membranes

Il y a des heures dans la vie où l’homme, à la chevelure pouilleuse, jette, l’œil fixe, des regards fauves sur les membranes vertes de l’espace ; car, il lui semble entendre, devant lui, les ironiques huées d’un fantôme. Il chancelle et courbe la tête : ce qu’il a entendu, c’est la voix de la conscience. Alors, il s’élance de la maison, avec la vitesse d’un fou, prend la première direction qui s’offre à sa stupeur, et dévore les plaines rugueuses de la campagne.

Isidore Ducasse, comte de Lautréamont, Les chants de Maldoror, Robert Laffont, p. 658.

Guillaume Colnot, 2 déc. 2002
maître

L’après-midi sur la Dordogne contenait tant de bonheurs tangibles qu’il aurait été fou de rêver. Une profusion de biens sans maître avait été répandue sur ses rives, reflets, laisses de galets polis, bancs de sable fin soigneusement gaufré, barques, senteurs de menthe et de limon, grandes ombelles, verges d’or. La seule ombre au tableau était mon fait. Pareille richesse excédait tellement mon empan qu’à peine je l’aurais effleurée lorsque le moment viendrait, bientôt, de repartir.

Pierre Bergounioux, Univers préférables, Fata Morgana, p. 16.

David Farreny, 7 mars 2004
malade

Il s’agit d’une maladie contractée à la naissance. C’est la naissance même qui l’a rendu malade. La naissance fut sa première maladie. C’est bien là le problème. Celui de parler à un vieux malade.

Charles Pennequin, Bibi, P.O.L., p. 74.

David Farreny, 28 déc. 2005
égal

Marc avait aussi un fils, qui vivait loin de lui. Trop loin. Il ne souhaitait pas en parler. Il préférait reparler de la femme du métro. Ça l’intéressait de s’intéresser à elle. Ça l’occupait. Moi aussi, dis-je. Marie m’occupe. Je vous trouve vieux, tous les deux, intervint Kontcharski. Vous ne vivez pas assez. Et vous ? dis-je. Qu’est-ce que vous vivez de plus, Cyril ? Je ne voulais pas l’agresser, mais je voulais défendre Marc. Moi, ça m’était égal, je ne prétendais pas vivre, je trouve que c’est une ambition stupide. On vit de toute façon et en fin de compte quelque chose s’est passé. Ou a passé. Bref.

Christian Oster, Trois hommes seuls, Minuit, p. 53.

Cécile Carret, 14 sept. 2008
quiétude

Le délice de ces matinées : le soleil, la maison, les roses, le silence, la musique, le café, la quiétude insexuelle, la vacance des agressions.

Roland Barthes, Roland Barthes par Roland Barthes, Seuil.

David Farreny, 27 mars 2010
éternité

À l’école, la nonne nous a dit que ça durerait pour l’éternité, a-t-elle continué en enlevant la peau de sa truite. Et quand nous avons demandé combien de temps durait l’éternité, elle a répondu : « Pensez à tout le sable de l’univers, toutes les plages, toutes les carrières de sable, le fond des océans, les déserts. À présent, imaginez tout ce sable dans un sablier, comme un gigantesque minuteur. Si un grain de sable tombe chaque année, l’éternité est la longueur de temps nécessaire pour que tout le sable du monde s’écoule dans ce sablier. » Rendez-vous compte ! Ça nous a terrifiées.

Claire Keegan, L’Antarctique, Sabine Wespieser, p. 19.

Cécile Carret, 19 déc. 2010
preuves

Il se sent prisonnier sur cette terre, il est à l’étroit, la tristesse, la faiblesse, les maladies, les idées délirantes du prisonnier éclatent chez lui, aucune consolation ne peut le consoler, justement parce que ce n’est que consolation, douce consolation qui fait souffrir la tête en face du fait brutal de la captivité. Mais si on lui demande ce qu’il voudrait vraiment, il ne peut pas répondre, car — c’est là l’une de ses plus fortes preuves — il n’a aucune idée de la liberté.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 493.

David Farreny, 9 nov. 2012
pourtant

Le temps est irréversible et pourtant je m’approche de ce qui m’a précédé.

Richard Millet, Petit éloge d’un solitaire, Gallimard, p. 17.

David Farreny, 25 août 2013
contre

Il y a quelque chose de spirituel qui peut être dit pour et contre toute chose. Un homme d’esprit pourrait, bien sûr, prendre le contre-pied de cette affirmation, et saurait même me la faire regretter.

Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 290.

David Farreny, 13 janv. 2015
soue

Bonheur simple (puis-je l’écrire sans superstition ?), cet après-midi, dans la forêt de Liffré, avec Marie jouant dans l’herbe, et Béatrice allongée non loin d’elle. Odeurs puissantes de terre, de genêt, de chênes chauffés par le soleil. Un coucou dans le lointain. Rumeur du vent dans les frondaisons hautes. Rien de plus simple que ces instants. Écrire, en comparaison, c’est se vautrer dans une soue.

Richard Millet, « 20 mai 1997 », Journal (1995-1999), Léo Scheer.

David Farreny, 20 avr. 2024

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