Ma chambre donne sur un volcan.
La fenêtre de ma chambre donne sur un volcan.
Enfin un volcan.
Je suis à deux pas d’un volcan.
Il y avait dans notre propriété un volcan.
Volcan, volcan, volcan.
Henri Michaux, « Ecuador », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 161.
Les crêtes, les ravins, les fronces de la zone métamorphique, l’eau glacée qui sourd, les étangs de plomb, les tourbières, la clarté louche que filtre le taillis, les rampes bossuées dissuadent d’aller.
Pierre Bergounioux, « Sauvagerie », Un peu de bleu dans le paysage, Verdier, p. 16.
Il ne concevait pas qu’on puisse étudier autrement qu’à l’étroit, abrité de la respiration énorme de l’espace par des épaisseurs successives de murs, protégé non seulement par le toit des rêves qui agitent sans discontinuer le ciel, mais par un solide glacis de pavés de l’humide et sourde suggestion de la terre.
Pierre Bergounioux, Catherine, Gallimard, p. 37.
Étranger, néanmoins, c’est encore une espèce de statut, une épithète pour le voyageur, un label pour ses rapports avec le ciel, les passages cloutés, les fontaines, les visages. À Chamalières, je ne suis même pas étranger. Qu’importe que j’avance, me hâte, coure peut-être, me retourne, lève les yeux, sourie dans le vide ? Je peux bien aller jusqu’à changer de trottoir. Nulle part je ne serai mieux innommable, ni plus rigoureusement inqualifiable ; jamais chose plus transparente, ni corps mieux dépecé.
Renaud Camus, L’élégie de Chamalières, P.O.L., p. 28.
J’ouvre ici un chemin de verre brisé.
Richard Millet, Le goût des femmes laides, Gallimard, p. 107.
La mort de l’œuvre a pu naître de la belle intention d’en finir avec la barrière entre l’art et la vie (d’où les happenings, body art, land art, etc.). Mais pour être généreuse, l’intention n’en est pas moins naïve, bornée. Car l’art n’est pas la vie, qui, elle, est imperceptible a priori : l’art est un moyen de percevoir la vie. Il faut une délimitation, un cadre — une forme — pour que notre attention soit disponible à la vie, et c’est cette délimitation qu’opèrent, et nous aident à opérer, ces choses qu’on appelait « œuvres ».
Jean-Philippe Domecq, Artistes sans art ?, 10/18, p. 229.
Moralité : ce n’est plus le sentiment de supériorité religieuse, raciale ou nationale qui, sous nos latitudes, fait les antisémites, c’est la honte, la contrition, une mémoire en forme de casier judiciaire et le remords d’appartenir au camp des oppresseurs. Ainsi s’égare la mauvaise conscience ; ainsi bascule dans la monstruosité cette aptitude à se mettre soi-même en question qui a longtemps constitué le meilleur de l’Occident, son trait distinctif et sa principale force spirituelle.
Alain Finkielkraut, « Au pays du progressisme déconcertant », L’imparfait du présent, Gallimard, p. 235.
Esti l’épiait par une fente entre ses cils. Les yeux de la fille n’étaient même pas complètement fermés. Elle aussi l’épiait de la même façon, par une fente entre ses cils. Esti ouvrit les yeux. La fille aussi ouvrit les yeux.
Elle lui adressa un gloussement. Elle gloussa si bizarrement qu’Esti en eut presque froid dans le dos. Elle croisa ses échasses. Son jupon de dentelle se souleva, on voyait ses genoux et ses cuisses, un fragment dénudé de ses pattes de moineau. Elle gloussa de nouveau. Elle gloussait avec une coquetterie inepte, sans équivoque.
Ah, que c’était répugnant. Cette fille était amoureuse de lui. Amoureuse de lui, cette larve, ce poulet, ce vermisseau. Ces jambes étaient amoureuses de lui, ces yeux et aussi cette bouche, cette horrible bouche. Elle voulait danser avec lui à cet obscène bal pour enfants, avec sa huppe, avec son nœud couleur fraise, ce petit masque, ce petit spectre de bal. Ah, que c’était répugnant.
Dezsö Kosztolányi, Kornél Esti, Cambourakis, p. 60.
— Alors vous êtes un écrivain sans livre, un absent, en quelque sorte, lui a-t-elle dit en riant.
— C’est ça : un écrivain sans œuvre ; un songe ; un écrivain songé par la littérature même.
Richard Millet, La fiancée libanaise, Gallimard, p. 174.
Cet après-midi-là où je vis se dérouler le début de son histoire, devant les deux autres, il retomba dans ses pensées et se mit tout à coup à dire à la belle pharmacienne : « Pourquoi êtes-vous tellement bronzée ? Chez les anciens Égyptiens, seuls les hommes étaient bronzés, les femmes, elles, en revanche, se devaient d’être blanc albâtre ou blanc blême. D’ailleurs pourquoi la plupart des pharmaciens se baladent-ils de nos jours arborant constamment ce bronzage et surtout les pharmaciennes ?
— Mais vous êtes bronzé vous-même et basané comme un fellah.
— Chez moi c’est naturel, et cela vient aussi de passer du soleil à l’ombre plutôt que de rester comme vous enduites de crème allongées dans les cabines de bronzage sud-azur, où on vous affine le dosage des rayons selon le blanc de la blouse.
— Vous voilà bien revêche aujourd’hui ! Et vous vouliez naguère pourtant ériger une pyramide en mon honneur ! »
Peter Handke, Par une nuit obscure je sortis de ma maison tranquille, Gallimard, p. 44.
J’ai cessé d’aller chez le coiffeur à l’âge de quatorze ans à cause de l’odeur de la laque, du crissement des doigts de la shampouineuse sur mes cheveux mouillés, et de la douleur de ma nuque sur le bac en forme de U. Je coupe moi-même mes cheveux, ce qui étonne mes amis puisque avec l’expérience, je me rate peu.
Édouard Levé, Portrait, P.O.L., p. 20.
Jean Clair, Les derniers jours, Gallimard, pp. 315-316.