slow

Le slow qui tue est une machine logique à décollage vertical.

Pascal Comelade, Écrits monophoniques submergés.

David Farreny, 24 mars 2002
lassante

Plus de repos. Il faut en passer par là, successivement et indéfiniment contracté, puis décontracté, puis contracté, puis décontracté, puis contracté, puis décontracté, jamais lâché par la tyrannie de l’alternatif. L’idée qu’on a, happée par le même invisible mécanisme, montrée, puis éclipsée, puis remontrée, puis subissant une autre éclipse, puis réapparaissant, puis de nouveau oblitérée, est inefficace, lassante, oubliée, invivable, sotte, contrecarrante plus que tout, ajoutant son point final à la ridiculisation des fonctions mentales. Agaçante, ravageuse, atroce, rendant impropre à tout raisonnement, à tout théorème, à toute systématique, rendant sans mémoire, sans place (constamment éjecté de sa place, remis en place, réexpulsé de sa place), rendant pantin, rendant agité, agité, agité, agité de l’agitation du fou agité, traduction des incessantes menues agitations, des mouvements d’avance et de recul, de présence et d’absence, traduction de toutes les contradictions subies et de tous les antagonismes dont on est l’écartelé hébété.

Henri Michaux, « L’infini turbulent », Œuvres complètes (2), Gallimard, pp. 810-811.

David Farreny, 21 déc. 2003
numéro

Appeler qui ? Paul épluche son carnet. Des noms suivis de chiffres s’y empilent comme au flanc d’un monument aux morts, champ infertile hérissé de proches perdus, d’amis d’un soir, d’anciennes amies qui se méprendraient. Reste ce numéro de la jeune femme en gris de l’autre soir, courage. On décroche au loin.

Jean Echenoz, L’équipée malaise, Minuit, p. 64.

Cécile Carret, 11 mars 2007
assaut

Parfois, de très grandes fatigues m’envahissent. Alors en moi l’esprit terre à terre rend son tablier. Il le plie soigneusement, le pose sur l’étagère à tabliers avec les autres, bien repassés, qui serviront plus tard, et se met en disponibilité, sachant qu’il n’est pas de taille à lutter. De très anciennes fatigues, issues intactes et parées de profondes ténèbres, fraîches comme au commencement du monde, inflexibles, chaleureuses. Elles m’enveloppent de leur vigilance, l’air absent, surgissent sans claironner. J’ai ainsi appris à être en communication muette avec les milliards de fatigues qui m’ont précédé. Cependant de ce contact inouï je ne peux rien retirer, aucun savoir, nulle connaissance. Je ne peux qu’y puiser la force d’attendre sans mourir la fin de l’assaut.

Mathieu Riboulet, Un sentiment océanique, Maurice Nadeau, p. 12.

Élisabeth Mazeron, 11 oct. 2007
sous

Windisch est dans la cour. Le chat est couché sur les pierres. Il dort. Sous une couverture de soleil. Son visage est mort. Son ventre respire doucement sous la fourrure.

Herta Müller, L’homme est un grand faisan sur terre, Maren Sell, p. 85.

Cécile Carret, 4 sept. 2010
musique

La musique m’ouvrit une autre voie, ou me révéla une voie qu’à vrai dire je ne cessais d’emprunter sans m’en apercevoir. Au lieu de regarder jalousement mon douloureux ennui, lui préférant toute forme d’activité, refusant de loger en lui quelque chose qui risquerait de le dénaturer (refusant même de comprendre que l’ennui était un logement), il était possible d’ouvrir l’ennui à cette forme en expansion indéfinie qu’était la musique : si on acceptait de l’écouter, de la laisser développer votre attention, elle passait un pacte avec ce qu’était en définitive l’ennui, à savoir une vie intérieure informe et agitée, une vitalité confuse, empêtrée, en attente de formes, le chaos originel revenu se poser sur le monde.

Quel rapport les Brandebourgeois de Bach ou Honeysuckle Rose avaient-ils avec ce chaos qu’apparemment ils n’avaient pas oublié ni effacé ?

Sans doute que, comme toute composition musicale, ils s’étaient donné pour tâche de mettre en forme ce que l’ennui, malgré la douleur qu’il inflige, sa pesanteur propre, libère et fait venir au jour : la matière mobile et non verbale de la pensée, disons de la vie mentale, qui n’est visible de façon aussi flagrante que quand elle est ainsi inoccupée et tournoie de souci en pensée vague, adonnée à sa propre mobilité.

Pierre Pachet, Sans amour, Denoël, p. 45.

Cécile Carret, 13 mars 2011
minuscule

Le soleil se leva. Dans le jardin, après la nuit chaude et sèche, pas une goutte de rosée. En revanche, un scintillement dans le pommier : une goutte de résine exsudée d’une tige que traversaient les premiers rayons ; la plus minuscule des lampes.

Peter Handke, Par une nuit obscure je sortis de ma maison tranquille, Gallimard, p. 26.

Cécile Carret, 21 juil. 2013
psychanalyse

Mais, plus radical encore que Freud, Wittgenstein saisit immédiatement par où pèche la psychanalyse : elle flatte trop le narcissisme. Les explications qu’elle propose sont d’autant plus attrayantes qu’elles sont à première vue plus choquantes. « C’est peut-être, confie-t-il à l’un de ses amis, le fait que l’explication est extrêmement repoussante qui vous pousse à l’accepter. » Et, plus que quiconque, il est sensible au jeu incessant de la mélancolie et du besoin de consolation, à l’exigence de l’idéal et au besoin d’être trompé, à la dialectique subtile entre la croyance et la désillusion…

Sur le charme des profondeurs, Wittgenstein a cette formule ironique : « Les gens y trouvent un dédale dans lequel s’égarer. » Dans ce type d’explications, le mystère tient lieu de réponse. Plus proche de Kraus que de Freud, il estime que toute la fécondité de la psychanalyse peut être éprouvée à condition de convenir que Freud n’a rien inventé ; la psychanalyse ne relève pas de la science, mais de l’esthétique : Freud ne nous apprend rien, mais nous fait voir ce dont on ne s’était pas avisé jusque-là. Selon Wittgenstein, la bonne explication psychanalytique n’est rien de plus (ni de moins) qu’un tableau réussi. La réaction au tableau est en ce sens constituante de son effet esthétique, puisqu’il résout la perplexité du destinataire.

Roland Jaccard, « Le dicible et l’indicible », L’enquête de Wittgenstein, P.U.F., pp. 52-53.

David Farreny, 6 déc. 2014

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