fioriture

En arrivant au collège, vers sept heures et demie, j’ai entendu chanter un merle, un brave, un impatient qui jetait son éclatante fioriture dans l’obscurité désastreuse, encore, de février.

Pierre Bergounioux, « lundi 6 février 1984 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 285.

David Farreny, 25 mars 2006
cuirasse

Se voir en prédécomposition, parcheminé, strié de rides horizontales, d’un jaune-brun douteux, uni, n’incite pas à la rêverie. C’est au contraire un stimulant pour l’esprit, qui doit faire un va-et-vient aigu entre la tête de mort que la glace réfléchit et le flux puissant des forces vives, l’amour, le passé, le temps, la politique, l’ennui. Lorsque l’heure vint, installé dans l’œil du cyclone, centrifugé par la chimie, haché, épars, renvoyé les os brisés aux silences de Stalingrad, aux déchirures de Verdun, c’est sur le souvenir de mon amour fou d’Antoine que je m’appuyai pour lutter contre les aubes naissantes, le sommeil sans repos, le goût douceâtre, révoltant, des choses, leur fadeur inadmissible, l’inadéquation soudain profonde, définitive, de mon corps aux contours du monde. Jolie cuirasse en vérité. Car c’est bien avec mon corps que cette partie-là s’est jouée, la modification de son équilibre tactile, le glissement de son odeur, ces petites avancées vers l’inconnu chaque fois plus imperceptibles, sournoises.

Mathieu Riboulet, Mère Biscuit, Maurice Nadeau, p. 16.

Élisabeth Mazeron, 31 oct. 2007
son

Si j’avais utilisé l’inceste pour montrer une voie possible conduisant au bonheur ou à l’infortune, j’aurais agi en didacticien à succès débiteur d’idées générales. En réalité, je me moque absolument de l’inceste sous quelque forme que ce soit. J’aime absolument le son « bl » dans « sibling », « bloom », « blue », « bliss », « sable ».

Vladimir Nabokov, Partis pris, Julliard, p. 141.

David Farreny, 12 mars 2008
éclat

… Or il y avait un si long temps que j’avais goût de ce poème, mêlant à mes propos du jour toute cette alliance, au loin, d’un grand éclat de mer — comme en bordure de forêt, entre les feuilles de laque noire, le gisement soudain d’azur et de ciel gemme : écaille vive, entre les mailles, d’un grand poisson pris par les ouïes !

Saint-John Perse, « Amers », Œuvres complètes, Gallimard, p. 263.

Guillaume Colnot, 3 avr. 2013
vallée

Si je n’ai pas gardé la couverture, j’écris près de la petite table dont j’aime l’élégante robustesse et la couleur acajou : elle supporte un crucifix sur pied que je ne regarde guère sans penser à cette femme dont le visage, la voix, la vie sont retournés au néant, et qu’aucun récit ne sauvera, sinon ce prénom fané qui dit un monde disparu et, peut-être, ce que le temps fait de nous alors même que nous ne sommes pas nés, nous appelant à lui sous le masque de l’amour et de la nécessité pour nous abandonner bientôt dans une vallée dont nous ne sortirons plus.

Richard Millet, Petit éloge d’un solitaire, Gallimard, p. 24.

David Farreny, 25 août 2013
anglais

S’exprimer en anglais tout le temps, c’était comme jouer tout le temps dans un film et prononcer des mots appris, qui avaient un sens léger, réduit, passager. […] Même les injures qu’elle lui lançait manquaient de réel et paraissaient trembler, ne jamais atteindre leur cible. Oui, voilà, parler anglais ne la touchait pas et elle ne touchait pas. Parler anglais ne lui promettait que des situations normées.

Alain Sevestre, Poupée, Gallimard, p. 136.

Cécile Carret, 19 mars 2014
but

Mon but ? Il m’atteindra tôt ou tard.

Jean-Luc Sarré, Ainsi les jours, Le Bruit du temps, p. 46.

David Farreny, 8 oct. 2014
incroyables

Je me souviens, avec une tristesse ironique, d’une manifestation ouvrière, dont j’ignore le degré de sincérité (car j’ai toujours quelque difficulté à supposer de la sincérité dans les mouvements collectifs, étant donné que c’est l’individu, seul avec lui-même, qui pense réellement, et lui seul). C’était un groupe compact et désordonné d’êtres stupides en mouvement, qui passa en criant diverses choses devant mon indifférentisme d’homme étranger à tout cela. J’eus soudain la nausée. Ils n’étaient même pas assez sales. Ceux qui souffrent véritablement ne se rassemblent pas en troupes vulgaires, ne forment pas de groupe. Quand on souffre, on souffre seul.

Quel ensemble déplorable ! Quel manque d’humanité et de douleur ! Ils étaient réels, donc incroyables. Personne n’aurait pu tirer d’eux une scène de roman, le cadre d’une description. Cela coulait comme les ordures dans un fleuve, le fleuve de la vie. J’ai été pris de sommeil à les voir, un sommeil suprême et nauséeux.

Fernando Pessoa, « 72 », Le livre de l’intranquillité (1), Christian Bourgois.

David Farreny, 10 mai 2024

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