Plus que de la laideur, à mon avis, le XXe siècle fut le siècle de la camelote. Et rien n’en témoigne mieux que tous ces pavillons qui éclosent le long de toutes les routes et à l’entrée de toutes les villes, petites ou grandes. Ce ne sont pas des maisons, ce sont des idées de maisons. Elles témoignent pour une civilisation qui ne croit plus à elle-même et qui sait qu’elle va mourir, puisqu’elles sont bâties pour ne pas durer, pour dépérir, au mieux pour être remplacées, comme les hommes et les femmes qui les habitent. Elles n’ont rien de ce que Bachelard pouvait célébrer dans sa poétique de la maison. Elles n’ont pas plus de fondement que de fondation. Rien dans la matière qui les constitue n’est tiré de la terre qui les porte, elles ne sont extraites de rien, elles sont comme posées là, tombées d’un ciel vide, sans accord avec le paysage, sans résonance avec ses tonalités, sans vibration sympathique dans l’air.
Renaud Camus, Du sens, P.O.L., p. 470.
J’aimerais, une fois dans ma vie, une secousse paroxysmique.
Jean-Pierre Georges, Car né, La Bartavelle, p. 67.
Nos relations dès le début furent marquées par l’absence totale d’agressivité et par une sorte de camaraderie peu expansive, telle qu’elle se développe entre gueux après une catastrophe cosmique ou longtemps avant la révolution mondiale.
Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 83.
Au début, en échange de la citoyenneté, on leur a abandonné les travaux les plus durs, la voirie, le terrassement, les chantiers, les chaînes de production, les ordures et le nettoyage. Comme ils s’en sont accommodés, on leur a par après laissé le soin de faire des enfants, besogne elle aussi trop souvent pénible, bruyante, accaparante et sale. Restèrent les loisirs, les jeux, les fêtes, les plages, mais dont l’attrait finit par se ternir. Et finalement, comme il n’y avait plus rien à faire ni à penser, ni à attendre, plus de but à la vie, sinon un ennui interminable et lourd, on finit par leur déléguer le souci des fins dernières. Alors même que depuis longtemps, on s’était détourné des dieux traditionnels, on s’intéressa à leurs cultes si curieux, à leurs interdits si sévères, à leur jeûne si rigoureux. Arrivé à ce point, bien sûr, il n’y eut, de la civilisation en question, plus rien à sauver, sinon mourir. C’est du moins ce que les historiens nous disent du déclin de Rome.
Jean Clair, « déclin », Journal atrabilaire, Gallimard, p. 133.
Devant eux, une journée, une nouvelle journée, avec sa liberté et ses virtualités illimitées.
Dezsö Kosztolányi, Kornél Esti, Cambourakis, p. 90.
Chemin faisant, l’Histoire, avec ses grands et ses petits récits, ses simples bulles de sens et son grand vent, m’a rattrapé, prenant une importance que je n’avais pas prévue tout d’abord. Mais ce qui est venu ainsi à ma rencontre, ce n’est ni l’histoire des manuels ni celle des guides, c’est ce qu’il faudrait appeler une histoire des traces, dont le présent serait l’affleurement. Le présent, en effet, pour peu qu’on le considère avec un peu d’insistance, finit presque toujours par apparaître comme l’espace infini et pourtant sans épaisseur où remontent lentement, comme par le fait d’une résurgence invisible, les traces parfois très lointaines de sa formation. Tandis qu’inversement commencent à descendre et s’enfoncer en lui, puis au-delà de lui, les signaux par lesquels lui parvient ce qui le dissout et le renouvelle. Se tenir aux aguets de ce double mouvement, dans l’étendue d’un paysage qui tantôt l’apaise et tantôt l’accélère, c’est ce que j’aurai essayé de faire, en cherchant à fixer au passage ce que l’on devrait pouvoir appeler l’instantané mobile d’un pays.
Jean-Christophe Bailly, Le dépaysement. Voyages en France, Seuil, p. 14.
car on est prisonnier de la vie du corps. si le corps s’éteint, et il s’éteint progressivement dans la vie, le corps est un éteignoir pour la vie.
Charles Pennequin, « Le harcèlement textuel », Pamphlet contre la mort, P.O.L., p. 103.
Avouer certaines choses, cacher certaines choses, tout dire, tout taire… — te fatigue pas — même manœuvre.
Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 114.
On nous naît, déjà pas mal, maintenant
« accouche de toi-même mais en silence ! »
Jean-Pierre Georges, Où être bien, Le Dé bleu, p. 17.
Que fait ce galopin sur une trottinette ?
Éric Chevillard, « vendredi 15 janvier 2016 », L’autofictif. 🔗
Qui peut écrire comme ça, aujourd’hui, sachant que le théâtre des opérations est devenu quasi insignifiant, notamment sur le plan de la langue ? La perte du sentiment de la langue, quoi qu’on en dise, produit une déperdition littéraire : la surdité est culturelle, l’aveuglement, idéologique.
Richard Millet, « 25 décembre 1999 », Journal (1995-1999), Léo Scheer.