ombre

La texture de l’Espace n’est pas celle du Temps et le type anormal bigarré à quatre dimensions qu’ont élevé les relativistes est un quadrupède dont on aurait remplacé une patte par l’ombre d’une patte.

Vladimir Nabokov, Ada ou l’ardeur, Fayard, p. 640.

David Farreny, 22 mars 2002
exaspération

Plus tard nous est venue cette susceptibilité d’épiderme qui rend blessantes la pierre, l’avoine et la pluie et dont l’esprit, l’âme, la chose pensante — peu importe le nom — pourrait n’être après tout que l’exaspération hypostasiée.

Pierre Bergounioux, Points cardinaux, Fata Morgana, p. 40.

David Farreny, 13 avr. 2002
mais

Dégoût de ce qui est fait, de l’opera omnia. Sensation d’être en mauvaise santé, de déchéance physique. Courbe déclinante. Et la vie, les amours, où sont-ils ? Je conserve un certain optimisme : je n’accuse pas la vie, je trouve que le monde est beau et digne. Mais je tombe.

Cesare Pavese, Le métier de vivre, Gallimard, p. 451.

David Farreny, 24 mai 2003
caractère

Je n’avais pas avec moi-même cette intimité caressante qui fait qu’il y a des adhérences, comme on dit en médecine, du Moi à la conscience, et qu’on craindrait, en essayant de l’en ôter, de la déchirer. Il était fort bien dehors, au contraire, il restait là, certes, mais je le regardais à travers la vitre en toute tranquillité, en toute sévérité. Longtemps j’ai cru d’ailleurs qu’on ne pouvait pas concilier l’existence d’un caractère avec la liberté de la conscience ; je pensais que le caractère n’était rien autre que le bouquet de maximes, plus morales que psychologiques, où le voisin résume son expérience de nous. La conscience-refuge restait, comme elle devait, incolore, inodore et sans saveur. C’est cette année seulement, à l’occasion de la guerre, que j’ai compris la vérité : certes le caractère ne doit pas se confondre avec toutes ces maximes-recettes des moralistes, « il est coléreux, il est paresseux, etc. », mais c’est le projet premier et libre de notre être dans le monde. […] Bref, l’existence d’une conscience-refuge me permettait de décider à mon gré du degré de sérieux qu’il convenait de prêter à la situation ; j’étais comme quelqu’un qui, dans les pires aventures, ne sent pas trop la réalité menaçante des tortures qu’on lui réserve, parce qu’il porte toujours sur lui un grain de poison foudroyant qui le délivrera avant même qu’on ne le touche.

Jean-Paul Sartre, « lundi 11 mars 1940 », Carnets de la drôle de guerre, Gallimard, p. 576.

David Farreny, 27 déc. 2006
arsouilles

Déjeuné de tomates, de sardines, de vaches qui rit, de raisin sur les hauteurs d’un pré. Des maçons arsouilles allongés à côté d’une villa qu’ils bâtissaient ont appelé des étudiantes qui partaient en promenade à une heure de l’après-midi. Les maçons ont échoué, le chant tenace d’un oiseau invisible a buté l’hymen des jeunes filles qui s’éloignaient en se donnant la main.

Violette Leduc, Trésors à prendre, Gallimard, p. 138.

Cécile Carret, 11 mars 2007
épaississement

Morale de la médiocrité. Être médiocre. L’homme moyen. D’abord l’homme-moyen comme on dit l’homme-fusée. Il est au niveau des moyens. Il se perd exprès dans l’infini des moyens pour ne pas regarder la fin en face. La fin est sous-entendue. En outre il est victime de la solidification des moyens qui deviennent eux-mêmes fins. En sorte que la tragédie de la poursuite de l’être se transforme en comédie. Épaississement du moyen.

Jean-Paul Sartre, Cahiers pour une morale, Gallimard, p. 25.

David Farreny, 20 nov. 2008
champignon

Un matin, en entrant en classe, nous sommes quelques-uns à découvrir que nos encriers de porcelaine blanche sont brisés autour du petit champignon violet de l’encre gelée.

Pierre Bergounioux, Chasseur à la manque, Gallimard, p. 20.

Cécile Carret, 14 avr. 2010
claquements

À force de rester ainsi couché, en pleine après-midi, il était bien naturel que je prenne, comme on disait, de « mauvaises habitudes » par lesquelles je tentais de me distraire de mon ennui. Je me figurais en missionnaire torturé, sauvé au dernier moment. Ma mère, bien sûr, me surprit, puisque toute l’éducation de son temps ne rendait les gens attentifs qu’à cela seul. Ils en étaient devenus experts, de fins limiers à qui rien n’échappait de ce qui, de près ou de loin, pouvait avoir l’air d’être de l’onanisme, au point d’en tomber dans une sorte de folie de l’espionnage qui a affolé des générations entières d’enfants et a probablement largement contribué à faire de l’Europe un continent de malades mentaux. Et ce fut un nouveau drame : course folle dans l’escalier, grands cris, claquements de portes, conciliabules, nouveaux claquements de portes, silence.

Georges-Arthur Goldschmidt, La traversée des fleuves. Autobiographie, Seuil, p. 97.

Cécile Carret, 10 juil. 2011
décomposé

Certains airs sont du trot, avec un rythme aussi décomposé que la musculature d’un cheval.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 132.

Cécile Carret, 28 juin 2012
obscurcit

Le rapport entre le mystère et l’ignorance : est-ce leur méconnaissance d’elles-mêmes qui obscurcit les choses ? Doivent-elles ignorer qu’elles sont mystérieuses ?

Petr Král, Cahiers de Paris, Flammarion, p. 137.

David Farreny, 2 avr. 2013
indiquaient

Les crochets aux volets de fenêtres ne se contentaient plus de pendre, ils indiquaient des directions.

Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 44.

Cécile Carret, 3 août 2013
tellement

X : il a écrit tellement de livres qu’il pourrait s’incinérer avec.

Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 120.

David Farreny, 13 sept. 2014
andropause

J’andropause en majesté sur mon trône vermoulu, contemplant d’un œil mort mes sujettes à caution.

Éric Chevillard, « mardi 17 octobre 2023 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 18 mars 2024

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