stabilisatrice

Je comprends qu’adoptant une bonne mienne habitude, renverse-monde, mais très stabilisatrice, vous passez la moitié de votre vie au lit.

Henri Michaux, « lettre à Claude Cahun (avril 1952) », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. XXIX.

David Farreny, 14 avr. 2002
adapté

Ainsi, pour être contraire à la nature, le suicide, qui nous libère des malheurs engendrés par la corruption, n’est-il aucunement blâmable ; il ne fait qu’apporter à des maux non naturels un remède parfaitement adapté.

Giacomo Leopardi, « Dialogue de Plotin et de Porphyre », Petites œuvres morales, Allia, p. 222.

David Farreny, 9 nov. 2005
feu

Il y a du feu. Nous le cherchons dans les ombres,

dans l’hiver des chambres vides où veillent

des objets obscurs, nous le cherchons

Dans les prisons, les gares, les alphabets, les chiffres.

Peut-être aussi est-il dans la nuit du corps,

Dans le réseau des nerfs et du sang,

aspiré vers le haut, il tourne sur lui-même

et dicte les mots du Commencement.

Lionel Ray, Comme un château défait, Gallimard, p. 84.

David Farreny, 27 août 2006
pas

Quand il se mettait aux fenêtres il voyait les falaises et les murs du château, derrière il devinait le fleuve et le soleil sur les sables clairs, il pensait à tous les pays traversés pour venir jusqu’ici, il pensait à ce qu’il ne voyait plus, tout s’étrécissait, et le goût, l’amour, s’en allaient. L’acuité des choses. Il se disait qu’il n’était pas malheureux.

Michèle Desbordes, La demande, Verdier, p. 70.

David Farreny, 9 janv. 2008
îlots

Outre la liberté toute physique d’aller, le fer dispensait un autre bienfait, d’ordre spirituel. Il instaurait, là où on l’avait employé, des îlots d’ordre et de mesure, de paix. La double hyperbole d’un pont de fil, la perspective rectiligne et plane des rails, le miroir de l’eau apaisée, derrière l’écluse, suspendaient, localement, la confusion ambiante, repoussaient l’échevellement des sources, la foison hirsute des bois, l’enchevêtrement de tout, l’obstacle, l’empêchement. Et ces formes pures étaient animées de la ténacité inflexible du fer. Elles résistaient à la poussée de l’eau, supportaient le passage des convois ferroviaires galopant vers l’ailleurs, essuyaient, sans faiblir, le chaud et le froid, la pluie, les jours et les nuits. Leur égalité, leur persévérance dans un être net se communiquaient à qui s’accoudait au garde-corps du bief ou s’accrochait à une suspente du pont, comme aux drisses d’une mâture, avec l’eau fuyant dessous, l’illusion légèrement enivrante, baudelairienne, qu’une frégate l’emportait par l’océan des terres.

Pierre Bergounioux, Sidérothérapie, Tarabuste, pp. 34-35.

David Farreny, 2 juin 2008
problèmes

Un des gros problèmes que j’ai c’est avec les films étirables.

Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 7.

David Farreny, 9 juin 2008
épisodes

Jusqu’à quand se poserait-il la question, « c’est quoi les autres ? ». Des agités-isolés, des médecins, des choses avec un débit, un début, une fin, des épisodes.

Dominique de Roux, La jeune fille au ballon rouge, Le Rocher, p. 46.

David Farreny, 13 fév. 2011
illimitation

Il est étrange de penser que ce qui fut, durant deux siècles, la souffrance de l’ère industrielle, la vibration puissante et grave des machines, ébranlant jusqu’à le ruiner le corps des travailleurs, est devenue la réjouissance des oisifs. Le pire est peut-être la cadence invariable des coups portés, l’égalité de la hauteur de la vibration, le bruit sourd et toujours identique, sans modulation, comme un symbole de l’illimitation du mal, ce qui se répète et qui ne change pas, comme un glas infernal et infini.

Jean Clair, « Agressions », Journal atrabilaire, Gallimard, p. 26.

David Farreny, 21 mars 2011
non-conformisme

Ma mère avait un très grand charme et savait attirer les sympathies des gens les plus divers et les plus opposés. Les distinctions sociales, si tranchées et si violentes à cette époque, ne jouaient pour elle aucun rôle, ce qui scandalisait sa bourgeoise famille. De plus, elle savait très bien raconter et il lui arrivait toujours quelque chose. Jamais elle ne revenait de quelque part, fût-ce de la maison voisine, sans avoir remarqué quelque chose de curieux ou d’intéressant, elle savait lier connaissance comme personne et elle avait ce don très rare de se mettre immédiatement dans l’imaginaire de son interlocuteur et de le comprendre par l’intérieur. Ce don de compréhension lui rendait toute forme de hiérarchie absurde et illusoire. C’est aussi la raison pour laquelle, sur le plan politique, elle fut toujours en opposition avec mon conservateur de père.

Sur bien des plans, les dons de ma mère étaient assez exceptionnels, son jugement littéraire et artistique toujours très sûr, mais elle était incapable de toute concentration prolongée et allait sans cesse d’un sujet à un autre. Pianiste extrêmement douée, elle arrivait à impressionner même des musiciens professionnels de passage, mais au bout d’un quart d’heure elle fermait son piano et passait à autre chose.

Toute sa vie se déroula ainsi, dans l’alternance entre dépressions profondes et états d’exaltation et d’enthousiasme, ne finissant rien de ce qu’elle avait mis en train. Rien ne la laissait indifférente, elle s’intéressait à tout et remarquait tout. S’il n’y avait eu ses dépressions, chaque fois plus profondes, elle aurait rempli son entourage de joie de vivre car elle savait ouvrir à chacun des perspectives et des possibilités insoupçonnées…

Elle était totalement dépourvue de préjugés et n’était sensible qu’au charme des gens, à leur personnalité propre ; à l’aise avec tout le monde, elle fréquentait aussi bien les ministres que les ouvriers du quartier ou les bohémiens du coin. Un de mes souvenirs d’enfance, c’est l’intérieur d’une roulotte, peinte en vert, posée au bord d’une prairie. Sortir de ce petit espace cubique et se retrouver dans l’immensité de la plaine, c’était chaque fois une aventure. Entourée par le dehors de toutes parts, elle formait à l’intérieur d’elle-même une véritable petite pièce avec rideaux, table, chaises et lits. La table était recouverte d’une toile cirée, à damiers rouges et roses, usée là où se posaient les coudes. Ma mère y allait jouer au 66 avec son amie la bohémienne qui un jour était venue lui vendre des paniers. Elle m’emmenait avec elle, ce qui scandalisait mon père, enfermé dans les préjugés de caste de son temps.

Il y a avait chez ma mère un non-conformisme frappant, avec elle, je le remarquai — enfant —, rien n’était comme avec tout le monde. Pour aller quelque part, elle ne prenait pas forcément le chemin le plus habituel ou le plus court, mais faisait un détour si un détail quelconque la surprenait à quelque distance. Une fumée à l’horizon, et il fallait la retenir pour qu’elle n’y aille pas voir ; dans les boutiques, elle se glissait parfois derrière le comptoir pour aller voir des fleurs qu’elle avait aperçues à travers la porte vitrée. Chez le médecin, elle ne passait jamais par la salle d’attente, mais allait droit à la porte du cabinet. Partout elle arrivait au tout dernier moment et le train dut l’attendre plus d’une fois.

Elle savait donner à toute chose une apparence autre, elle voyait des détails qui modifiaient l’ensemble de ce qu’on regardait. Une fleur, une feuille, un rayon de soleil sur un toit, une cheminée derrière un arbre. Elle savait enrichir le regard d’un enfant.

Dans la forêt – et celle-ci s’ouvrait à quelques pas de la maison –, elle ne prenait pas les sentiers, mais coupait à travers bois, elle marchait à l’aventure et trouvait naturellement l’étang, l’arbre à deux troncs ou la ruine que personne n’avait encore remarqués, pas même mon père, qui pourtant avait l’œil. Elle ramassait des fleurs des bois pour en faire d’étonnants bouquets que ses visiteurs croyaient composés par quelque grand fleuriste. Elle engageait la conversation, tout de suite animée, avec le premier passant venu et arrivait à aller chez les gens rien que parce qu’elle était curieuse de leur intérieur, où avec la plus grande sincérité elle trouvait tout ravissant.

Jamais elle ne parlait de ce qu’elle avait vu avec malveillance, mais racontait, comme si elle revenait de voyage et avait découvert un pays inconnu.

Georges-Arthur Goldschmidt, La traversée des fleuves. Autobiographie, Seuil, p. 55.

Cécile Carret, 10 juil. 2011
détours

Puis la femme cria à l’adresse des enfants qui se tenaient détournés l’un de l’autre comme devenus ennemis – le gros garçon plutôt triste : « Hé, les enfants, faites la paix ! »

Le gros garçon sourit, délivré, et tous deux, tête baissée, il est vrai, se dirigèrent par des détours, l’un vers l’autre.

Peter Handke, La femme gauchère, Gallimard, p. 75.

Cécile Carret, 30 juin 2013
visions

Ma preuve de l’inexistence de Dieu, je vais la partager généreusement, je vais en faire profiter tout le monde. Pour certains, elle confirmera ce qu’ils supposaient, ce que leur expérience de la déréliction et de l’effroi leur avait suggéré ; mais, pour d’autres, quelle désolation ! D’un coup, la ruine de toutes leurs espérances, l’anéantissement d’une vie vouée à la chimère. À tous ceux-là, très humblement, je demande pardon. Ce qui fut la source de votre joie est en vérité un égout stagnant. Je comprendrais que vous m’en vouliez un peu pour cette révélation. Au-delà de la mort, il n’y a que le néant qui d’ailleurs n’est pas non plus et ne porte pas de nom. Il n’y a même pas le néant ! C’est dire l’ambiance. Et qu’est-ce qui m’autorise à affirmer cela et à trancher dans ces matières avec tant d’aplomb ?

Ma preuve, donc.

La voici.

Peu à peu, nous découvrons l’explication de tous les phénomènes, la loi de la gravitation, la photosynthèse, l’orogénèse, les marées, comment la vapeur forme les nuages qui retombent en pluie, etc. Toute l’organisation se fait jour et le développement logique de chaque chose nous apparaît même quand l’origine est accidentelle.

Or.

Et c’est là que j’abats ma carte.

Et que volent en éclat de très anciennes visions du monde.

Il me semble qu’un dieu créateur se serait passé de cette cohérence physique, biologique, de ce verrouillage des combinaisons, de ces structures moléculaires et de ces trains d’atomes, et que la magie pure de son bon vouloir lui aurait suffi, hors toute nécessité, à mettre la girafe debout. Ce grand horloger, ce géomètre expert adoré sur les continents, c’est bien parce qu’il serait tel en effet qu’il ne saurait être. Pourquoi tous ces rouages, tous ces systèmes de mailles et ces chaînes de causalité quand on est, non point une vieille qui tricote au crochet, mais un dieu omnipotent, quant tout pourrait exister et tenir sans justification d’aucune sorte, de par notre seule volonté souveraine ? Mais si celle-ci pourtant n’a pas suffi à ordonner le monde, s’il faut que tout phénomène obéisse à des lois que l’homme à force d’étude peut ensuite identifier et parfois reproduire, voire améliorer, alors il n’y a pas de transcendance, il n’y a pas de toute-puissance. Il n’y a pas de dieu.

À moins que.

À moins que l’invention de Dieu ne soit le terme même de tous les processus engagés, le but suprême et la conséquence ultime de tous les principes simultanément à l’œuvre dans le monde, parmi lesquels les actions de l’homme ne compteraient pas pour rien, parmi lesquels peut-être ces pages seront décisives.

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 99.

Cécile Carret, 25 fév. 2014
inopportunément

Non seulement un enfant non voulu quelquefois naît de tes accouplements mais, par la suite, il lui arrive encore de surgir inopportunément quand tu baises.

Éric Chevillard, « mardi 16 juin 2015 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 16 juin 2015

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