viendra

L’avenir viendra d’une longue douleur et d’un long silence.

Cesare Pavese, Le métier de vivre, Gallimard, p. 38.

David Farreny, 24 mai 2003
règle

Les premières journées d’un séjour en un lieu nouveau ont un cours jeune, c’est-à-dire robuste et ample — ce sont environ six à huit jours. Mais ensuite, dans la mesure même où l’on « s’acclimate », on commence à les sentir s’abréger ; quiconque tient à la vie, ou, pour dire mieux, quiconque voudrait tenir à la vie, remarque avec effroi combien les jours commencent à devenir légers et furtifs ; et la dernière semaine — sur quatre, par exemple — est d’une rapidité et d’une fugacité inquiétantes. Il est vrai que le rajeunissement de notre conscience du temps se fait sentir au-delà de cette période intercalée, et joue son rôle, encore après que l’on est revenu à la règle : les premiers jours que nous passons chez nous, après ce changement, paraissent, eux aussi, neufs, amples et jeunes, mais quelques-uns seulement : car on s’habitue plus vite à la règle qu’à son interruption, et lorsque notre sens de la durée est fatigué par l’âge, ou — signe de faiblesse congénitale — n’a pas été très développé, il s’assoupit très rapidement, et au bout de vingt-quatre heures déjà, c’est comme si l’on n’était jamais parti et que le voyage n’eût été que le songe d’une nuit.

Thomas Mann, La montagne magique, Fayard, pp. 121-122.

David Farreny, 3 juin 2007
choisi

J’ai hésité entre reprendre la plume et maçonner et, lâchement, choisi les obtuses fatigues du terrassement.

Pierre Bergounioux, « dimanche 19 mai 1991 », Carnet de notes (1991-2000), Verdier, p. 44.

David Farreny, 20 nov. 2007
colorier

Impossible que j’écrive sans me couper de l’extérieur pendant de longues périodes ; les promenades, les visites me troublent plusieurs jours, où mon texte flotte, répugnant, superflu, méconnaissable. Écrire est très malsain ; le recel et le contrôle de parole que cela exige sont un enfer quand on aime un peu vivre. Je ne veux pas penser que si un art doit torturer, isoler ceux qui le pratiquent, c’est qu’il est vieux, trop vieux, trop implacablement policé par un réseau trop serré d’exigences. Ou croire que les modestes réussites d’aujourd’hui sont arrachées au prix de plus de sacrifices et de tourments que les chefs-d’œuvre d’hier. Mais, qu’on s’impose de faire sérieusement un ouvrage, aucun art où le résultat soit toujours aussi imparfait, aussi discutable, et souvent ignoré ou haï : c’est comme si on se vidait de tout son sang pour colorier un chiffon sans valeur. La littérature est sans doute bien malade, si elle ne survit que dans de plates parodies rédigées comme on téléphone, ou quelques livres qui détruisent à demi ceux qui les font. Du moins, ce métier archaïque, je l’aime et je n’en veux pas d’autre.

Tony Duvert, Journal d’un innocent, Minuit, p. 55.

Cécile Carret, 6 déc. 2008
soustraction

Louis Armand, à la télévision, L’invité du dimanche. Parle de tout avec faconde : « Ce petit Larousse illustrant. » Mélange d’autodidactisme et de mysticisme maçonnique ; et teilhard-de-chardinesque ; je croyais entendre mon maître d’hôtel Raymond, technicien généralisateur, et mon gardien Annest, intarissables sur tout. Et aussi mon cousin Jean Zafiro qu’on peut mettre sur n’importe quel sujet ; on s’assied à table : Hélène et moi, cent fois, nous nous amusâmes à le lancer à l’aveuglette, en nous étant donné le mot, sur l’évolution du fer à cheval, ou l’analyse spectrale des planètes : le cours (avec beaucoup d’assurance, de vanteries, de souvenirs, vrais ou faux) dure jusqu’au café. « C’est un imbécile, il a réponse à tout. » Ce mot de Voltaire m’a toujours frappé : une accumulation prodigieuse, un amas de connaissances encyclopédiques… se soldant par une soustraction.

Paul Morand, « 12 octobre 1969 », Journal inutile (1), Gallimard, p. 279.

David Farreny, 25 mai 2009
cristal

Alors qu’on voit sur Mercure, sur Vénus, des nuages, des vicissitudes atmosphériques vivantes, la Lune est dépourvue de nuages, de mers, de fleuves, et, pourtant, des nappes d’eau, des filons d’argent se laissent très bien reconnaître en elle. On voit fréquemment sur la Lune des points lumineux passagers, que l’on tient pour des éruptions volcaniques ; il faut assurément pour cela une sorte d’air, mais qui soit une atmosphère sans eau. Heim, le frère du médecin, s’est efforcé de montrer que, si l’on se représente la Terre d’avant les révolutions géologiques prouvables, elle a la figure de la Lune. La Lune est le cristal sans eau qui cherche, en quelque sorte, à s’intégrer à notre mer, à étancher la soif de sa rigidité, et, pour cette raison, provoque flux et reflux. La mer s’élève, elle est sur le point de s’enfuir vers la Lune, et la Lune est sur le point de l’attirer à elle.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel, « Des manières de considérer la nature (additions) », Encyclopédie des sciences philosophiques, II. Philosophie de la nature, Vrin, p. 403.

David Farreny, 28 fév. 2011
résonance

Tout était changé, mes résistances enfoncées. Je ne comprenais plus comment j’avais pu me refuser cette joie, cet enrichissement de mon monde intérieur. C’est sans doute Bach qui était le plus convaincant, parce que le plus surprenant et inouï. Le rythme, les mélodies et leurs variations, la composition lisible au moins dans ses grandes lignes, et très clairement, la coexistence d’une simplicité mélodique et de réserves de complexité, j’avais espéré cela. […] L’ennui, Bach révélait qu’il était riche de formes virtuelles, du goût de vivre et de la joie d’avoir un espace de résonance en soi, l’ennui était fait pour accueillir ça, Bach, « ça » en révélait la profondeur, qui jusqu’alors semblait n’être qu’une inertie mentale dans laquelle les pensées tournaient en rond.

Pierre Pachet, Sans amour, Denoël, p. 45.

Cécile Carret, 13 mars 2011
il

Aujourd’hui, il sort de la forêt de bon matin, un blaireau sur l’épaule. Il descend vers Rouen. Dans la rue, les gens se retournent sur lui : c’est un colosse, un géant. Sous sa tignasse gris-jaune, sourit une tête d’enfant à la peau bien lisse. Ses jambes sont longues et minces, il a des fesses de danseuse et le torse court, étroit et incroyablement épais. Le plus étrange chez lui, ce sont ses mains, qui au bout de jambons démesurés sont d’une telle finesse qu’elles semblent conçues pour de la dentelle. Il avance en chaloupant, et il pue.

Julien Péluchon, Pop et Kok, Seuil, p. 25.

Cécile Carret, 9 mars 2012
apparaître

Cela doit apparaître tout autrement aux barbus.

Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 192.

David Farreny, 11 déc. 2014
éviter

Le livre nous permet d’éviter la conversation avec les disciples.

Nicolás Gómez Dávila, Nouvelles scolies à un texte implicite (2), p. 83.

David Farreny, 27 mai 2015
apocalypse

Avec ses dix siècles de terreurs, de ténèbres et de promesses, elle était plus apte que quiconque à s’accorder au côté nocturne du moment historique que nous traversons. L’apocalypse lui sied à merveille, elle en a l’habitude et le goût, et s’y exerce aujourd’hui plus que jamais, puisqu’elle a visiblement changé de rythme. « Où te hâtes-tu ainsi, ô Russie ? » se demandait déjà Gogol qui avait perçu la frénésie qu’elle cachait sous son apparente immobilité. Nous savons maintenant où elle court, nous savons surtout qu’à l’image des nations au destin impérial, elle est plus impatiente de résoudre les problèmes des autres que les siens propres.

Emil Cioran, « Histoire et utopie », Œuvres, Gallimard, pp. 457-458.

David Farreny, 17 mars 2024

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