calcaire

Être en surplomb d’un chiot, toujours spontanément joueur, avec la décision ferme de l’abattre en visant la boîte crânienne ou la colonne vertébrale, il semble qu’il y ait alors une hésitation générale. Peut-être est-ce l’idée d’abréger une croissance ou le sentiment de détruire le chien lorsqu’il est encore inoffensif, tuer un chiot de ses propres mains peu s’y risquent. Déjà y songer ; personne n’y songe. Le chiot est trop dépourvu de défenses, il vomira un paquet de sang au premier choc qui devrait être fatal, tant il n’est encore que masse cartilagineuse, mal abrité dans un calcaire incertain, l’énergie manque pour se diriger vers lui.

Bernard Lamarche-Vadel, Vétérinaires, Gallimard, pp. 62-63.

David Farreny, 3 déc. 2002
réglable

C’est à croire que nous ne pénétrerons jamais jusqu’au cœur du mystère, que les forces occultes nous déroberont jusqu’au bout l’ultime secret. De grands pans de notre sens se dressent inaccessibles, demeurent enténébrés.

Il m’arrive de me transporter, en pensée, sur le lit en métal chromé, réglable, de l’agonie, à partir duquel on envisagera une dernière fois ce qui s’est passé.

Pierre Bergounioux, L’héritage. Pierre et Gabriel Bergounioux, rencontres, les Flohic, p. 183.

David Farreny, 6 août 2003
exclure

Je sais à quoi je ressemble et, sans me cacher, je m’efforce d’être discret, m’exposant le moins possible, choisissant la pénombre au lieu du plein soleil. C’est pourquoi la vue d’un mongolien sur une plage ou dans un restaurant me scandalise, non parce que, trouvant plus disgracié que moi, j’aurais ainsi l’occasion d’atténuer par contraste ma laideur ou de me sentir vengé, mais parce que m’exaspère le larmoyant souci de ne pas exclure, lequel n’est que l’ancestrale peur des gueux, des réprouvés, des maudits, c’est-à-dire une manière de refuser de voir et de nommer le monde.

Richard Millet, Le goût des femmes laides, Gallimard, p. 73.

David Farreny, 24 fév. 2006
littérature

Qu’est-ce que les choses signifient, qu’est-ce que le monde signifie ? Toute littérature est cette question, mais il faut tout de suite ajouter, car c’est ce qui fait sa spécialité : c’est cette question moins sa réponse. Aucune littérature au monde n’a jamais répondu à la question qu’elle posait, et c’est ce suspens même qui l’a toujours constituée en littérature : elle est ce très fragile langage que les hommes disposent entre la violence de la question et le silence de la réponse […]. L’histoire de la littérature ne sera plus alors l’histoire des réponses contradictoires apportées par les écrivains à la question du sens, mais bien au contraire l’histoire de la question elle-même.

Roland Barthes, « Essais critiques », Œuvres complètes (2), Seuil, p. 457.

David Farreny, 19 sept. 2009
véritable

Chaque fois, fidèlement, cette secousse que lui transmettaient les architectures romanes lui faisait ressentir instantanément les proportions en lui-même, dans les épaules, les hanches, les semelles, comme si c’était là, mais caché, son corps véritable, oui, c’était une sensation corporelle qui le fit aussi lentement que possible s’approcher en arc de cercle de cette église en forme de coffre à blé.

Peter Handke, « Essai sur le juke-box », Essai sur la fatigue. Essai sur le juke-box. Essai sur la journée réussie, Gallimard, pp. 84-85.

David Farreny, 31 oct. 2009
intelligence

Or il était nu, parfaitement nu. Physique ramassé, muscles pâles et veinés. Je ne suis pas là, je ne suis pas là, détala au milieu de la pièce, quêta une issue. S’habiller. Penderie. Que mettre ? Il chaussa des baskets, agressa son pantalon d’hier, y plongea un pied qui resta bloqué dans le bas, s’en extirpa, enfila une sortie de bain à motifs delphinidés au dos de quoi était écrit LUI.

À la sonnette, succédèrent des coups de poing, de pied, d’épaule, des efforts sourds, pesants, sans intelligence, qui enfoncèrent, paniquèrent les secondes. Lui, négocia le choix d’un caleçon pas trop voyant, tout en reculant dans la pièce. […]

Et sa main se tendait vers l’entrée sans se décider. La serrure céda. Il esquissa un geste pour se recoucher, faire semblant de dormir, c’était une attitude. Finalement, il resta debout. C’était une attitude. Debout, comme venant de la salle d’eau, penché, un pied jeté vers l’avant.

— Oui, oui, j’arrive, une seconde.

Alain Sevestre, Les tristes, Gallimard, p. 55.

Cécile Carret, 9 déc. 2009
plein

AGATHE – Mais y en a plein qui sont jamais nés !

MOI – Qui ? Quoi… ?

AGATHE – Des gens.

Éric Chevillard, « mercredi 19 mars », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 19 mars 2014
bouffée

À quelle bouffée d’illusions dois-je cette dégaine exceptionnellement insouciante aujourd’hui ? J’ai la déconcertante impression d’être un autre.

Jean-Luc Sarré, Ainsi les jours, Le Bruit du temps, p. 167.

David Farreny, 30 juin 2014
durer

L’enfant est une inhibition active. Il empêche le réveil complet, c’est-à-dire la mort de l’espèce. Les théologiens n’osent pas le dire, mais ils voudraient ce réveil total, entraînant le Jugement logique. L’enfant fait durer. Il n’y a pas plus antithéologique que l’enfant. Il est là aussi pour cacher qu’il n’y a pas eu de rapport sexuel. Tout cela est très clair : si je suis avec une femme et que je n’ai pas eu d’enfants, c’est qu’il y a ou qu’il y a eu rapport sexuel. Si j’ai avec elle des enfants, on peut en douter. On peut se dire en tout cas qu’à un certain moment elle a estimé que ça suffisait comme ça. Elle a déclenché le processus de séparation par l’enfant. L’enfant est le divorce in vivo des parents.

Philippe Muray, « 10 avril 1986 », Ultima necat (II), Les Belles Lettres, p. 46.

David Farreny, 28 fév. 2016
esthétique

Les autobiographies intéressantes pourraient abonder si écrire la vérité ne constituait pas un problème esthétique.

Nicolás Gómez Dávila, Carnets d'un vaincu. Scolies pour un texte implicite, L'Arche, p. 36.

David Farreny, 3 mars 2024

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