croupetons

On se met à croupetons et l’on a ainsi la sensation d’être chez soi.

Maurice Roche, Compact, Tristram, p. 107.

David Farreny, 20 mars 2002
recommandation

Et moi faut-il que je m’obstine, en tâcheron consciencieux du désastre, à relever encore mot à mot ce néant ? Il n’a d’autre recommandation à la phrase que d’être la vérité.

Renaud Camus, « jeudi 27 août 1998 », Hommage au carré. Journal 1998, Fayard, p. 359.

David Farreny, 29 fév. 2004
secret

Depuis quand en va-t-il ainsi ? Depuis toujours ? Je ne sais rien de tout cela, qu’une simple amicale conversation pourrait éclairer en un tournemain ; mais précisément, tout est enveloppé de secret, de mystère, je n’ose pas poser de questions, nous nous sommes embourbés depuis des années dans tout un marais de pudeurs, de prudences, de discrétions sans cause qui empêchent entre nous toute intimité véritable. Je déteste le secret, qui me semble au monde ce qu’il y a de plus vain, de plus contraire en tout cas à la confiante étroitesse du commerce entre les êtres.

Renaud Camus, Aguets. Journal 1988, P.O.L., p. 324.

Élisabeth Mazeron, 19 août 2005
coalescence

[…] un coupe-poils à pile sans fil en mousse absorbante avec sa ventouse, une caisse à outils pour tout casser comme sans les outils, un microfournil à ondes fulgurantes, une console en kit à monter sans peine en cinquante semaines pour te consoler de la vacuité des emplois du temps, un, deux, trois, ho ! hisse ! commande aux Trois Suisses, chasse tes doutes en écrivant à la Redoute, ouvre le courrier personnalisé de monsieur Leclerc qui t’envoie sympa la photo couleur de son rôti d’porc, arbore-toi, réveille-toi le teint, décore-toi le corps avec des machins succincts qui font super bien, existe, montre que tu résistes, sois le vrai groupie de toi le pianiste, le gai guitariste, le batteriste, mais en moins jazz triste, le Francis Lopez de la supérette où t’achètes ton steak en barquettes, ah ! maman, maman, les docteurs, ils m’ont dit, je devrais pas te le dire à toi, pourquoi j’ai des absences côté coalescence avec l’existence, effet de faille, tas de paille de peu de pathie, atonie, bout de chosité sans nervosité, préjudice de sensibilité, ralenti du libidiné, recroquevillé dans le trou de soi, que de dégâts, que de dégâts […]

Christian Prigent, Une phrase pour ma mère, P.O.L..

David Farreny, 24 fév. 2007
fatigue

Car, enchâssée dans une gangue de brume, rien n’échappe à ma tête, ma pauvre tête ! qui attend, comme on dit, que ça se passe. Puis vient le moment où, du bord de l’écœurement, je passe tout à fait au centre. L’intensité de la fatigue est telle qu’elle provoque une violente nausée. Autant dire la fin des haricots. Si la cause m’incite à la démission, l’effet, lui, me dévaste. C’est comme si, brusquement, au cœur d’un événement infinitésimal et intime, l’absurdité du monde faisait irruption violente. Je me retrouve accablé, d’un même mouvement, des mille maux des hommes et des cent maux de mon lot : c’est mille cent de trop. Car si, en temps normal, je peux tenter de vivre en prenant les uns pour taper sur les autres, malade je ne puis plus compter, bouclant la boucle, que sur le sens du malheur hérité de mon père. Je fais donc, d’une certaine manière, l’apprentissage de la patience : sachant que tout finit toujours par arriver, je guette, dans une semi-léthargie sans laquelle je deviendrais fou, le premier fléchissement de la nausée, la fatigue de la fatigue.

Mathieu Riboulet, Un sentiment océanique, Maurice Nadeau, p. 39.

Élisabeth Mazeron, 13 oct. 2007
cris

Chacun pousse son petit cri, mais il y a des petits cris de plus en plus sophistiqués.

Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 8.

David Farreny, 9 juin 2008
espérance

Pourquoi ne pouvons-nous pas tout arrêter, nous rendre invisible, inaudible, saborder tout contact avec le siècle ? À cause de l’absurde espérance, bien sûr : elle nous force à maintenir ouverts les canaux qui nous relient à lui ; car le départ est impossible à faire, en eux, de ce qui ne peut que nous importuner affreusement, la bureaucratie d’exister, tellement paperassière, elle aussi, tatillonne, dure d’oreille, et du miracle qui nous rendrait la paix. Aussi sommes-nous forcés de laisser tourner les machines d’être au monde, mais à leur régime le plus doux, le plus simple. Toute phrase est encore trop : ce qu’écrivant je parle nécessaire d’un autre, de l’autre, puisque je ne cesse, pour ma part, d’en sécréter sans y penser, comme on voit.

Renaud Camus, Le lac de Caresse, P.O.L., pp. 34-35.

Élisabeth Mazeron, 7 fév. 2009
révoquer

Rêves irrévocables

Aucun réveil ne peut révoquer

Ce dont une nuit on a rêvé

Alors sur le quai de la gare

Tu te réveilleras trop tard

Tu verras ta vie s’éloigner

Comme ce qui s’évade du miroir

Quand on ouvre ses yeux dans le noir

Jerzy Skolimowski.

David Farreny, 15 fév. 2010
pend

Un prénom, et parfois moins encore : le souvenir d’un profil contre le jour d’une fenêtre, d’une ombre sur le mur d’une alcôve, d’une ligne sinueuse et chaude un instant suivie du bout paresseusement des doigts, d’un corps plongé dans l’eau d’une glace ancienne, trouble et verdie comme celle de ce miroir qui reflète nos visages. L’écho d’une voix, d’un soupir, des bruits presque imperceptibles et du silence même du long éventail de satin noir que celle-ci gardait attaché à son poignet comme une arme inutile, couvrant, découvrant elle-même toute livrée aux regards, aux mains, ou qu’elle balançait, grand ouvert, au vol frais, sur nous gisant au plus obscur d’une chambre bien défendue contre l’après-midi d’été. Un buste incliné sous une chevelure dont la masse se rassemble brin à brin au contour d’une épaule, glisse avec lenteur le long d’un bras, et pend.

Valery Larbaud, « Aux couleurs de Rome », Œuvres, Gallimard, p. 998.

David Farreny, 12 avr. 2011
façon

Elle vit un échalas crasseux à la longue tignasse grise, vêtu d’un simple sac postal ficelé à la ceinture et chaussé de sandales sonores. Elle était seule dans la rue avec lui. Quand elle jetait un œil dans son dos, l’homme détournait le regard, ralentissait et inclinait la tête d’une façon coupable. Ensuite elle reprenait sa marche, et lui de même, faisant claquer ses mauvaises sandales comme s’il venait de les voler à quelqu’un le surpassant de trois pointures. […] Le cochon de lait roula au sol dans son torchon et elle se jeta dessus à plat ventre. L’homme la prit par les cheveux et la redressa.

— Donne-moi ton c’chon. Ton c’chon !

Julien Péluchon, Pop et Kok, Seuil, p. 38.

Cécile Carret, 9 mars 2012
covalentes

Drôle de destin, que d’être fait d’atomes s’enchaînant les uns aux autres par des liaisons covalentes ! On est comme qui dirait un « composé organique ». Comme tel, on n’a pas d’avenir. On se sent, tel le dronte, promis à l’extinction. Il aurait mieux valu être une pierre dure rotacée, on n’aurait pas eu tous ces soucis.

Olivier Pivert, « Nostalgie de l'inorganique », Encyclopédie du Rien. 🔗

David Farreny, 4 mai 2024

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