siège

Quoiqu’ils fussent insectes et non hommes, ils jugèrent tout de suite que je ne pouvais rester seul et m’offrirent une chenille à ma taille avec qui je pusse passer la nuit.

Inattendu certes, des chenilles femelles, mais tout était inattendu.

Sa peau était de velours, du plus beau vert bleu, aux îles orangées, mais froides et poilues.

Fasciné, je contemplais la procession ondulante et perverse des chairs dodues, progressant souverainement vers moi, reine et caravane.

Monstrueuse compagnie.

Cependant lorsqu’elle fut proche à me toucher, l’esprit comme de celui qui va à la guillotine, mais corps consentant, gagné, haletant, je m’abandonnai.

Ce fut ensuite une vingtaine de centres musculeux et avides faisant le siège de mon être débordé.

Orage, long orage, cette nuit.

Henri Michaux, « Face aux verrous », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 510.

David Farreny, 30 juin 2002
repos

La mort est le repos, mais la pensée de la mort trouble tout repos.

Cesare Pavese, Le métier de vivre, Gallimard, p. 128.

David Farreny, 24 mai 2003
littérature

Si la littérature approche et rencontre parfois la vérité c’est qu’elle est un des chemins détournés du retour à la vie.

Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 33.

David Farreny, 31 déc. 2005
paresseuse

Ou bien on allait à la pêche, pour manger des haricots verts en salade dans de la vaisselle en aluminium, sous ces arbres encore plus beaux de s’appeler des charmes. Palpitante d’éclats, de reflets, d’obscurités, hâtive ou paresseuse, la Meurthe remuait doucement les feuillages comme une femme qui se déshabille. On voulait tout saisir. Les ablettes rejetées dans l’herbe y luisaient comme des clés vivantes, et un éboulement insensible et tendre nous emportait.

Jacques Réda, L’herbe des talus, Gallimard.

Cécile Carret, 20 mai 2007
langage

Mes sentiments dépendent du langage que je choisis.

Renaud Camus, « vendredi 16 avril 1976 », Journal de « Travers » (1), Fayard, p. 115.

David Farreny, 17 août 2007
pudding

Entre leur doigts repliés, les mouchoirs blancs donnaient l’impression d’être à l’affût, n’attendant que l’occasion de se déployer et de s’élever jusqu’aux yeux pleins de larmes. Cette occasion se présentait en abondance. Même le prêtre au frais visage se forçait à entailler les alentours de ses lèvres repues de quelques plissements de chagrin et prenait l’air de celui qui, forçant une langue rétive, va chercher aux commissures de sa bouche le résidu d’un breuvage amer. Et lorsqu’il descendait lourdement jusqu’au bas des marches de l’autel pour s’y effondrer comme un pudding manqué et, accompagné par les borborygmes de son acolyte à la chevelure rousse, entonnait du fond de la poitrine : « Prions… », on ne voyait plus de la société tout entière qu’un indiscernable amas de crêpe et de drap noirs.

Rainer Maria Rilke, Au fil de la vie, Gallimard, p. 50.

Élisabeth Mazeron, 17 janv. 2008
obstacle

Dans l’allée, dans le sable ensoleillé, au pied d’un if, le plus sombre, une colonne de fourmis noires. Avec un petit seau d’eau, un seau à sable de plage, et de l’eau prise dans la cour, à la fontaine, l’obstacle d’une flaque jetée par les jumeaux interrompait les lignes militaires de transport des fourmis. La flaque d’eau, un véritable lac pour les insectes, troublait l’affairement des fourmis transporteuses de graines, les fourmis des régiments d’un « génie fourmilier », pontonnières en brindilles. Il y avait un mouvement perpétuel de circulation fourmilière dans les deux sens. Croisements, mots de passe, reconnaissance d’antennes ; concentrations, coagulations noires autour d’une énorme guêpe morte, comme des Lilliputiens autour du géant entravé, Gulliver.

Jacques Roubaud, Parc sauvage, Seuil, p. 59.

Cécile Carret, 22 janv. 2008
scepticisme

À la périphérie de nos villes, on propose énormément de chaussures bon marché provenant de pays à bas revenus, des produits en matière plastique mal conçus dans lesquels les pieds ne tardent pas à se tordre de douleur. Les démunis ne connaissent que les chaussures qui font mal. Ils sont persuadés qu’une chaussure ne peut que serrer. Ce qui ne les empêche pas d’être toujours en quête de nouveaux modèles dont ils attendent qu’ils se distinguent si possible des chaussures qu’ils portent en ce moment, parce que celles-ci serrent encore plus que toutes celles qu’ils ont achetées auparavant. Ce sont des êtres éreintés et des êtres chargés de fardeaux qui viennent faire les magasins de chaussures ici dans l’espoir d’être délivrés de leurs douleurs. Mais ils ne sont pas exaucés. Au contraire, ils sont bafoués. On leur refile d’autres instruments de torture pires encore. Ils passent donc leurs journées à boiter et abandonnent souvent la marche bien avant leur mort afin de pouvoir se déplacer pour le restant de leurs jours dans le fauteuil roulant électrique que l’assurance dépendance met à leur disposition. C’est émouvant de regarder comment ils passent et repassent en boitant, désespérés, devant les offres, tous avec l’ardent désir d’être soulagés enfin de leurs souffrances. De voir comme ils achètent ensuite quelque chose à un prix pour lequel on obtient tout juste une paire de lacets dans une boutique sérieuse du sud-ouest de la ville. Et comme ils enfilent alors ces chaussures factices et quittent la boutique avec sur le visage l’expression d’un soulagement passager, mais aussi d’un immense scepticisme.

Matthias Zschokke, Maurice à la poule, Zoé, pp. 167-168.

David Farreny, 11 mars 2010
milieu

Pas de milieu : ou on est seul, abandonné, ou on est aimé, c’est-à-dire traqué, isolé, enfermé.

Paul Morand, « 11 mars 1975 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 460.

David Farreny, 2 sept. 2010
accès

Une fois de retour dans celui-ci, ce mardi après-midi, Gregor s’assied sur une chaise au lieu de se mettre aussitôt à l’ouvrage, saisi par une légère mélancolie. Toutes ces mondanités. Qu’il est donc fatigant d’être à l’intérieur de soi, toujours, sans moyen d’en sortir, considérer toujours le monde depuis cette enveloppe où on est enfermé. Et ne pouvoir, à ce monde, montrer de soi qu’un extérieur maquillé tant bien que mal en s’aidant de miroirs. Plus très envie de rien, d’un coup. Petit accès de tristesse.

Jean Echenoz, Des éclairs, Minuit, p. 92.

Cécile Carret, 11 oct. 2010
route

C’est l’heure où l’odeur qui vient de l’allée des tilleuls fait vaciller la lumière. Mais la diligence encense et grogne. Il faut prendre la route où la chaleur arrive par le courrier de dix heures quand les premiers papillons Vulcain posent leur écharpe le long des fossés. D’ici là j’ai tout le temps de m’arrêter aux premiers villages bleus d’enclumes, de revoir quelques cousins dans des maisons à sapins et à grilles… Que la paix descende sur moi et qu’on ne me reparle plus de cette immense aventure de vivre. Et que, dans la ruelle d’un étrange demi-sommeil prophétique, j’entende la douce voix du calme chuchoter quelque part  : Laissez-le.

Léon-Paul Fargue, « La gare abandonnée », Poésies, Gallimard, p. 64.

Guillaume Colnot, 1er fév. 2013
filles

Qu’on ne se méprenne pas ; je ne suis pas en train de me vanter d’avoir engendré des libellules ou des fleurettes. Ou des fées. […] Non, bel et bien des filles, au nombre de deux, deux filles de plus sur cette terre, deux filles encore, deux filles terribles, mais cette fois je suis dans leur camp.

Cette fois, ce ne sont pas des filles là-bas, ce ne sont pas des filles là-haut, ce ne sont pas des filles au loin. Agathe a pris ma main droite ; Suzie a pris ma main gauche ; elles marchent avec moi. J’avance désormais entre deux filles, prenez garde ! Le garçonnet dans mes bottes triomphe. Deux filles à ses côtés ! Ce n’est plus la force adverse à combattre, à séduire, de toute façon à circonvenir. C’est une tendresse mienne ; ce sont des sourires qui prolongent le mien. Cette beauté ne m’est pas jetée à la figure comme une pierre.

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 103.

Cécile Carret, 25 fév. 2014
inverse

L’amour est le sens inverse de la vie. Toujours on va vers le néant.

Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 169.

David Farreny, 24 août 2014

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