apéritifs

Prévenez-moi si la vie commence

je ne voudrais pas rater ça

les heures deviennent longues

entre les apéritifs

Jean-Pierre Georges, Je m’ennuie sur terre, Le Dé bleu, p. 66.

David Farreny, 20 mars 2002
pardi

Que ferait-on si l’on ne devait

exister qu’à ses propres yeux

rien pardi

Jean-Pierre Georges, Je m’ennuie sur terre, Le Dé bleu, p. 35.

David Farreny, 16 juin 2006
usées

On marche toujours sur des traces usées, déjà tant empruntées. On en retournerait plutôt se coucher de dégoût.

François Bon, « Variation Baudelaire, trois », Tumulte, Fayard, p. 427.

David Farreny, 1er mai 2008
égaré

Égaré dans ces images de maisons basses et d’étoiles, j’aperçus tout à coup un avion – un garçon, les bras tendus en ailes, vrombissant comme un supersonique, qui tournait, virevoltait, atteignit une petite place, devint automobile, gronda, actionna ses leviers, saisit son volant, fit, d’une grosse voix muée, rugir son moteur et, les poings en pare-choc, freina brusquement devant une autre voiture pour pisser contre.

Tony Duvert, Journal d’un innocent, Minuit, p. 22.

Cécile Carret, 6 déc. 2008
rapport

Jules Renard et Fernando Pessoa sont morts à l’âge que j’ai aujourd’hui. Vous ne voyez pas le rapport.

Jean-Pierre Georges, Le moi chronique, Les Carnets du Dessert de Lune, p. 54.

David Farreny, 17 juin 2009
villes

Dans les mêmes villes à travers les années nous avons marché, la nuit, avec tant de compagnons différents : le soupçon nous en vient qu’il n’est d’autre permanence à espérer qu’en nous-mêmes ; de quelle précaire qualité n’est dès lors que trop évident.

Renaud Camus, « dimanche 21 septembre 1986 », Journal romain (1985-1986), P.O.L., p. 416.

David Farreny, 24 juin 2009
méandra

Rien n’est plus agréable que de discuter auprès d’un feu vif et pétillant de la formation des massifs montagneux qu’on a visités en été ; d’entendre causer de volcans, de planètes fracassées, de pétrifications. Et si d’aventure, on en vient à la paléontologie, il me faut aussitôt faire entrer dans la danse les mammouths et les gigantosaures : imaginez un peu un des Béhémoths qui se promène dans la forêt carbonifère et nourrit sa couvée avec des éléphants, un peu comme nos lézards d’aujourd’hui le font avec les mouches bleues : vive le pittoresque !

Mon regard gêné méandra dans la chambre.

Arno Schmidt, « Histoire raconté sur le dos », Histoires, Tristram, p. 54.

Cécile Carret, 17 nov. 2009
se

À quoi puis-je reconnaître ce qui me lie à Wanda ? Je n’ai pas erré sans domicile, je n’ai pas abandonné d’enfants, je n’ai jamais remis le cours de mon existence ou simplement celui de mes affaires à un homme, le cours le plus quotidien de ma vie je ne l’ai jamais confié à quiconque, me semble-t-il, j’ai abandonné des hommes, et parfois brutalement, avec la joie vibrante qu’on éprouve à bifurquer, à s’évanouir dans une foule, à sauter sans prévenir dans un train, à faire faux bond, le plaisir aigu et rare de se dérober, de se soustraire, de disparaître dans le paysage – mais pas celui de se soumettre.

Nathalie Léger, Supplément à la vie de Barbara Loden, P.O.L., p. 63.

Cécile Carret, 16 mars 2012
voyelles

Eesti a la grâce de sa double voyelle e, à mes yeux d’une blancheur quasi transparente, légèrement rehaussée par l’or pâle du s et du t, qui se prononcent doucement, comme dans l’ancien verbe français estre.

« Estes-vous estonienne ? » ai-je envie de demander à la première jeune fille blonde que je croiserai (mais on me rétorquera que je parle encore comme le père Ubu, lequel guette tout écrivain qui se prend trop au sérieux…).

Le redoublement des voyelles estoniennes, notamment dans les prénoms féminins, Jaanika, Triin, Tuuli, Kristiina, comme une promesse de bonheur sensuel, de vie heureuse, même.

Richard Millet, Eesti. Notes sur l’Estonie, Gallimard, p. 15.

David Farreny, 4 sept. 2012
songé

— Alors vous êtes un écrivain sans livre, un absent, en quelque sorte, lui a-t-elle dit en riant.

— C’est ça : un écrivain sans œuvre ; un songe ; un écrivain songé par la littérature même.

Richard Millet, La fiancée libanaise, Gallimard, p. 174.

David Farreny, 27 sept. 2012
complicité

Pour les nouvelles (cf. note du 3 avril), camper en quelques personnages ce trait de l’idéologie de gauche, ce trait des idéologies tranquilles, dominantes, c’est-à-dire qui ne se posent jamais que comme réponse, qui n’ont aucune question en elles : la complicité abusive. « On va pouvoir redescendre dans la rue pour manifester ! » me dit quelqu’un qui ne s’est même pas préoccupé de savoir si j’étais d’accord. Je suis d’accord. C’est évident. Puisque je suis là, habillé normalement, l’air sain, riant, etc. Le « on » avant toute question sur moi. Engloutissons-nous ensemble plutôt que de risquer de découvrir que nous aurions un désaccord. Décrire ça comme une sorte de viol qui fait rage absolument partout et tout le temps.

Philippe Muray, « 12 avril 1986 », Ultima necat (II), Les Belles Lettres, p. 47.

David Farreny, 29 fév. 2016

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