La littérature c’était quelqu’un.
Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 123.
Qu’importe d’ailleurs : si on marche, c’est que quoi faire d’autre. Je n’aime pas du tout qu’on m’arrête par le coude, qu’on me demande ce qu’il en est du bonheur : j’en ai ma part, je ne suis pas sûr qu’elle me serve tant.
François Bon, « Ce qu’il en est du bonheur », Tumulte, Fayard, p. 462.
Idée de suicide ; idée de séparation ; idée de retraite ; idée de voyage ; idée d’oblation, etc. ; je puis imaginer plusieurs solutions à la crise amoureuse et je ne cesse de le faire. Cependant, quelque aliéné que je sois, il ne m’est pas difficile de saisir, à travers ces idées récurrentes, une figure unique, vide, qui est seulement celle de l’issue ; ce avec quoi je vis, complaisamment, c’est le fantasme d’un autre rôle : le rôle de quelqu’un qui s’en sort.
Ainsi se dévoile, une fois de plus, la nature langagière du sentiment amoureux : toute solution est impitoyablement renvoyée à sa seule idée — c’est-à-dire à un être verbal ; en sorte que finalement, étant langage, l’idée d’issue vient s’ajuster à la forclusion de toute issue : le discours amoureux est en quelque sorte un huit clos de Sorties.
Roland Barthes, « Idées de solution », Fragments d’un discours amoureux, Seuil, p. 169.
La route traversait un marécage desséché où des tuyaux de glace sortaient tout droits de la boue gelée, pareils à des formations dans une grotte. Les restes d’un ancien feu au bord de la route. Au-delà une longue levée de ciment. Un marais d’eau morte. Des arbres morts émergeant de l’eau grise auxquels s’accrochait une mousse de tourbière grise et fossile. Les soyeuses retombées de cendre contre la bordure. Il s’appuyait au ciment rugueux du parapet. Peut-être que dans la destruction du monde il serait enfin possible de voir comment il était fait. Les océans, les montagnes. L’accablant contre-spectacle des choses en train de cesser d’être. L’absolue désolation, hydropique et froidement temporelle. Le silence.
Cormac McCarthy, La route, L’Olivier, pp. 399-400.
Elle vit un échalas crasseux à la longue tignasse grise, vêtu d’un simple sac postal ficelé à la ceinture et chaussé de sandales sonores. Elle était seule dans la rue avec lui. Quand elle jetait un œil dans son dos, l’homme détournait le regard, ralentissait et inclinait la tête d’une façon coupable. Ensuite elle reprenait sa marche, et lui de même, faisant claquer ses mauvaises sandales comme s’il venait de les voler à quelqu’un le surpassant de trois pointures. […] Le cochon de lait roula au sol dans son torchon et elle se jeta dessus à plat ventre. L’homme la prit par les cheveux et la redressa.
— Donne-moi ton c’chon. Ton c’chon !
Julien Péluchon, Pop et Kok, Seuil, p. 38.
La photographie au Japon est extraordinaire. Il pose devant moi un paquet de photos japonaises. Regardez comme elles sont modestes, simples et ingénieuses. Ici, vous avez un arbre tout seul.
Dezsö Kosztolányi, Portraits, La Baconnière, p. 98.
C’est le seul moyen de fuir la société tout en faisant bonne impression, aussi je ne la laisse à personne : la vaisselle.
Éric Chevillard, « mercredi 2 mars 2016 », L’autofictif. 🔗
L’existence de l’œuvre d’art prouve que le monde a un sens.
Même si elle ne dit pas lequel.
Nicolás Gómez Dávila, Carnets d'un vaincu. Scolies pour un texte implicite, L'Arche, p. 19.
Pour n’être pas misanthrope, il faut se faire de soi-même une idée bien présomptueuse.
Éric Chevillard, « jeudi 15 février 2024 », L’autofictif. 🔗