raison

L’absence de société des lettrés allemands, leur vie retirée et inlassablement studieuse, leur vie de cabinet, ne rendent pas seulement leurs opinions et leurs pensées indépendantes des hommes (ou des opinions d’autrui), mais des choses mêmes. C’est ainsi que leurs théories, leurs systèmes, leurs philosophies (à quelque genre qu’ils appartiennent : politique, littéraire, métaphysique, moral et même physique) sont pour la plupart des poèmes de la raison.

Giacomo Leopardi, Zibaldone, Le Temps Qu’il Fait.

David Farreny, 23 mars 2002
pieux

Mémorial, un beau mot, pour une héraldique des souvenirs pieux : mais tous les souvenirs sont pieux, même les moins volontaires, et même les plus impies.

Renaud Camus, Le département de la Lozère, P.O.L., p. 18.

David Farreny, 14 avr. 2002
meurt

Dans les galeries de ce terrier aérien, la bête insensée que nous sommes, meurt de s’unir à la bête future que nous enfermons, et que nous poursuivons, et que nous ajustons, dehors, aveuglément, avec une arme sans défaut qui ne peut abattre que nous.

Jacques Dupin, « L’embrasure », Le corps clairvoyant, Gallimard, p. 170.

David Farreny, 8 mai 2004
ombre

Que la fenêtre donnait sur la rue, si peu. Parce qu’au bout du couloir il y avait bien une porte, qui donnait sur la rue, et qui maintenant est l’entrée principale du cabinet médical. Mais nous on ne s’en servait pas, on passait par le jardin, et la cuisine. Dans le couloir il y avait quoi ? Je n’en sais plus rien. J’y verrais bien une machine à coudre Singer, ancien modèle à pédalier, avec son couvercle, mais peut-être j’invente. J’ai souvenir de cette ombre, je dois faire avec l’ombre.

François Bon, Mécanique, Verdier, pp. 36-37.

David Farreny, 5 sept. 2004
aventure

Elle savourait l’absence totale d’aventures. Aventure : façon d’embrasser le monde. Elle ne voulait plus embrasser le monde. Elle ne voulait plus le monde.

Milan Kundera, L’identité, Gallimard, p. 56.

David Farreny, 3 fév. 2008
flottement

Là où elle est, déclara-t-il, elle doit maintenant faire comme nous, j’imagine, elle doit envisager de se coucher. Il est certain que cette femme elle aussi a l’obligation de dormir de temps en temps, commenta Kontcharski. Comment ça ? fit Marc. Ça ne lui retire rien, il me semble. Je n’ai pas dit ça, fit Kontcharski. Moi aussi, intervins-je, je l’imagine très bien en train de dormir. Ah oui ? fit Marc. Oui, dis-je. Je pense qu’elle est réelle, qu’elle existe réellement et qu’elle va dormir cette nuit, je veux dire que je pense comme toi, que je l’imagine très bien dormir. Il y eut un petit moment de flottement, ici, parce que personne ou presque ne semblait comprendre ce que chacun voulait exactement dire, flottement dont je tentai de sortir tout le monde en observant que cette femme, par ailleurs, était peut-être arrivée là où elle allait, elle. C’est-à-dire ? me reprit Marc. Eh bien, formulai-je, en proie à un nouvel embarras, mais c’était un peu tard pour biaiser, maintenant, elle ne sera peut-être plus sur la route demain, je suppose que tu en as conscience. Bien sûr, convint Marc. Ça ne l’empêche pas d’être la femme de l’autoroute. Non, dis-je, et Kontcharski acquiesça également en précisant qu’on ne pourrait jamais lui retirer l’autoroute, à cette femme. Bon, dit Marc, si on allait dormir ?

Christian Oster, Trois hommes seuls, Minuit, p. 71.

Cécile Carret, 14 sept. 2008
valable

Malheur, pourquoi ne nous vois-je plus en accord ? Malheur ! Pourquoi à trois heures de l’après-midi la lumière dans le chemin creux, le battement des trains sur les rails, ton visage, pourquoi tout cela n’est-il plus l’événement que cela a été ce matin encore, valable jusque dans l’avenir le plus lointain ? Malédiction, pourquoi contrairement à l’image bien connue du vieillissement puis-je moins que jamais fixer, retenir, apprécier les moments de la journée ou de la vie ? Malédiction, pourquoi suis-je donc au vrai sens du terme si distrait ? Malédiction, malheur de malheur.

Peter Handke, « Essai sur la journée réussie », Essai sur la fatigue. Essai sur le juke-box. Essai sur la journée réussie, Gallimard, pp. 155-156.

David Farreny, 31 oct. 2009
compris

Je la voyais autant dire pour la première fois, mais sa forme me pénétra d’un coup. De la nuque pâle, sous les nœuds de la lourde tresse, jusqu’aux fins talons, je devinai son corps, le parcourus, et m’en délectai comme d’une offrande personnelle. Je compris et goûtai le grand front large et les beaux yeux pleins de douceur, j’aimai le nez, la bouche aux fins coins d’ombre, et le dessin du cou, et l’équilibre superbe des épaules. Mon désir volait cet ensemble merveilleux, je ne me reconnaissais plus, j’étais évadé de moi-même.

Quelque chose de considérable venait de se produire, que j’acceptais dévotement. Le jet bref d’un regard avait mis bas tous mes calculs. Dédaigneux de la foule, dont la rumeur montait sans m’atteindre, je n’avais d’yeux que pour cette femme, et tous mes sens convergeaient vers son masque clair. Une magie insoupçonnée dénaturait mes réflexions. Je voyais choir mes fameux plans et mes risibles stratégies, et je me laissais faire, heureux, et subissais ce cher martyre, voluptueusement. Mon passé, douloureux ou puéril, mes bonheurs étriqués, mes remords, Jeanne, l’odeur cadavéreuse de ma vie, l’avenir, tout cela enfin glissait, fondait, croulait en cascade le long de mon être, comme d’un corps un linge fatigué.

Félix Vallotton, La vie meurtrière, Phébus, pp. 74-75.

David Farreny, 13 juil. 2010
début

En buvant au soleil, je regardais couler le flot des passants sur la place Charles ; des jeunes, rien que des jeunes, des étudiants ; tous ils étaient marqués au front d’une étoile, signe de l’embryon du génie que chaque être porte en lui au début de sa vie ; leur regard irradiait la force, cette force qui jaillissait de moi avant que mon chef ne me dise que j’étais un crétin. Je suis appuyé contre la rambarde, les tramways circulent, ils descendent dans un sens et remontent dans l’autre, leurs bandes rouges me font du bien.

Bohumil Hrabal, Une trop bruyante solitude, Robert Laffont, p. 109.

Cécile Carret, 13 juin 2011
chauve-souris

Et une chauve-souris jaillit d’un buisson, bruit de cuir.

Peter Handke, Par une nuit obscure je sortis de ma maison tranquille, Gallimard, p. 58.

Cécile Carret, 21 juil. 2013
tenter

J’ai regardé la vache et la poule et je me suis dit qu’il n’aurait pas été inintéressant, tout de même, après si longtemps, de les voir tenter autre chose.

Éric Chevillard, « mercredi 15 novembre 2017 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 25 fév. 2024

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