apéritifs

Prévenez-moi si la vie commence

je ne voudrais pas rater ça

les heures deviennent longues

entre les apéritifs

Jean-Pierre Georges, Je m’ennuie sur terre, Le Dé bleu, p. 66.

David Farreny, 20 mars 2002
taille

Il me vient à l’esprit que l’être n’a pas de taille. On le savait. Je le sens. C’est grave. Ce n’est pas tranquillisant.

Comment espérer jamais trouver la quiétude si l’on n’a d’assiette que métaphysique.

Agir gèle en moi.

Henri Michaux, « L’infini turbulent », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 923.

David Farreny, 26 juin 2004
scruté

Lorsque j’étais enfant j’aimais tellement une chienne, devenue vieille et malade, que j’avais passé avec Dieu un contrat pour sa protection : Il la maintiendrait en vie aussi longtemps que je dirais chaque nuit neuf neuvaines. Mais il ne s’agissait pas de prononcer automatiquement et à toute vitesse les mots du Notre Père et du Je vous salue. Il fallait au contraire se pénétrer de chacun d’eux, s’interroger sur son sens, je dirais presque le réaliser, au sens même dont s’accommodent les puristes, c’est-à-dire le rendre réel, le citer à comparaître, l’examiner en chacun de ses tenants et de ses aboutissants, sous tous ses angles et tous ses aspects, en la moindre de ses possibles hypostases. Tâche épuisante, on s’en doute, et qui ne saurait être menée à bien. À sonder seulement le Notre de Notre Père, une vie ne suffirait pas. Ne parlons pas du Je de Je vous salue.

D’ailleurs ma chienne mourut. J’étais partagé entre le scrupule de n’avoir pas suffisamment creusé le sens et scruté la réalité de règne, de volonté, de contrition, de pain, et l’amertume à l’égard du Seigneur. Tantôt je m’accusais de n’être pas allé au bout de mes examens, et de m’être assoupi sur eux plus d’une fois ; tantôt je L’accusais Lui de n’avoir pas tenu Ses engagements. Sur Sa parole ne tarderaient pas à venir des doutes, et bientôt sur Sa personne même, puis sur la parole en général.

Renaud Camus, Du sens, P.O.L., p. 55.

David Farreny, 5 mai 2009
modulations

Aller un peu mieux, un peu moins bien, ce ne sont que les modulations d’une universelle condition, qui consiste à être, et dont on ne sait pas quoi dire d’autre. Je suis, voilà ce que tu entendais ta mère déclarer au téléphone, je suis, avec incertitude, hésitation, parce qu’on n’en est jamais tout à fait certain. Que répondre à cela ? Et puis, tu ne le sais pas encore tout à fait, mais cela viendra, on le sait en toi, et pour toi, il n’y a rien à dire de ce qui est.

Pierre Jourde, Festins secrets, L’Esprit des péninsules, p. 303.

David Farreny, 2 déc. 2009
tordre

Il lui arrivait maintenant de pousser de petits rires, de se tordre littéralement ou bien de frapper dans le bois du lit et de répondre « entrez » sur des tons différents pendant des heures, sans jamais se lasser. De temps en temps il descendait de son lit, montait sur l’armoire et se mettait à ranger les vieilleries pleines de rouille et de poussière.

Bruno Schulz, « La visitation », Les boutiques de canelle, Denoël, p. 55.

Cécile Carret, 6 déc. 2009
résonne

Le fait qu’il est dans lui-même pour lui-même, l’animal l’expose, et cette exposition est la voix. Mais seul l’être sentant peut exposer le fait qu’il est sentant. L’oiseau dans les airs et d’autres animaux émettent des sons vocaux sous l’effet de la douleur, du besoin, de la faim, de la satiété, du plaisir, de l’allégresse, de l’ardeur du rut : le cheval hennit lorsqu’il va à la bataille ; les insectes bourdonnent ; les chats, quand cela va bien pour eux, ronronnent. Mais le geste théorétique de l’oiseau qui chante est un mode plus élevé de la voix ; et que la chose aille si loin chez l’oiseau constitue déjà une particularité relativement au fait que les animaux en général ont une voix. Car, tandis que les poissons, dans l’eau, sont muets, les oiseaux planent librement dans les airs comme dans leur élément ; détachés de la pesanteur objective de la terre, ils remplissent l’air d’eux-mêmes et extériorisent leur sentiment d’eux-mêmes dans l’élément particulier. Les métaux ont un son, mais pas encore de voix ; la voix est le mécanisme devenu spirituel qui s’exprime ainsi lui-même. L’être inorganique ne montre sa déterminité spécifique que s’il est sollicité, que s’il est battu ; tandis que l’être animal résonne de lui-même.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel, « Des manières de considérer la nature (additions) », Encyclopédie des sciences philosophiques, II. Philosophie de la nature, Vrin, p. 640.

David Farreny, 23 mai 2011
pleurer

Les larmes sans arrêt coulaient, les larmes formaient comme une membrane humide sur ses yeux. Elle ne voyait plus personne. Que lui importait qu’on la voie.

Puis les spasmes sont survenus, spasmes des muscles et des nerfs qui lui nouaient la gorge où quelque chose d’âpre raclait, comme si elle avait avalé du vin vieux, quelque chose d’amer, d’insupportable.

Ses compagnons de voyage étaient à même d’observer de près ce phénomène qu’est le fait ancestral de pleurer. D’un souffle, d’un seul, la poitrine se gonflait de façon titanesque, et, prise de mouvements convulsifs la bouche s’ouvrait pour happer l’air. Quelques halètements syncopés, puis après cette suite de brèves contractions venait enfin celle qui libérait la poitrine, et c’était encore douloureux, mais c’était aussi la fin de la douleur.

Dezsö Kosztolányi, Alouette, Viviane Hamy, p. 32.

Cécile Carret, 4 août 2012
courir

Rien ne sert de courir, peut-être, en tout cas ceci est une terrine de lièvre.

Éric Chevillard, « lundi 26 septembre 2016 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 23 fév. 2024
valeurs

L’optimisme moral a fait faillite dans les années quatre-vingt dans sa version gauchiste seulement. Il s’est ressaisi au cours de la décennie suivante et poursuit à présent son offensive sous le nom d’« éthique ». Parti, comme il se doit, des universités, il a gagné tous les secteurs de la vie sociale. Ainsi, j’appelle « gnangnan » ces discours édifiants et lénifiants censés redresser le moral des foules et que tiennent en toute occasion un syndicaliste ou un journaliste, un ministre ou un sportif, un évêque ou une chanteuse, un philosophe ou un comique, et auxquels les maîtres mots de « tolérance », de « respect », de « partage », scandés sur le mode incantatoire, donnent un certificat de moralité. Même le voyou de banlieue prompt à hurler qu’il a « la haine » finit par lâcher avec des trémolos dans la voix que « les hommes doivent s’enrichir de leurs différences » – sans s’aviser que ce fut la devise même des esclavagistes. On ne se mobilise plus pour des idées, mais pour des « valeurs » ; on ne lutte plus pour le peuple, mais pour les « vraies gens » qui ont de « vrais problèmes » dans leur « vraie vie ». L’heure est à l’« engagement citoyen » – conçu sur le modèle associatif, ou, plus glamour, sur celui des sauveurs sans frontières – au service d’une société plus « solidaire ». […] Hier encore, les projecteurs éclairaient l’intellectuel qui faisait figure de Conscience ; ils éclairent à présent la Conscience qui fait figure d’Intellectuel – preuve qu’il n’y eut jamais de meilleur combustible pour enflammer les Lumières que la mélasse des bons sentiments – et preuve, surtout, que de plus en plus de gens vivent, sans que nul s’en émeuve, en dessous du seuil de pauvreté de l’esprit critique.

Frédéric Schiffter, « Sur le gnangnan », Le philosophe sans qualités, Flammarion.

David Farreny, 26 mai 2024

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