algèbre

Il en est de la musique comme des autres arts, y compris la littérature : la forme la plus haute de l’expression artistique est du côté de la littéralité, c’est-à-dire en définitive d’une certaine algèbre : il faut que toute forme tende à l’abstraction, ce qui, on le sait, n’est nullement contraire à la sensualité.

Roland Barthes, « Mythologies », Œuvres complètes (1), Seuil, p. 803.

David Farreny, 5 déc. 2004
presque

Tu attends, tu espères. Les chiens se sont attachés à toi, et aussi les serveuses, les garçons de café, les ouvreuses, les caissières des cinémas, les marchands de journaux, les receveurs d’autobus, les invalides qui veillent sur les salles désertées des musées. Tu peux parler sans crainte, ils te répondront chaque fois d’une voix égale. Leurs visages maintenant te sont familiers. Ils t’identifient, ils te reconnaissent. Ils ne savent pas que ces simples saluts, ces seuls sourires, ces signes de tête indifférents sont tout ce qui chaque jour te sauve, toi qui, toute la journée, les a attendus, comme s’ils étaient la récompense d’un fait glorieux dont tu ne pourrais parler, mais qu’ils devineraient presque.

Georges Perec, Un homme qui dort, Denoël, p. 119.

David Farreny, 4 oct. 2005
orgueil

Oui, il est toujours là. Tant pis ; accommodons-nous de sa présence et tâchons de le rendre de plus en plus subtil (il a déjà maigri de moitié depuis que je le taquine). Éducation de l’orgueil, quel programme ! Cela consisterait à lui donner carrière, à le satisfaire, à le pousser toujours plus avant jusqu’au point où il devient l’humilité et l’intelligence totale. Quand j’aurai le temps, j’essaierai.

Valery Larbaud, « Journal intime de A.O. Barnabooth », Œuvres, Gallimard, p. 119.

David Farreny, 24 avr. 2007
confins

Mes oreilles bourdonnaient, je n’étais plus à moi. Il y a une longue ligne droite après la sortie du bourg, plus loin que les noyers, avant les bois, tout entourée de grands champs ; mon regard durement fouillait ces champs, se portait aux confins, remontait aux lisières, tous lieux où mille fois naissait Yvonne dans ses bas, blanche, les reins nus dans le froid, mordue, jetée hors du bois dans les sévices de l’hiver et de mon esprit.

Pierre Michon, La Grande Beune, Verdier.

Cécile Carret, 21 fév. 2009
mainates

Nous nous embrassâmes. Sophie Gironde avait grossi. Elle avait l’air triste. Elle vint se frotter avec impudeur contre moi pendant plusieurs minutes, comme si nous étions seuls au monde ; elle me soufflait sur le visage une haleine capiteuse de chamane fatale, elle me touchait les omoplates et les hanches, et nous restâmes ainsi, suspendus dans la lumière imprécise, incapables de prononcer la moindre syllabe et même de formuler une pensée nostalgique ou constructive, seulement conscients de notre absence de passion et conscients qu’autour de nous les secondes s’égrenaient et que des corbeaux atterrissaient sur le bitume et s’assommaient, des vautours moines, des hornbills, des mainates, des pigeons. Après un moment, Patricia Yashree se joignit à nous et déploya sur nous un châle noir qu’elle avait porté jusque là sur les épaules, et elle nous enlaça. Avec une tendresse incrédule, nous nous balancions tous les trois sur le trottoir, échangeant de confus messages charnels, désolés de ne pas être plus émus car, pour tout dire, nous ne réussissions pas à savourer pleinement l’instant.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 194.

Cécile Carret, 3 oct. 2010
réglé

Ayant ainsi appris en cinq minutes une bonne demi-douzaine de langues, distraitement expédié son parcours scolaire en sautant une classe sur deux, et surtout réglé une fois pour toutes cette question des pendules – qu’il parvient bientôt à désosser puis rassembler en un instant, les yeux bandés, après quoi toutes délivrent à jamais une heure exacte à la nanoseconde près –, il se fait une première place dans la première école polytechnique venue, loin de son village et où il absorbe en un clin d’œil mathématiques, physique, mécanique, chimie, connaissances qui lui permettent d’entreprendre dès lors la conception d’objets originaux en tout genre, manifestant un singulier talent pour cet exercice.

Jean Echenoz, Des éclairs, Minuit, p. 13.

Cécile Carret, 9 oct. 2010
enfance

Mais la réforme qui me tenait le plus à cœur concernait l’enfance de l’homme, laquelle allait sous mon règne devenir facultative, sa durée en tout cas serait laissée à la libre appréciation de chacun : ceux pour qui elle s’annonçait pareille à une de ces longues nuits d’hiver dans les bois où les étoiles vont par paires et forment à pas de loup d’inquiétantes configurations sous les arbres en seraient quittes à jamais après quelques instants d’épreuve ; ceux au contraire qui auraient consacré le restant de leurs jours à pleurer les étés passés dans cette même forêt en compagnie de l’oncle qui connaissait le nom des oiseaux et des insectes et renseignait parfois le grimpereau brachydactyle – sous cette écorce, tu trouveras des larves de vrillette –, ceux-là ne sortiraient de leur merveilleuse enfance que pour crisper une main sur leur cœur et mourir.

Éric Chevillard, Le vaillant petit tailleur, Minuit, p. 29.

Cécile Carret, 25 avr. 2011
remontés

D’ailleurs à Java : partout ces grands coqs dégingandés qui courent entre les jambes, les charrettes, comme des jouets trop remontés avec leur plumage superbe.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 125.

Cécile Carret, 28 juin 2012
choses

ces choses anciennes dont on ne parle plus

quelques-unes d’hier et d’autres

jetées dans les égouts avec les vieux mégots

— vécu jeté aux quatre vents

nous avançons ensemble, il fait hiver, il gèle

ensemble il nous faudra engendrer l’avenir

ensemble nous tendons la main, la Seine coule

que sommes-nous ? le vent m’emporte

n’êtes-vous que des fables comme tout ce qui a

été, oh ! choses à peine croyables, et pourtant

un temps viendra où moi je ne serai

qu’une fable une sorte absurde de secret

mythique, existence qui exista, où donc ?

en quel siècle ? la Seine coulait en ce pays

elle charriait encore des cadavres, des dieux

et quelques vieilles, vieilles superstitions étranges

Benjamin Fondane, « Au temps du poème », Le mal des fantômes, Verdier, p. 259.

David Farreny, 3 juil. 2013
quand

On n’a qu’une vie, j’ai bien compris, mais elle commence quand ?

Éric Chevillard, « samedi 13 septembre 2014 », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 13 sept. 2014

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