sache

Je ne sache pas qu’il y ait un sens à la vie.

Pierre Bergounioux, La casse, Fata Morgana, p. 9.

David Farreny, 23 mars 2002
cadavre

On n’a jamais retiré un cadavre de l’Amazone.

On n’a jamais trouvé un cadavre dans l’Amazone.

Henri Michaux, « Ecuador », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 228.

David Farreny, 3 mars 2008
certaine

Tous les jours il faudrait évoquer — par écrit, peut-être —, afin d’oublier aussi peu que possible, afin d’habiter la terre avec toute l’acuité dont nous sommes capable, afin d’adhérer autant que faire se peut à notre histoire et bien sûr à notre géographie, un lieu du monde, pas nécessairement d’une beauté particulière, mais qui, pour une raison ou pour une autre, et souvent sans raison que nous soyons à même de démêler, s’obstine en nous, revient dans nos rêves, hante nos demi-sommeils et nos songeries involontaires. Qu’il soit aujourd’hui certaine ferme haute, entre Hermitage Castle et le hameau de Burnfoot, près de Tudhope Hill, à l’est de la route qui mène de Langholm à Hawick, dans les Cheviots, aux confins de l’ancien Roxburghshire et du Dumfriesshire (aujourd’hui des Borders et du comté de Dumfries & Galloway).

Renaud Camus, « samedi 6 août 2005 », Le royaume de Sobrarbe. Journal 2005, Fayard, p. 414.

David Farreny, 20 janv. 2009
incréée

Une figure pédantesque, incréée, marchait parmi les ombres qui environnaient mon père et qui s’ingénièrent à lui dérober, presque, le monde des vivants, la lumière du soleil. Il ne s’est pas soucié de me les présenter. La contrariété, l’ennui consubstantiels à mes jeunes années en auraient été éclaircis. Le grès embouti, les schistes pliés, l’espèce de sinistre où je me trouvais pris n’auraient pas été moins fâcheux. Mais ç’aurait été normal, me sachant autre, en pays étranger.

Pierre Bergounioux, Le premier mot, Gallimard, p. 23.

Élisabeth Mazeron, 5 mai 2010
élastique

riant du guépard si véloce que son train arrière a du mal à le suivre et que son flanc élastique s’étire tant que, lorsqu’il s’arrête enfin, le corps distendu du félin mesure la longueur de sa course, puis son arrière-train l’assomme

Éric Chevillard, Le vaillant petit tailleur, Minuit, p. 21.

Cécile Carret, 25 avr. 2011
malaise

Il suffisait de refuser poliment. Au lieu de quoi j’ai montré mon hésitation, dans laquelle l’homme s’est engouffré. Allez, allez, a-t-il dit. J’ai commencé à comprendre que, lorsqu’il n’étouffait plus, il devenait jovial. J’entends qu’il avait un fond jovial. La femme, elle, avait l’air toujours triste, si bien qu’entre les deux je n’aurais pas su dire ce qui me semblait le pire, de la jovialité ou de la tristesse, sauf qu’en l’occurrence il ne s’agissait pas de choisir, il s’agissait de jovialité et de tristesse, l’une s’inscrivant en contraste avec l’autre, accusant l’autre, la rendant insupportable, sans parler du mélange des deux, évidemment, qui produisait de son côté un effet de malaise, incapable que se trouvait leur interlocuteur de savoir s’il devait s’apitoyer ou sourire, sachant que par ailleurs la jovialité n’a jamais fait, à ma connaissance, sourire personne.

Christian Oster, Rouler, L’Olivier, p. 33.

Cécile Carret, 27 sept. 2011
réussi

Parfois aussi il se demande si

ce lui serait très dur de disparaître

sans qu’il ait pu, dans l’eau des choses, être

le long reflet d’un calme réussi.

Benjamin Fondane, « Au temps du poème », Le mal des fantômes, Verdier, p. 227.

David Farreny, 2 juil. 2013
signes

Le corbeau gesticulait, de profil, à l’extrémité de l’un des rameaux, l’arrondi d’un fruit au bec – le jardin était parsemé de fruits tombés de toute provenance, morceaux de mangue, de lychees, de kiwis –, les ailes ébouriffées et entremêlées, pliées, plissées, élancées de maintes façons, comme s’il en avait bien plus que cette seule paire, ou bien y avait-il plusieurs corbeaux, là à la fois en tas ? à se manger les plumes les uns les autres ?

« Corbeau, viens et parle. » Et le corbeau arriva de la couronne de l’arbre et atterrit sur la table du jardin à côté du livre ouvert et du café Blue Mountains, d’abord de la tête et des ailes il fit une série de signes muets puis il dit : « … »

Lorsqu’il s’envola, à sa place, sur la table une grosse larve faisait le gros dos. Il puait du bec et avait des taches claires à la tête. « Allume enfin la mèche ! » avait-il dit entre autre et quelque chose comme l’extrémité d’une mèche était apparu à côté du jeu de fléchettes rouillé depuis longtemps – il l’alluma comme il lui avait été ordonné. « Et coupe le pain à la main, pas à la machine ! » Et véritablement, lorsqu’il fit comme on lui en avait donné l’ordre, il lui sembla trancher le pain du petit déjeuner pour d’autres.

Peter Handke, Par une nuit obscure je sortis de ma maison tranquille, Gallimard, p. 60.

Cécile Carret, 21 juil. 2013
compter

Notre intelligence, certes, élucide les énigmes, éclaire les zones d’ombre, démêle les imbroglios les plus complexes, mais tout aussi sûrement on peut compter sur elle pour embrouiller les situations simples et trouver des nœuds dans l’eau.

Éric Chevillard, « mercredi 12 juin 2013 », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 12 sept. 2014
y

Étrange lieu que la solitude – sans issue lorsque l’on s’y trouve ; sans accès lorsque l’on n’y est pas.

Éric Chevillard, « jeudi 13 juin 2013 », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 12 sept. 2014
moraines

How little there has remained in me of my native country, constate le chroniqueur en passant en revue les rares souvenirs qui lui sont restés et qui suffisent à peine à rédiger la nécrologie d’un garçon disparu. La crinière d’un lion prussien, une bonne d’enfant prussienne, des cariatides portant la sphère terrestre sur leurs épaules, les bruits mystérieux de la circulation et les coups de klaxons remontant de la Lietzenburgerstrasse jusque dans l’appartement, le crissement de la conduite de chauffage central derrière le papier peint, dans le coin sombre où l’on devait se tenir face au mur lorsqu’on était puni, l’odeur infecte de l’eau de lessive dans la buanderie, un jeu de bille dans un espace vert à Charlottenburg, le café de malt, le chou-rave, l’huile de foie de morue et les bonbons à la framboise qu’il était défendu de prendre dans la boîte en argent de grand-maman Antonina — n’étaient-ce que des phantasmes, des fictions totalement inconsistantes ? Les sièges de cuir dans la Buick de grand-papa, l’arrêt de bus Hasensprung dans le Grunewald, la côte de la Baltique, Heringsdorf, une dune de sable entourée de pur néant, the sunlight and how it fell… Lorsque quelque fragment de cette sorte émerge des profondeurs par suite d’un glissement dans la vie de l’âme, on pense toujours qu’on va pouvoir se rappeler. Mais en réalité, on ne se rappelle évidemment pas. Trop d’édifices se sont écroulés, trop de gravats se sont accumulés, insurmontables sont les dépôts sédimentaires et les moraines.

Winfried Georg Sebald, Les anneaux de Saturne, Actes Sud, pp. 208-209.

David Farreny, 29 janv. 2015

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