plein

Les Cétonidés aiment le plein midi.

Pierre Bergounioux, Le Grand Sylvain, Verdier, p. 26.

David Farreny, 22 mars 2002
insolents

À la sortie du tournant, la chaussée disparaissait sous une couche de bouse de vache et de boue mélangées, durcies. Des rondins, des moellons, des ferrailles empiétaient sur son emprise invisible, ainsi que des chiens bruyants, jaunâtres, des chats circonspects, très vagues, des porcs insolents et libres.

Pierre Bergounioux, « Sauvagerie », Un peu de bleu dans le paysage, Verdier, p. 19.

David Farreny, 27 avr. 2002
arête

Comme trace de son passage en ce monde, plutôt que l’empreinte simiesque d’un pied, Crab préfère laisser une broderie discrète sur un chou.

On lui objecte alors, plus sérieusement, qu’il lui sera difficile de plier son corps aux coutumes des mollusques gastéropodes, de l’assouplir, de rétracter ses membres et sa tête afin d’obtenir cette plastique molle, cette élasticité si remarquable chez les limaces. Mais Crab a déjà résolu la question. Son squelette ne l’encombrera plus longtemps. Il va cracher cette arête.

D’abord, retirer veste et chemise. Puis Crab plonge profondément la main dans sa gorge, il empoigne sa clavicule gauche et, sans forcer ni faiblir, il se l’extrait par la bouche — tout se tient : la carcasse entière suit. Sauf le crâne, au reste de plus en plus bourdonnant et lourd à porter — mais Crab, ayant aspiré et provisoirement confié à l’estomac simplificateur son cerveau compliqué, n’a plus qu’à retrousser les lèvres pour expulser loin de lui cette tête obsolète d’homme mort.

Éric Chevillard, La nébuleuse du crabe, Minuit, pp. 113-114.

David Farreny, 7 sept. 2002
Occident

Mais — la rareté du ciel lorsqu’il blanchit, les rues identiques les unes aux autres, le dimanche soir en Occident…

François Rosset, Froideur, Michalon, p. 163.

David Farreny, 15 nov. 2002
exclure

Je sais à quoi je ressemble et, sans me cacher, je m’efforce d’être discret, m’exposant le moins possible, choisissant la pénombre au lieu du plein soleil. C’est pourquoi la vue d’un mongolien sur une plage ou dans un restaurant me scandalise, non parce que, trouvant plus disgracié que moi, j’aurais ainsi l’occasion d’atténuer par contraste ma laideur ou de me sentir vengé, mais parce que m’exaspère le larmoyant souci de ne pas exclure, lequel n’est que l’ancestrale peur des gueux, des réprouvés, des maudits, c’est-à-dire une manière de refuser de voir et de nommer le monde.

Richard Millet, Le goût des femmes laides, Gallimard, p. 73.

David Farreny, 24 fév. 2006
restes

Les deux hommes continuent à parler. Parler ! C’est d’avoir parlé qu’il reste partout des constructions, des constructions embarrassantes, inutiles, devenues énormes, cyclopéennes, de plus en plus inutiles, sans emploi, par l’adjonction de nouvelles paroles, de nouveaux parleurs… qui toujours laissent des restes.

Henri Michaux, « En rêvant à partir de peintures énigmatiques », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 699.

David Farreny, 15 juin 2006
cyclope

Si grands nécromants que soient mes voisins, ils n’ont jamais pu s’entendre avec le soleil qu’ils ont en horreur. Ni le conjurer, ni même l’éloigner un peu. Personne ici n’en fait façon. Vers six heures du matin, il monte sur l’horizon comme un boulet pour aller se fondre dans le ciel fumeux. On voit partout ce cyclope sournoisement réverbéré par les vapeurs et les humeurs qu’il tire de la ville. Pendant le jour interminable, il pèse sur les plantes, les hommes, les idées pour les faire mûrir et pourrir au galop et nous empoisonne comme une mauvaise absinthe avant de plonger en fumant dans la mer avec une débauche de couleurs vineuses, folles et d’ailleurs vite éteintes qu’il emporte avec lui. Chaque soir c’est le même embrasement, la même orgie de beauté confondante, les mêmes fastes baroques déployés sur notre fourmilière et comme pour s’en moquer.

Nicolas Bouvier, Le poisson-scorpion, Payot, pp. 70-71.

Élisabeth Mazeron, 23 avr. 2008
veux

Je descends de la lande, j’ai vu les digues de dessus et la mer au-delà des digues. J’ai vu en haut de la rue Monte-à-regret les crânes bien farcis de terre, sans le moindre souvenir d’amour, sans le moindre désir de mer. J’ai cru mourir dans la côte, mon corps était un puits où mes yeux voulaient se jeter. Je descends lentement, très lentement, que chaque fleur exhale sa bonté. Les collations sont douces au fond des cafés, je ne comprends rien à rien, je sais qu’on ne peut se faire à la puanteur des images mortes dans l’œil de mouton, je sais aussi que le malheur même est fragile. Je descends vers la ville, je vois l’octroi, je veux aimer.

Michel Besnier, Humeur vitrée, Folle Avoine.

David Farreny, 28 déc. 2008
précédents

L’histoire, sur laquelle notre début de siècle s’est tellement appuyé pour vivre et penser, ne servira bientôt plus de rien, tant ce qu’on va voir (basé sur la technique et non plus sur l’horreur) aura de moins en moins de précédents.

Paul Morand, « 15 février 1976 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 731.

David Farreny, 23 sept. 2010
panneau

Monsieur Songe qui est coquet mais pas malin ajoute un dit-il à tel propos très personnel qui tombe de sa plume, croyant ainsi donner le change, faire accroire que ledit propos n’est pas de lui s’il lui paraît faible ou contestable. Il tombe dans le panneau, prenant ses distances par rapport à un monsieur Songe narrateur alors qu’il sait fort bien que c’est lui qui parle, dans ce cas-là du moins.

Robert Pinget, Monsieur Songe, Minuit, p. 72.

Cécile Carret, 8 déc. 2013

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