épigastriques

Le rire définit un genre, nullement une qualité ; il y a des rires épigastriques qui dérident, il y en a d’autres, viscéraux, qui ébranlent : il faut choisir.

Roland Barthes, « Les trois mousquetaires », Œuvres complètes (1), Seuil, p. 1014.

David Farreny, 5 déc. 2004
lâchent

Mais mes identités me lâchent avant la fin de mes phrases.

Renaud Camus, « samedi 26 avril 1980 », Journal d’un voyage en France, Hachette/P.O.L., p. 79.

David Farreny, 30 juil. 2005
gratuit

Tout ce qui est gratuit rend ingrat.

Stephen Smith, Négrologie. Pourquoi l’Afrique meurt, Calmann-Lévy, p. 115.

David Farreny, 27 mars 2007
rassurant

Le réveil qui sonne le matin renvoie à la possibilité d’aller à mon travail qui est ma possibilité. Mais saisir l’appel du réveil comme appel, c’est se lever. L’acte même de se lever est donc rassurant, car il élude la question : « Est-ce que le travail est ma possibilité ? » et par conséquent il ne me met pas en mesure de saisir la possibilité du quiétisme, du refus de travail et finalement du refus du monde et de la mort.

Jean-Paul Sartre, « L’origine du néant », L’être et le néant, Gallimard, p. 73.

David Farreny, 11 oct. 2008
remerciait

À l’origine il y eut une découverte ou plutôt une réminiscence — car j’en avais eu deux ans plus tôt le pressentiment : les grands auteurs s’apparentent aux chevaliers errants en ceci que les uns et les autres suscitent des marques passionnées de gratitude. Pour Pardaillan, la preuve n’était plus à faire : les larmes d’orphelines reconnaissantes avaient raviné le dos de sa main. Mais, à croire le Grand Larousse et les notices nécrologiques que je lisais dans les journaux, l’écrivain n’était pas moins favorisé : pour peu qu’il vécût longtemps, il finissait invariablement par recevoir une lettre d’un inconnu qui le remerciait […]. Je m’appliquais à surprendre, au fond de moi-même, cette universelle attente, ma source vive et ma raison d’être ; je me croyais quelquefois sur le point d’y réussir et puis, au bout d’un moment, je laissais tout aller. N’importe : ces fausses illuminations me suffisaient. Rassuré, je regardais au-dehors : peut-être en certains lieux manquais-je déjà. Mais non : c’était trop tôt. Bel objet d’un désir qui s’ignorait encore, j’acceptais joyeusement de garder pour quelque temps l’incognito.

Jean-Paul Sartre, Les mots, Gallimard, pp. 142-145.

David Farreny, 4 janv. 2009
logiciels

Les plaisirs sont ressentis comme les plus intenses, les douleurs comme les plus profondes lorsqu’ils mobilisent le plus de canaux émotifs, qu’ils drainent une quantité incalculable de souvenirs heureux ou malheureux, d’espérances idéalisées ou brisées. Il est alors troublant de constater que ces émotions contraires et complexes affectent pareillement l’intérieur de notre ventre, et non seulement cela, mais qu’elles agissent de la même façon que la réaction la plus primaire, telle la peur face à un danger physique. On pourrait dire que nos intestins travaillent selon des logiciels primitifs qui ne savent pas reconnaître les programmes nouveaux et sophistiqués émis par notre cerveau et les traduisent en un agrégat de signes élémentaires.

Catherine Millet, Jour de souffrance, Flammarion, p. 121.

Élisabeth Mazeron, 12 mars 2009
morgue

Par la fenêtre, on voyait en bas la rue pluvieuse, goudron ravaudé et flaques de verre noir ; en haut le polygone du ciel, petit, joli. De côté, la lumière funèbre de la lune ; dessous, la morgue des nuages rigides dans des draps funestes. Nous fîmes une moue désapprobatrice et retournâmes au coin du feu. Frau Doktor me regarda non sans bienveillance ; et me régla pour mon confort la chaise longue encore plus méticuleusement, si bien que je me retrouvais presque couché sur le dos, assailli sans cesse par les flammes friponnes ; quant à elle, elle s’adossa décemment et fuma.

Arno Schmidt, « Histoire racontée sur le dos », Histoires, Tristram, p. 53.

Cécile Carret, 17 nov. 2009
pointe

À dix-huit, dix-neuf ans, l’espace d’une seconde, Musil aperçoit sa mère nue. Ça lui reste. Il nous reste ainsi des fentes d’existence, longues à mourir, à vivre, c’est la même chose, que nous portons, dont nous portons le négatif en nous, sans le savoir, puis, grâce à une répétition — mais sans aucun rapport avec la vision initiale, sinon de rappel —, nous voilà comme en écho direct avec ce qu’on ne savait pas avoir vu à ce point.

Georges Perros, « Notes de résistance », Papiers collés (3), Gallimard, p. 174.

David Farreny, 27 mars 2012
mine

Pendant ces heures de lecture, mon père trouvait enfin, pour une fois, sa place, au soleil dehors sur le banc de la cour, ou sinon sur le tabouret sans dossier à la fenêtre de l’est, où il scrutait avec une mine puérile de savant chacun des caractères – image au souvenir de laquelle il me semble être encore assis auprès de lui.

Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 66.

Cécile Carret, 4 août 2013
île

Seul comme Franz Kafka ? Seul comme Philippe Muray ?

Seul comme ? Seul comme ce qui n’a pas de comme.

Sens du soupir de Kafka…

J’ai été seul, et ma solitude je vous l’ai rendue inoubliable.

Solitude la plus basse, la plus noire, la moins romantique, pittoresque, littéraire qui soit. Solitude sexuelle. Tous les sexes ensemble d’un côté et moi de l’autre côté. Ma solitude repose sur leur mime sexuel commis en commun.

Même sur une île déserte, j’aurais toute l’île déserte contre moi.

Philippe Muray, « 6 février 1983 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, p. 243.

David Farreny, 27 mai 2015
envie

Il me montra avec fierté ses magnifiques toilettes tout en azulejos, robinetterie d’or, cuvette de marbre et lunette en acajou. Mais mes goûts sont frugaux sans doute et l’envie de chier ne me vint pas.

Éric Chevillard, « dimanche 4 octobre 2015 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 4 oct. 2015

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