Houellebecq, « Loin du bonheur », Configuration du dernier rivage, Flammarion, p. 24.

David Farreny, 17 avr. 2013
divisant

Quand nous arrivâmes au sommet de l’Egger-Berg, le soleil se couchait dans une vapeur grisâtre et légère. Les montagnes du fond étaient sombres, l’aspect du pays calme, la mer immobile. Cette grande étendue était muette, aucun mouvement dans le port, on voyait seulement une petite barque rentrer à l’approche de la nuit.

Ce point de vue est un des plus beaux de l’univers.

Regardez-vous du côté de la mer ? les formes arrondies de la plage, la mollesse des contours, les longs promontoires, doucement abaissés, permettraient de penser à Naples, si un autre soleil les éclairait. Il faut avouer que c’est une chose étrange et belle à voir, que le golfe de Baia baignant les montagnes du canton d’Uri.

En général, on se plaint de n’avoir pas une idée vraie de l’immensité de la mer, parce que rien n’offre à l’œil un point de comparaison pour mesurer son étendue ; mais ici cette foule d’accidents que produisent les anfractuosités du golfe, les pointes, les langues de terre, les récifs dont il est semé, rendent l’immensité sensible et l’agrandissent en la divisant.

Jean-Jacques Ampère, Littératures et voyages. Esquisses du Nord, Didier.

David Farreny, 21 avr. 2013
optimates

À vrai dire, pour créer un tel équilibre, il fallait un esprit aussi libre que l’était frère Othon. Il avait pour principe de traiter les hommes qui nous approchaient comme autant de rares trouvailles découvertes au fil d’un long voyage. Il aimait aussi nommer les hommes les optimates, signifiant par là que tous autant qu’ils sont, ils forment l’aristocratie naturelle de ce monde et que chacun d’eux peut nous apporter l’excellent. Il les concevait comme des réceptacles du merveilleux, et, créatures suprêmes, il leur accordait des droits princiers. Et réellement, je voyais tous ceux qui l’approchaient s’épanouir comme des plantes qui s’éveillent du sommeil hivernal, non point qu’ils devinssent meilleurs, mais parce qu’ils devenaient davantage eux-mêmes.

Ernst Jünger, Sur les falaises de marbre, Gallimard, p. 28.

Cécile Carret, 27 août 2013
malveillance

Pour écrire, de nombreuses qualités ne sont pas forcément nécessaires. Il faut seulement beaucoup d’amour ou beaucoup de malveillance. J’ai peur que dans mon cas ce soit la seconde solution. Mais qu’importe, si la malveillance s’applique à consumer quelque chose qui, légitimement, doit être objet de haine…

Philippe Muray, « 26 mars 1984 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, p. 439.

David Farreny, 23 août 2015
prononcer

Ces pays dont on ne sait trop comment prononcer le nom, par exemple la Bouriatie, sont irritants au plus haut degré. On voudrait n’être jamais venu au monde.

Olivier Pivert, « Bouriatie », Encyclopédie du Rien. 🔗

David Farreny, 26 avr. 2024

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