cohérence

Mais la seule cohérence qui vaille, c’est celle qui arrive à répondre, en profondeur, de toutes les incohérences de surface.

Renaud Camus, « jeudi 21 janvier 1999 », Retour à Canossa. Journal 1999, Fayard, p. 65.

David Farreny, 20 mars 2002
aboie

Désir qui aboie dans le noir est la forme multiforme de cet être

Henri Michaux, « Face aux verrous », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 437.

David Farreny, 22 juin 2002
comprendre

Comment viennent les mots ?

Comprendre est aussi une sensation

perdue

perdue

Henri Michaux, « Connaissance par les gouffres », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 53.

David Farreny, 21 oct. 2005
constructions

Dans le visage un œil qui n’existe plus, comme bu par un buvard. Il en reste le pli. Œil qui a renoncé à être, ne trouvant au-dehors rien à sa convenance.

L’autre, fermé par une large et pesante paupière semble bien déterminé à ne pas se relever.

Un être a baissé ses volets.

Douloureuse, la bouche amère exprime assez que ce n’est pas pour rêver à des fleurs ou à des charmes que l’œil a été refermé si décisivement, ni pour contempler d’intéressantes constructions du subconscient, mais pour seulement rester cantonné en sa misère, à l’abri dans sa misère, où il y a annulation de tout, mélancolie exceptée.

Henri Michaux, « Chemins cherchés, chemins perdus, transgressions », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1173.

David Farreny, 3 mars 2008
confond

Qu’est-il arrivé entre-temps ? Du temps. Je ne suis ni plus riche ni plus fameux, ni plus aimé, ni plus sage — tout juste un peu plus mélancolique, sans doute. J’ai oublié beaucoup de choses que je savais, j’en ai appris quelques autres, que je vais oublier pareillement.

Il faudrait voyager. Le voyage étire le temps. Il donne une couleur aux années. D’ici tout se confond.

Renaud Camus, « vendredi 1er mai 1998 », Hommage au carré. Journal 1998, Fayard, p. 192.

Élisabeth Mazeron, 6 avr. 2010
Dole

Impressions de voyage. Le ciel, qui était gris, hivernal, sur Besançon, s’est éclairci en chemin. Il faisait clair, sur Paris. De là des sensations changeantes, tristes aussi longtemps que nous avons roulé sous la grisaille, par les faubourgs vieillots de Dole, de Dijon, cernés de boqueteaux, de friches, trompeuses lorsque la taie du ciel s’est défaite et qu’il m’a semblé, avec le soleil bas, que c’était le soir alors que la journée venait de commencer. Là-dessus, la stridulation acide, comme d’une guitare électrique, des roues, deux ou trois accords qui s’amplifiaient lorsque quelqu’un ouvrait les portes coulissantes en verre. Par instants, il me semblait déceler le fil d’une mélodie puis les portes se refermaient et c’est en sourdine que l’invisible guitariste poursuivait.

Pierre Bergounioux, « vendredi 23 novembre 2001 », Carnet de notes (2001-2010), Verdier, p. 158.

David Farreny, 19 janv. 2012
pas

Et vous, donc, pourquoi n’écrivez-vous pas ? Vous l’êtes-vous parfois demandé ? Qu’est-ce qui vous retient d’écrire ? Comment justifiez-vous ce refus, ce renoncement, cet évitement, cette dérobade ? Savez-vous ce que qui est réellement à l’œuvre là-dessous ? Quel est le secret honteux que vous gardez enfoui sous le silence ? Dites-moi ce qui, chaque jour à la même heure, devant la table ou la feuille, vous empêche de vous asseoir pour écrire. Et dites-moi aussi ce qui, en tout lieu et à tout instant, de façon si impérieuse, vous persuade de ne rien noter dans le carnet qui se trouve pourtant dans votre poche, flétri par les pauvres tâches que vous lui confiez, d’agenda ou de répertoire. Je ne comprends pas. Expliquez-moi. Parlez, si vous ne voulez pas écrire. Expliquez-vous ! Vous vous réfugiez dans le commerce, les affaires, la boulangerie-pâtisserie, le sport, l’enseignement, la plomberie, la politique, l’horticulture, est-ce bien glorieux ?

Toute cette peine vraiment pour ne pas écrire ?

Vous grimacez bien parfois devant votre miroir, vous faites jouer vos muscles, vous poussez votre voix, n’éprouvez-vous donc pas le besoin de vous approprier votre langue maternelle comme vous vous êtes approprié votre corps ? Vous n’auriez pourtant pas consenti à grandir et vivre in utero, je suppose. Vous avez voulu pousser dans les directions qui étaient les vôtres. On connaît votre silhouette, votre démarche. Pourquoi n’écrivez-vous pas ? Comment faites-vous ? Comment vous y prenez-vous, chaque jour à la même heure, pour ne pas écrire, et encore, en tout lieu et à tout instant, pour ne pas écrire non plus ? Pour n’extraire jamais le petit carnet de votre poche – est-il cousu dedans ?

Mais alors qu’est-ce que l’encre pour vous, qu’est-ce que le papier ? Qu’est-ce que la solitude ? Votre passé est-il donc définitivement passé ? Et qu’y a-t-il dans vos tiroirs ?

Mais alors jamais vous n’avez le désir de sortir de votre vie, de quitter aussi votre corps, et d’observer le manège depuis une position écartée ? Et puisqu’il faut vivre quand même, ne souhaitez-vous jamais contrôler davantage la situation ? Ne pas seulement répondre et vous adapter aux circonstances du jour, mais soudain détenir les pleins pouvoirs, agir à votre guise, mener la danse et pourquoi pas aussi tyranniser un peu les populations ?

C’est donc avec une éponge et une bassine que vous allez maîtriser l’orage que vous sentez gronder en vous ?

Mais êtes-vous décidément si satisfait de ce monde que vous ne puissiez vous permettre de ne pas écrire ? Puisque, selon certaine légende qui vous trouble, le monde fut créé par le Verbe, n’avez-vous pas envie de dire votre mot vous aussi, enfin ? Et s’il est vrai que ce monde n’existe pour l’homme que tant qu’il le nomme, vos congénères ne finiront-ils pas par vous en vouloir de ne jamais en placer une ? Et votre contribution ? On l’attend toujours ! Vous vous réfugiez dans le mariage, la maladie, la consommation et les embouteillages, est-ce bien glorieux ?

Pendant ce temps-là, qui nourrit votre tigre ?

Ou devrais-je plutôt vous admirer ? Quelle force il vous faut, en effet, pour ne pas écrire ! Quelle résistance ! Quel aplomb ! Quelle formidable volonté ! Et comme vous êtes bien bâti pour la vie ! Pourquoi n’écrivez-vous pas ? Mais parce que le monde s’ouvre devant vous, parce que votre bouche ne trouve rien à redire ni votre œil rien à déplorer. Écrire risquerait de compromettre cette belle harmonie.

Il n’en résulterait que désordre, panique, confusion, cacophonie.

Dois-je comprendre cela ?

Comment peut-on ne pas écrire ? Cette aptitude, pourquoi ne l’ai-je pas reçue ?

Être le rossignol dans la haie !

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 144.

Cécile Carret, 9 mars 2014
agression

Cioran raconte – peut-être l’ai-je rêvé – qu’un moine d’Égypte, après quinze ans de solitude complète, reçut de ses parents et de ses amis tout un paquet de lettres. Il ne les ouvrit pas, il les jeta au feu pour échapper à l’agression des souvenirs. Il convient de s’évader de sa propre histoire. Celui qui n’a brisé aucun lien est un esclave qui mérite d’être traité comme tel.

Roland Jaccard, « 24 mai 2020 », Le billet du vaurien. 🔗

David Farreny, 24 fév. 2024

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer