ce

Un Hindou adorerait un mur plutôt que de ne rien adorer du tout. Il le ferait. Ce lui est possible.

Henri Michaux, « Idoles », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 695.

David Farreny, 20 mars 2002
grassouillette

Il souffrait. Il souffrait ? Bien sûr qu’il souffrait, mais c’était une souffrance grassouillette — fatiguée — un peu chauve…

Witold Gombrowicz, La pornographie, Gallimard, p. 179.

David Farreny, 21 mars 2002
charme

Il tournait toute la journée dans l’hôtel, montait et descendait sans but, tentait d’accoster Charlotte, passait du temps à se cacher de Gilbert et de la mère. Il saluait cérémonieusement les clients qu’il croisait ainsi qu’ils le faisaient eux-mêmes, pour la plupart représentants de commerce. La pluie et le froid le dissuadaient de sortir. Et il répétait avec Charlotte les propos les plus insignifiants, sans déplaisir, s’adaptant au déroulement simple de ses pensées et pressant ici ou là un morceau de sa chair, d’un geste amical. Rien ne remplissait la tranquille existence de Charlotte que les travaux domestiques, la lecture de ses revues, le service fourni au président Alfred, d’ailleurs exigeant et capricieux. Qu’avait-elle besoin d’autre chose ? Indifférente à son aspect, elle s’habillait toujours des mêmes vêtements peu seyants.

Elle charme en moi ce que j’ai de moins bon, songeait Herman, de veule et de paresseux. Les heures s’écoulent privées d’énergie et de réflexion, et tout est égal, les petites infamies ou les bons mouvements. Quel repos, oui, que cette vie-là ! Quel repos que le village !

Marie NDiaye, Un temps de saison, Minuit, pp. 85-86.

David Farreny, 18 déc. 2005
cadavre

On n’a jamais retiré un cadavre de l’Amazone.

On n’a jamais trouvé un cadavre dans l’Amazone.

Henri Michaux, « Ecuador », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 228.

David Farreny, 3 mars 2008
manières

17. Choses détestables

[…] Des gens de cette sorte, quand ils arrivent chez quelqu’un, balaient d’abord, avec leur éventail, la poussière de l’endroit où ils vont s’asseoir ; puis ils ne se tiennent pas tranquilles à leur place, ils s’étalent, prennent leurs aises, et ramènent sous leurs genoux le devant de leur vêtement de chasse. On pourrait croire que de telles manières se rencontrent seulement chez des personnes négligeables ; mais j’ai connu des gens d’une assez bonne condition, comme un « troisième fonctionnaire » du Protocole, dignitaire du cinquième rang, un ancien gouverneur de Suruga, qui se conduisaient pareillement. De même, c’est un spectacle extrêmement détestable que celui de gens qui, après avoir bu du vin de riz, crient fort, s’essuient la bouche d’une main hésitante, caressent leur barbe s’ils en ont une, et passent leur coupe à d’autres. Sans doute s’encouragent-ils mutuellement à boire ? Ils frissonnent, branlent la tête, font la moue, et chantent des chansons comme celle de « La jeune fille qui vint aux bureaux de l’administration provinciale ». Tout cela, je l’ai vu chez des gens très bien, et je trouve que c’est répugnant.

Sei Shônagon, Notes de chevet, Gallimard, pp. 53-54.

David Farreny, 11 mai 2010
visé

À peine se familiarisait-on avec le décor que l’Europe a dressé, voilà un siècle, que l’acte est achevé. La production de fer a été délocalisée, laissée aux pays lointains, retardataires, à bas salaires. Les puissantes cathédrales de brique et de fonte où il était forgé, coulé, laminé, ont été désertées. À la différence des mystiques édifices restés du Moyen Âge, elles ne braveront pas l’éternité. Elles n’y ont jamais visé.

Pierre Bergounioux, « La seconde Genèse », Les restes du monde, Fata Morgana, pp. 12-13.

David Farreny, 13 mai 2010
accès

Une fois de retour dans celui-ci, ce mardi après-midi, Gregor s’assied sur une chaise au lieu de se mettre aussitôt à l’ouvrage, saisi par une légère mélancolie. Toutes ces mondanités. Qu’il est donc fatigant d’être à l’intérieur de soi, toujours, sans moyen d’en sortir, considérer toujours le monde depuis cette enveloppe où on est enfermé. Et ne pouvoir, à ce monde, montrer de soi qu’un extérieur maquillé tant bien que mal en s’aidant de miroirs. Plus très envie de rien, d’un coup. Petit accès de tristesse.

Jean Echenoz, Des éclairs, Minuit, p. 92.

Cécile Carret, 11 oct. 2010
pouvoir

Mais plus que tout il voulait que son père lui pardonne. Pardonne-moi ! avait-il envie de lui dire. Te pardonner ? Grands dieux, qu’y a-t-il à pardonner ? Sur quoi, s’il arrivait à en trouver le courage, il ferait enfin des aveux complets : Pardonne-moi d’avoir méchamment, avec préméditation, rayé ton disque de la Tebaldi. Et pour bien d’autres choses encore, tant de choses qu’il me faudrait toute la journée pour les énumérer. Pour d’innombrables mesquineries. Pour le cœur mesquin qui a conçu ces méchancetés. En somme, pour tout ce que j’ai fait depuis le jour où je suis né, si bien que j’ai réussi à faire de ta vie un supplice.

Mais non, aucun indice, pas le moindre, que, durant ses absences, la voix de la Tebaldi, libérée, avait pris son envol. On aurait dit que la Tebaldi avait perdu son charme, ou bien que son père se livrait à un horrible petit jeu. Ma vie, un supplice ? Qu’est-ce qui te donne à penser que ma vie a été un supplice ? Qu’est-ce qui te donne à penser qu’il était en ton pouvoir de faire de ma vie un supplice ?

John Maxwell Coetzee, L’été de la vie, Seuil, p. 299.

David Farreny, 8 janv. 2011
repos

Je commençai par admirer ; puis savez-vous l’effet que cela me produisit ? je m’endormis. Étendue sur la pierre humide, couverte par la froide vapeur de l’eau, bercée par ce tonnerre, je goûtai là quatre heures du repos le plus profond, et j’y dormirais je crois encore, si, les chevaux étant arrivés, on ne m’avait enfin découverte dans la retraite que j’osais partager avec une énorme grenouille aux yeux calmes, naïade de la cascade, tout étonnée de recevoir une mortelle.

Léonie d'Aunet, « Lettre III. Drontheim », Voyage d’une femme au Spitzberg, Hachette, p. 87.

David Farreny, 8 sept. 2011
artistes

Dans la rue on ne verra bientôt plus que des artistes et l’on aura toutes les peines du monde à y découvrir un homme.

Arthur Cravan.

David Farreny, 15 oct. 2013
statue

F. a annoncé son arrivée par quelques lignes. Je ne la saisis pas, elle est extraordinaire, ou plutôt, je la saisis, mais je ne peux pas la tenir. Je cours autour d’elle en aboyant comme un chien nerveux autour d’une statue, ou encore, pour montrer l’image contraire, tout aussi vraie : je la regarde comme l’animal empaillé contemple l’être humain vivant paisiblement dans sa chambre. Demi-vérités, millièmes de vérités. Seul est vrai le fait que F. viendra probablement.

Franz Kafka, « Lettre à Max Brod (mi-septembre 1917) », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 796.

David Farreny, 29 juin 2014
jour

Le bleu tournoya longtemps

au-dessus des pins sylvestres

le vent négligemment

l’effaça

Les ronciers décochaient des obus siffleurs

qui n’explosaient pas

l’étang brassait

une joaillerie suspecte

Je flattai ce grand chêne

séculaire

je n’évitai aucune ornière

je bêtifiai avec les moutons

je vieillis d’un jour.

Jean-Pierre Georges, Où être bien, Le Dé bleu, p. 44.

David Farreny, 1er mai 2015
Limoges

C’est-à-dire que, si j’avais eu précédemment l’impression d’arriver quelque part en entrant dans Limoges, le fait d’y avoir rencontré Antoine Levasseur annulait plus ou moins la nouveauté de ma découverte, et, bien que je ne recherchasse pas précisément la nouveauté, bien que je fusse d’abord soucieux d’anonymat, j’avais nettement l’impression que, concernant Limoges, je devais abandonner l’espoir de m’y avancer en terrain vierge. Et même, pensais-je, de m’y faire en quelque façon mon trou, de m’y cacher, de m’y dissoudre. Antoine Levasseur, par son surgissement suivi de la pression de sa main, venait d’oblitérer la ville, il venait de l’invalider. Je pouvais aussi bien jeter Limoges, qui avait en somme déjà servi.

Christian Oster, Massif central, L'Olivier, p. 57.

David Farreny, 28 fév. 2024
métaphysique

De quelle antériorité l’idée d’essence, de nature ou d’être rend-elle compte ? Mais, aussi, de quelle finalité ? De quelle nécessité ? Comme les gens de l’art se sont disputés et disputent toujours d’abondance là-dessus, tout me laisse à penser que cette idée ne résulte que d’une sorte de cristallisation ontologique : lorsque, à titre de mortel, un philosophe fait la vulnérante et humiliante expérience d’une vie aléatoire ; lorsqu’il se sent pour cela même peu enclin à marivauder avec une fortune si volage, il en vient à désirer une autre réalité dont il idéalise les attributs. Ainsi surgit en son imagination le mirage de l’« essence », de la « nature » ou de l’« être », impeccable arrière-monde, oasis du Sens, havre où son esprit se hâte d’accoster afin d’y apaiser les haut-le-cœur que lui cause le bateau ivre du hasard. J’appelle ce mirage une métaphysique et, ce genre de philosophe halluciné, un métaphysicien.

Le métaphysicien aimerait que son chimérique paysage se réalisât dans un immuable présent, ou qu’un temps coutumier, en en renouvelant les formes, en fît un abri sûr. Mais hélas pour lui, le temps reste le maître. Primesautier, imprévisible, capricieux, le temps ne déplace pas seulement les lignes, il viole aussi la virginité des essences, tourne le sens en dérision, bafoue la pérennité de l’être. Tout à son jeu de tric-trac, cet enfant terrible excelle à ébranler les fragiles constructions du hasard, son double, qui s’en divertit.

Frédéric Schiffter, « 7-8 », Contre Debord, Presses Universitaires de France.

David Farreny, 5 mai 2024

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