conservatoire

Il faut donc dire que la même source de perturbations, de « bruit » qui, dans un système non vivant, c’est-à-dire non réplicatif, abolirait peu à peu toute structure, est à l’origine de l’évolution dans la biosphère, et rend compte de sa totale liberté créatrice, grâce à ce conservatoire du hasard, sourd au bruit autant qu’à la musique : la structure réplicative de l’ADN.

Jacques Monod, Le hasard et la nécessité. Essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne, Seuil, p. 152.

Guillaume Colnot, 14 avr. 2002
fustigé

J’ai longé la clôture jusqu’à ce qu’elle s’interrompe. J’ai continué. Il m’a semblé que le temps glissait plus mal. J’ai poussé plus fort sur mes jambes. La neige était infestée de branches mais c’était prévu, normal. C’étaient les dernières images. Je savais depuis le commencement qu’à la fin je serais fustigé. La fuite recommencée du temps était âpre. J’ai pu observer une pause. Je savais qu’elle ne serait qu’une pause et non un artifice de l’indolence, de l’oubli où l’on voudrait vivre toujours.

Pierre Bergounioux, La maison rose, Gallimard, p. 124.

Élisabeth Mazeron, 15 sept. 2004
reposoir

Mon sentiment géographique est le reposoir de toutes mes fidélités.

Renaud Camus, « dimanche 18 mai 1980 », Journal d’un voyage en France, Hachette/P.O.L., p. 247.

David Farreny, 30 juil. 2005
rien

Quoique je ne fusse pas absolument convaincu, je me pliai à la suggestion de Kontcharski de laisser là la chaise, et nous nous en fûmes, la pensée me venant que notre voyage, pour s’effectuer sur l’eau, ne devait pas moins, à des fins de distraction, se dérouler à pied, d’un pont à un autre, et jusque dans les coins et recoins du navire, dont nous commençâmes à découvrir la cafétéria, donc, avec son bar et ses plateaux, ses tables entièrement occupées par des gens qui ne consommaient rien et qui, par les vitres ensalées, ne regardaient rien, ces gens, par conséquent, leur étalement dans un espace qu’ils se contentaient d’investir sans y rien regarder non plus, pas même leurs semblables, le relâchement de leur posture, leur indifférence à tout ce qui n’était pas le confort, illusoire, dont ils s’acharnaient à jouir jusqu’au bout, devenant pour nous un sujet d’affliction puis d’échange, c’est éprouvant, même, estima Marc, vous ne trouvez pas ? Et ils ont des enfants, enchaîna Kontcharski.

Christian Oster, Trois hommes seuls, Minuit, p. 89.

Cécile Carret, 21 sept. 2008
exquis

La résistance du bois n’est pas la même selon l’endroit où l’on enfonce le clou : le bois n’est pas isotrope. Moi non plus ; j’ai mes «  points exquis  ». La carte de ces points, moi seul la connais, et c’est d’après elle que je me guide, évitant, recherchant ceci ou cela, selon des conduites extérieurement énigmatiques ; j’aimerais qu’on distribuât préventivement cette carte d’acupuncture morale à mes nouvelles connaissances (qui, au reste, pourraient l’utiliser aussi pour me faire souffrir davantage).

Roland Barthes, Fragments d’un discours amoureux, Seuil, p. 111.

Élisabeth Mazeron, 10 déc. 2009
frime

Quand on a écrit La Comédie humaine, on sait que ce n’était rien, la littérature : seulement cette frime nocturne, ces larmes qu’on s’arrache, ce putsch de l’incipit et ce vouloir qui vous tire en avant, vers la fin, ce corps qu’on troue de caféine, cette espérance mortelle.

Pierre Michon, « Le temps est un grand maigre », Trois auteurs, Verdier, p. 30.

Élisabeth Mazeron, 2 juil. 2010
tapotant

Le son particulier que produit la matière dépend de la nature de la cohérence qu’elle possède ; et ces différences spécifiques ont aussi une connexion avec l’acuité et gravité du son. […] Pour ce qui concerne le premier point, les métaux, par exemple, ont leur timbre spécifique déterminé, comme un timbre d’argent et un timbre de bronze. Des bâtons de même épaisseur et de même longueur, mais de matière différente, donnent des sons différents ; l’os de baleine donne un la, l’étain un si, l’argent un dans l’octave supérieure, des felles de Cologne un mi, le cuivre un sol, le verre un do dans une octave encore plus haute, le bois de sapin un ut dièse, etc., ainsi que Chladni en a fait l’observation. Ritter — je me rappelle — a fait de nombreuses recherches sur le son des diverses parties de la tête, pour savoir où elle sonnait plus creux, et, en tapotant ses divers os, il a trouvé une diversité de sons, qu’il a ordonnée, selon une échelle déterminée. Il y a ainsi aussi des têtes tout entières qui sonnent creux ; mais cette dernière façon de sonner creux n’entra pas alors en ligne de compte. Pourtant, la question se poserait de savoir si les diverses têtes de ceux que l’on appelle des têtes creuses ne sonnent pas effectivement plus creux.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel, « Des manières de considérer la nature (additions) », Encyclopédie des sciences philosophiques, II. Philosophie de la nature, Vrin, p. 436.

David Farreny, 28 fév. 2011
lois

Le sapin se replante de lui-même, regagne après quelque temps sur les collines abandonnées. Le cycle est le suivant : le genêt s’installe en premier, puis dans la terre remuée, ouverte par ses racines, s’installe la graine du mélèze qui pousse sans ombre, et même en terrain sec. Lorsque le mélèze atteint 80 centimètres, la graine du sapin, ou de l’épicéa, s’installe dans son ombre, pousse – sa croissance est beaucoup plus rapide que celle du mélèze –, tue le mélèze qui avait déjà tué le genêt, et grandit. Sélection naturelle parmi les sapins, les mauvais sujets sont éliminés, les bons se développent – la fréquentation des forêts rend très sage. Certaines lois naturelles s’y expriment à un tel degré d’évidence qu’il est impossible de ruser avec les résultats.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 62.

Cécile Carret, 18 juin 2012
mot

Le lecteur, dans ces après-midis passés sur le haut plateau, ne cessait de payer un tribut toujours renouvelé à l’épopée – et aussi de rire : non du rire par lequel on se moque, mais de celui qui accompagne la découverte et le jeu. Oui, il existait, le mot unique pour le coin de clarté dans un ciel nuageux, les folles allées et venues des bovins quand le taon les pique par temps de canicule, le feu qui soudain jaillit du poêle, le jus des poires cuites, la tache sur le front d’un taureau, l’homme qui essaie de se dégager de la neige à quatre pattes, la femme qui met ses robes d’été, le clapotis du liquide dans un seau à moitié vide, le ruissellement de la semence quittant la capsule du fruit, le ricochet du galet à la surface de l’étang, les langues de glace sur l’arbre hivernal, l’endroit trop cru de la pomme de terre bouillie et la flaque sur un sol argileux. Oui, c’était cela, le mot !

Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 162.

Cécile Carret, 21 sept. 2013
licite

On peut attaquer un philosophe, polémiquer avec n’importe qui. S’en prendre à un écrivain est beaucoup plus grave. Je ne peux pas tomber sur un écrivain (mort ou vivant) comme je tomberais sur n’importe qui. Il y faut une loi. L’attaque d’un écrivain devient licite dès lors qu’il se conduit en thérapeute social, en médecin du monde, guérisseur sans frontières.

Philippe Muray, « 17 avril 1982 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, p. 166.

David Farreny, 2 mars 2015

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