intrigue

Moi, je ne sais pas ce qui se passe, je n’ai jamais su ce qui se passait. Certaines personnes, certains livres semblent le savoir, mais ces livres ne m’intéressent pas. Ils ont l’intérêt de la fiction, ils ont une intrigue. Mais je ne crois pas qu’il y ait d’intrigue.

Leonard Cohen, interview.

David Farreny, 22 mars 2002
rien

Il ne se passe rien, même quand il se passe quelque chose.

Henri Michaux, « En marge d’En rêvant à des peintures énigmatiques », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 718.

David Farreny, 15 juin 2006
gésines

Le peuple français a jeté bas l’édifice de la féodalité, proclamé à la face de l’univers l’égalité des hommes, répandu par toute l’Europe, baïonnette au canon, le nouvel évangile tandis que, sans bruit, une nouvelle classe, la bourgeoisie, jetait les fondations du capitalisme. Lorsqu’on considère les traces restées de ces jours tumultueux, c’est leur froideur qui étonne. Une nation soulevée d’un enthousiasme politique sans exemple ni précédent, lorsqu’elle trouve le temps d’écrire, de peindre, de bâtir, cultive un style froidement compassé. Ce sont Les ruines de Volney, la prose funèbre de Chateaubriand, les Romains académiques de David, l’architecture néo-classique où les nouveaux maîtres se plaisent à vivre, comme si le spectre de la société de cour, son vieil apparat continuait de hanter les esprits, et de là, l’espace en proie aux noires gésines de l’industrie moderne.

Pierre Bergounioux, Les forges de Syam, Verdier, p. 24.

Élisabeth Mazeron, 3 fév. 2008
chevron

Le monde serait une chambre si nous étions faits pour goûter un durable et plénifiant repos. Or, il n’est point tel. Il existe. Nous aussi, et ceci n’est sans doute pas sans rapport avec cela. Nous sommes avides d’aller, de connaître et les choses sont là pour répondre à cette inclination qu’il y a en nous. Ce doit être, sauf accident, la règle. Or, l’accident, on y était impliqué avant d’avoir pu deviner la règle. C’était le chevron et l’expérience corrélative, originaire, la rebuffade et le dépit.

Pierre Bergounioux, Le chevron, Verdier, p. 9.

Élisabeth Mazeron, 3 mars 2008
fini

Une vache ne se mord jamais la queue.

Une vache se borne au fini, à l’insistant et chatoyant fini.

Elles auraient pu au moins nommer la couleur verte.

Frédéric Boyer, Vaches, P.O.L., p. 45.

David Farreny, 6 mai 2008
furent

On peut se tromper de chemin. Lorsqu’on le découvre, il n’est généralement plus temps de revenir à la bifurcation et de choisir l’avenir que nous assignaient un penchant inné, la voix profonde du grand passé. Ils furent sans effet parce que le présent, après avoir tardé sans mesure, a fini par nous atteindre et nous l’avons suivi au loin. Les bêtes dont j’avais partagé la résidence, croisé, parfois, la route enchantée, sont restées, elles, au pays de l’enfance. Elles m’attendent, peut-être, comme il m’arrive de rêver que je les retrouve. Ce sera pour une autre vie. Je ne sais pas.

Pierre Bergounioux, Chasseur à la manque, Gallimard, p. 47.

Cécile Carret, 14 avr. 2010
absence

Je voulais habiter l’absence. Mais l’absence est un luxe que je ne peux pas m’offrir.

Renaud Camus, « dimanche 24 mai 1998 », Hommage au carré. Journal 1998, Fayard, p. 341.

Élisabeth Mazeron, 27 avr. 2010
détache

Le plus intéressant dans cette histoire, c’étaient les lieux. La campagne est magnifique, en ce moment ; et même cette terrasse de Mauvezin, dans sa paisible insignifiance, son Dasein insinuant, tout de vacance, un dimanche fait espace, du rien fait air… J’imagine que la perversion commence quand les balustrades se mettent à produire plus d’effet sur vous que les corps, les ciels que les visages, les feuillages que les queues… À moins que ce ne soit le grand âge ? Ou bien encore la sagesse, le détachement ? Programme d’une vie : je me détache. Programme d’une mort ?

Renaud Camus, « dimanche 23 août 1998 », Hommage au carré. Journal 1998, Fayard, p. 244.

Élisabeth Mazeron, 28 avr. 2010
résonne

Le fait qu’il est dans lui-même pour lui-même, l’animal l’expose, et cette exposition est la voix. Mais seul l’être sentant peut exposer le fait qu’il est sentant. L’oiseau dans les airs et d’autres animaux émettent des sons vocaux sous l’effet de la douleur, du besoin, de la faim, de la satiété, du plaisir, de l’allégresse, de l’ardeur du rut : le cheval hennit lorsqu’il va à la bataille ; les insectes bourdonnent ; les chats, quand cela va bien pour eux, ronronnent. Mais le geste théorétique de l’oiseau qui chante est un mode plus élevé de la voix ; et que la chose aille si loin chez l’oiseau constitue déjà une particularité relativement au fait que les animaux en général ont une voix. Car, tandis que les poissons, dans l’eau, sont muets, les oiseaux planent librement dans les airs comme dans leur élément ; détachés de la pesanteur objective de la terre, ils remplissent l’air d’eux-mêmes et extériorisent leur sentiment d’eux-mêmes dans l’élément particulier. Les métaux ont un son, mais pas encore de voix ; la voix est le mécanisme devenu spirituel qui s’exprime ainsi lui-même. L’être inorganique ne montre sa déterminité spécifique que s’il est sollicité, que s’il est battu ; tandis que l’être animal résonne de lui-même.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel, « Des manières de considérer la nature (additions) », Encyclopédie des sciences philosophiques, II. Philosophie de la nature, Vrin, p. 640.

David Farreny, 23 mai 2011
pion

Tourner la loi. Se prendre pour… Les filles disent « mon fiancé », elles s’imaginent grandes dames-XIXe siècle, du temps où il y avait des fiançailles. Elles disent « ton mec », c’est le fantasme provisoire crapule Carco. On dit « ton Jules », ça fait encore plus fortifs, du temps où il y avait une marge, c’est-à-dire une société. « Ton ex », ça signifierait qu’à un moment il a été actuel. Alors que de toute façon, dans tous les cas, ça n’a jamais été qu’un pion de rencontre sur un échiquier d’ennui et de brouillard. Développer.

Me souvenir des excellents clichés mis en scène dans Les Nuits de la pleine lune vu hier. Rapports de force à feu doux, liberté, vie commune tempérée, illusions d’exister.

Philippe Muray, « 6 janvier 1985 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, p. 536.

David Farreny, 3 juin 2015
patiemment

C’est à se demander parfois si les objets immuables qui nous entourent, accrochés à nos murs ou posés sur nos étagères depuis des années, n’attendent pas là patiemment qu’on crève.

Éric Chevillard, « mardi 18 octobre 2016 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 23 fév. 2024

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