moralité

Autre signe de ce Jules César : tous les visages suent sans discontinuer : hommes du peuple, soldats, conspirateurs, tous baignent leurs traits austères et crispés dans un suintement abondant (de vaseline). Et les gros plans sont si fréquents, que, de toute évidence, la sueur est ici un attribut intentionnel. Comme la frange romaine ou la natte nocturne, la sueur est, elle aussi, un signe. De quoi ? de la moralité. Tout le monde sue parce que tout le monde débat quelque chose en lui-même ; nous sommes censés être ici dans le lieu d’une vertu qui se travaille horriblement, c’est-à-dire dans le lieu même de la tragédie, et c’est la sueur qui a charge d’en rendre compte : le peuple, traumatisé par la mort de César, puis par les arguments de Marc-Antoine, le peuple sue, combinant économiquement, dans ce seul signe, l’intensité de son émotion et le caractère fruste de sa condition. Et les hommes vertueux, Brutus, Cassius, Casca, ne cessent eux aussi de transpirer, témoignant par là de l’énorme travail psychologique qu’opère en eux la vertu qui va accoucher d’un crime. Suer, c’est penser (ce qui repose évidemment sur le postulat, bien propre à un peuple d’hommes d’affaires, que : penser est une opération violente, cataclysmique, dont la sueur est le moindre signe).

Roland Barthes, « Mythologies », Œuvres complètes (1), Seuil, p. 692.

David Farreny, 5 déc. 2004
scories

Cycle des scories, le dernier : le nôtre, le gauchisme.

Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 44.

David Farreny, 1er janv. 2006
galaxies

Aboie petit chien

dans la nuit aboie

bon petit chien de garde

garde bien tes maîtres

ta pâtée et les

galaxies

Jean-Pierre Georges, Je m’ennuie sur terre, Le Dé bleu, p. 65.

David Farreny, 16 juin 2006
rire

Ah ! Ah ! Ah ! Yélé, oh, Yélé ! Le feu l’a grillé, le gros Ézuzum, le feu l’a tué, le gros Ézuzum, le feu l’a mangé, le gros Ézuzum. Ah ! Ah ! Ah ! Yélé, ho ! Yélé ho ! Le feu l’a mangé, kri kri kri, celui qui voulait nous manger ! Où est son grand couteau, l’eau et la marmite. Ah ! Ah ! Ah ! Nous allons rire. Merci Ngemanduma. Nous allons rire.

Christophe Tarkos, « Processe », Écrits poétiques, P.O.L., p. 113.

David Farreny, 21 mai 2009
pensé

L’incident est futile (il est toujours futile) mais il va tirer à lui tout mon langage. Je le transforme aussitôt en événement important, pensé par quelque chose qui ressemble au destin. C’est une chape qui tombe sur moi, entraînant tout. Des circonstances innombrables et ténues tissent ainsi le voile noir de la Maya, la tapisserie des illusions, des sens, des mots. Je me mets à classer ce qui m’arrive. L’incident, maintenant, va faire pli, comme le pois sous les vingt matelas de la princesse ; telle une pensée diurne essaimant dans le rêve, il sera l’entrepreneur du discours amoureux, qui va fructifier grâce au capital de l’Imaginaire.

Roland Barthes, Fragments d’un discours amoureux, Seuil, p. 83.

Élisabeth Mazeron, 9 déc. 2009
temps

Il nous reste si peu de temps qu’il nous faut aller lentement.

Helmut Lachenmann.

David Farreny, 27 mars 2010
marquées

Nos relations dès le début furent marquées par l’absence totale d’agressivité et par une sorte de camaraderie peu expansive, telle qu’elle se développe entre gueux après une catastrophe cosmique ou longtemps avant la révolution mondiale.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 83.

Cécile Carret, 10 sept. 2010
tapotant

Le son particulier que produit la matière dépend de la nature de la cohérence qu’elle possède ; et ces différences spécifiques ont aussi une connexion avec l’acuité et gravité du son. […] Pour ce qui concerne le premier point, les métaux, par exemple, ont leur timbre spécifique déterminé, comme un timbre d’argent et un timbre de bronze. Des bâtons de même épaisseur et de même longueur, mais de matière différente, donnent des sons différents ; l’os de baleine donne un la, l’étain un si, l’argent un dans l’octave supérieure, des felles de Cologne un mi, le cuivre un sol, le verre un do dans une octave encore plus haute, le bois de sapin un ut dièse, etc., ainsi que Chladni en a fait l’observation. Ritter — je me rappelle — a fait de nombreuses recherches sur le son des diverses parties de la tête, pour savoir où elle sonnait plus creux, et, en tapotant ses divers os, il a trouvé une diversité de sons, qu’il a ordonnée, selon une échelle déterminée. Il y a ainsi aussi des têtes tout entières qui sonnent creux ; mais cette dernière façon de sonner creux n’entra pas alors en ligne de compte. Pourtant, la question se poserait de savoir si les diverses têtes de ceux que l’on appelle des têtes creuses ne sonnent pas effectivement plus creux.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel, « Des manières de considérer la nature (additions) », Encyclopédie des sciences philosophiques, II. Philosophie de la nature, Vrin, p. 436.

David Farreny, 28 fév. 2011
bastions

Je mourrai probablement silencieux, entouré de silence, presque dans la paix et j’envisage cette fin avec sérénité. Comme par méchanceté, le destin nous a donné en partage à nous autres chiens un cœur d’une admirable vigueur, un poumon qu’on ne peut user avant l’heure ; nous résistons à toutes les questions, même aux nôtres. Des bastions de silence, voilà ce que nous sommes.

Franz Kafka, « Les recherches d’un chien », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 688.

David Farreny, 27 déc. 2011
playlist

À un moment, alors que Gérald fonce entre les branches d’arbres, une page s’affiche à l’intérieur de sa tête, voilà qu’il est le jouet d’une playlist mystérieuse. Sur cette page, il voit un tableau où sont classées les drogues dangereuses en trois colonnes : Interdit (cocaïne), Passable (alcool), Bravo (sport). Le commentaire n’est pourtant pas tendre : « La pratique outrance de sport obvie la croissance des jeunes, défonce tes circuits, écrase drastiquement l’espérance de longévité », dit ce texte dont l’original en allemand est traduit au fur et à mesure par Google, en fait, c’est du Bertolt Brecht vulgarisé. Gérald contourne un tas de fougères, écrase des champignons, s’élève sur les rocailles, pédalant presque à la verticale, mais il commence à être inquiet.

Emmanuelle Pyreire, Foire internationale, Les Petits Matins, p. 37.

Cécile Carret, 13 avr. 2013

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