style

Dieu. Rien à faire. Comment pourrais-je rêver à un Dieu absolu dans le haut des cieux, un Dieu de style ancien ?

Witold Gombrowicz, Journal (1), Gallimard, p. 378.

David Farreny, 24 mars 2002
préciosité

Six heures… On a un continent en face de soi, pourtant, avec ses sommets, ses cités, ses routes et ses solitudes. Alentour, des pins, des parcs profonds, quelques balustrades, des terrasses. On s’assoit côte à côte à une branlante table de fer, devant le petit café qui jouxte la chapelle. On se tait, les mains se frôlent pour atteindre les verres ou se passer les jolies cartes postales anciennes qu’on vient d’acheter. On songe aux singularités du destin, à la fragilité des amours, à la tendresse des soirs, à la préciosité des moments, à des morts, à des disparus, à des oubliés, à des inoubliables qui vous oublient.

Renaud Camus, Aguets. Journal 1988, P.O.L., p. 247.

Élisabeth Mazeron, 19 août 2005
programme

C’est déjà un tel programme une femme aimée dans une vie d’homme.

Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 169.

David Farreny, 11 mars 2008
hauteur

Il faut se fixer des idéaux atteignables quand on ne saute pas deux mètres cinquante en hauteur de vue.

Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 10.

David Farreny, 9 juin 2008
trajets

Il était rare que j’emprunte la ligne droite pour me rendre quelque part. La raison, je l’ai dit, est que certains endroits me blessaient l’âme sans que je sois en mesure ni de m’en défendre ni même de distinguer la nature précise de l’atteinte qu’ils me portaient, la partie exacte qu’ils lésaient. Ce sont des choses qu’on sent, intensément, à qu’à défaut de les comprendre on peut toujours éviter. C’est pourquoi j’avais arrêté une gamme de trajets d’esquive qui me permettaient d’aller où mes petites affaires m’appelaient sans avoir à verser mon tribut de contrariété, de détresse, parfois, aux puissances mauvaises qui tenaient un tronçon de rue, des arrière-cours, certaines quartiers. À ces cheminements défilés s’ajoutaient au moins trois itinéraires de liesse et de libération dont je n’ai pas pleinement profité parce qu’ils ne desservaient aucun des endroits où, comme par un fait exprès, j’avais à faire. L’un d’eux était le système exigu, compliqué de venelles, de jardinets, de passerelles qui accompagnaient le canal jusqu’à son débouché. Le passage, par moments, se réduisaient en une étroite berme cimentée. C’est là que j’ai surpris, sous très peu d’eau, de grandes carpes couleur de bronze, immobiles. Elles étaient si proches que j’aurais pu les caresser. Je voyais leur bouche s’ouvrir et se fermer, comme les nôtres, quand nous parlons, et j’ai peut-être cru, quelques temps, que, sans l’eau qui les éteignait, leurs paroles nous parviendraient, comme au roi Salomon, jadis, et que bien des choses s’expliqueraient.

Pierre Bergounioux, Chasseur à la manque, Gallimard, p. 24.

Cécile Carret, 14 avr. 2010
calao

On est parce qu’on porte un brin de paille. Quelqu’un nous l’a laissé quand ce fut l’heure de le porter. Et la réciproque est vraie : on porte un brin de paille, un étui pénien, l’ordre du grand calao parce qu’on est.

Pierre Bergounioux, L’orphelin, Gallimard, p. 46.

Élisabeth Mazeron, 7 juin 2010
musique

La musique m’ouvrit une autre voie, ou me révéla une voie qu’à vrai dire je ne cessais d’emprunter sans m’en apercevoir. Au lieu de regarder jalousement mon douloureux ennui, lui préférant toute forme d’activité, refusant de loger en lui quelque chose qui risquerait de le dénaturer (refusant même de comprendre que l’ennui était un logement), il était possible d’ouvrir l’ennui à cette forme en expansion indéfinie qu’était la musique : si on acceptait de l’écouter, de la laisser développer votre attention, elle passait un pacte avec ce qu’était en définitive l’ennui, à savoir une vie intérieure informe et agitée, une vitalité confuse, empêtrée, en attente de formes, le chaos originel revenu se poser sur le monde.

Quel rapport les Brandebourgeois de Bach ou Honeysuckle Rose avaient-ils avec ce chaos qu’apparemment ils n’avaient pas oublié ni effacé ?

Sans doute que, comme toute composition musicale, ils s’étaient donné pour tâche de mettre en forme ce que l’ennui, malgré la douleur qu’il inflige, sa pesanteur propre, libère et fait venir au jour : la matière mobile et non verbale de la pensée, disons de la vie mentale, qui n’est visible de façon aussi flagrante que quand elle est ainsi inoccupée et tournoie de souci en pensée vague, adonnée à sa propre mobilité.

Pierre Pachet, Sans amour, Denoël, p. 45.

Cécile Carret, 13 mars 2011
veille

Enfoui dans la nuit. Être enfoui tout entier dans la nuit, comme il arrive quelquefois qu’on enfouisse la tête pour réfléchir. Tout à l’entour, les hommes dorment. C’est une petite comédie qu’ils se donnent, une innocente illusion, de penser qu’ils dorment dans des maisons, dans des lits solides, sous des toits solides, étendus ou blottis sur des matelas, dans des draps, sous des couvertures ; en réalité, ils se sont retrouvés comme jadis, et comme plus tard, dans une contrée déserte, un camp en plein vent, un nombre d’hommes incommensurable, une armée, un peuple, sous le ciel froid, sur la terre froide ; chacun s’est jeté sur le sol là où il était, le front pressé sur le bras, le visage tourné vers la terre, respirant paisiblement. Et toi, tu veilles, tu es un des veilleurs, tu découvres le prochain veilleur en agitant le tison enflammé que tu prends au tas de brindilles, près de toi. Pourquoi veilles-tu ? Il faut que quelqu’un veille, dit-on. Il faut quelqu’un.

Franz Kafka, « Nocturne », Œuvres complètes (2), Gallimard, pp. 569-570.

David Farreny, 7 août 2013
plus

La littérature voulait être plus que ça. Elle voulait se substituer au monde.

Éric Chevillard, « jeudi 19 septembre 2013 », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 22 sept. 2013
s’amarrer

Ce peut être souvent une source de grand plaisir que de penser à soi, dans la solitude, et de se créer un monde de son propre cœur ; toutefois, ainsi, l’on travaille sans s’en aviser à une philosophie pour laquelle le suicide a peu de prix et est autorisé. C’est pourquoi il est bon de s’amarrer au monde par le moyen d’une jeune fille ou bien d’un ami, afin de ne pas sombrer complètement.

Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 155.

David Farreny, 23 oct. 2014
Assesse

D’abord, Poix Saint-Hubert

où un homme seul tanguait

sous les néons de La Notte.

Puis Grupont, dont la gare

secondaire ne désirait rien

tant que passer inaperçue ;

à Forrières, bois d’hiver

entassé le long des rues,

nuancier de mousses et

lichens, avant les églises

de Jemelle, saupoudrées

de poussière. À Marloie,

autres stères, aux bûches

cannelle cette fois ; après

Ciney, la ville d’Assesse

que nul ne visite jamais,

et à Courrières (souvenir

de catastrophes minières),

des moignons d’arbustes

sciés sur un talus ébarbé.

À Naninne (ou Louzée ?)

des bovins constellaient

les prés en pente, boues

gelées. Après Gembloux,

escarpements, et toitures

effondrées, oui, à Chastre,

à l’image d’un pays entier.

Gilles Ortlieb, « Traversées », Sous le crible, Finitude, pp. 29-30.

David Farreny, 21 juil. 2015

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