dilemme

Dilemme : le fusil ou le travail.

Jean-Pierre Georges, Le moi chronique, Les Carnets du Dessert de Lune, p. 24.

David Farreny, 19 nov. 2006
agonie

Le visqueux est l’agonie de l’eau ; il se donne lui-même comme un phénomène en devenir, il n’a pas la permanence dans le changement de l’eau, mais au contraire il représente comme une coupe opérée dans un changement d’état. Cette instabilité figée du visqueux décourage la possession. L’eau est plus fuyante, mais on peut la posséder dans sa fuite même, en tant que fuyante. Le visqueux fuit d’une fuite épaisse qui ressemble à celle de l’eau comme le vol lourd et à ras de terre de la poule ressemble à celui de l’épervier.

Jean-Paul Sartre, « De la qualité comme révélatrice de l’être », L’être et le néant, Gallimard, p. 669.

David Farreny, 19 nov. 2008
dehors

La joie vient de se retrouver dehors quand on s’est perdu dedans.

Jean-Paul Sartre, Cahiers pour une morale, Gallimard, p. 514.

David Farreny, 3 mars 2009
décivilisation

Car les jeunes en question sont moins opprimés ou méprisés que séduits par un système expansif de production et de consommation qui ne leur parle qu’immédiateté, qui leur fait miroiter tout, tout de suite, et qui les pousse ainsi à délaisser les vieilles promesses exigeantes de l’intégration et de l’émancipation pour la promesse technique, fraîche et excitante de disposer du monde d’un claquement de doigts ou comme disait Fellini, « d’avoir le maximum de choses, en excluant l’attention personnelle, la participation personnelle ». Et ce qui entretient en eux la rage, c’est le sentiment d’être lésés dans leurs droits chaque fois que leur désir rencontre une impossibilité, une difficulté ou une limite. À les gratifier, quoi qu’ils fassent, d’une compréhension infinie, on collabore à la transformation des droits de l’homme en droits de l’homme de l’enfant gâté, c’est-à-dire à la décivilisation du monde.

Alain Finkielkraut, « Réponse à Stefan Zweig », L’imparfait du présent, Gallimard, pp. 245-246.

Élisabeth Mazeron, 9 janv. 2010
remplacions

Pendant des semaines, je n’ai mangé que des liserons d’eau, qui est aussi la nourriture des cochons. J’ai aussi été celui qui mange des épluchures.

Je me souviens avoir vu, sur d’autres images d’archives, des cochons se promener dans la Bibliothèque nationale de Phnom Penh, vidée par les Khmers rouges. Ils bousculaient des chaises et piétinaient des épluchures. Les cochons remplaçaient les livres. Et nous remplacions les cochons.

Rithy Panh, L’élimination, Grasset, p. 84.

Cécile Carret, 7 fév. 2012
moi

Ce qui rend les mauvais poètes plus mauvais encore, c’est qu’ils ne lisent que des poètes (comme les mauvais philosophes ne lisent que des philosophes), alors qu’ils tireraient un plus grand profit d’un livre de botanique ou de géologie. On ne s’enrichit qu’en fréquentant des disciplines étrangères à la sienne. Cela n’est vrai, bien entendu, que pour les domaines où le moi sévit.

Emil Cioran, « De l’inconvénient d’être né », Œuvres, Gallimard, p. 1316.

David Farreny, 31 janv. 2013
coiffeur

J’ai cessé d’aller chez le coiffeur à l’âge de quatorze ans à cause de l’odeur de la laque, du crissement des doigts de la shampouineuse sur mes cheveux mouillés, et de la douleur de ma nuque sur le bac en forme de U. Je coupe moi-même mes cheveux, ce qui étonne mes amis puisque avec l’expérience, je me rate peu.

Édouard Levé, Portrait, P.O.L., p. 20.

Cécile Carret, 30 mars 2014
Assesse

D’abord, Poix Saint-Hubert

où un homme seul tanguait

sous les néons de La Notte.

Puis Grupont, dont la gare

secondaire ne désirait rien

tant que passer inaperçue ;

à Forrières, bois d’hiver

entassé le long des rues,

nuancier de mousses et

lichens, avant les églises

de Jemelle, saupoudrées

de poussière. À Marloie,

autres stères, aux bûches

cannelle cette fois ; après

Ciney, la ville d’Assesse

que nul ne visite jamais,

et à Courrières (souvenir

de catastrophes minières),

des moignons d’arbustes

sciés sur un talus ébarbé.

À Naninne (ou Louzée ?)

des bovins constellaient

les prés en pente, boues

gelées. Après Gembloux,

escarpements, et toitures

effondrées, oui, à Chastre,

à l’image d’un pays entier.

Gilles Ortlieb, « Traversées », Sous le crible, Finitude, pp. 29-30.

David Farreny, 21 juil. 2015
sexe

Attraction, pulsions, frictions, érections, tout cela se passait dans la nuit du corps, et sans trop qu’on y prît part.

Comment ces chairs frisées, roses ou rouges, toutes baignées d’huile, ces peaux grenues ou fripées, ces béances, ces chaos, ces organisations qui évoquaient dans leur consistance et dans leurs couleurs une classe de mollusques, la sixième, qui eût échappé à la curiosité du capitaine Nemo, dans leur texture et dans leur symétrie, remontant peu à peu le cours des espèces, huîtres, coquillages, méduses, jusqu’aux espèces les plus anciennes, « littorines, turitelles, janthines, ovules, volutes… », et qui finalement proposaient à la caresse de la main, toujours surprenante, cette boule de poils soyeux comme un sporran qui semblait provenir, lui, d’un autre embranchement du règne animal, des mammifères sans doute, les plus récents dans l’évolution, comme née du devoir différé de dissimuler toutes ces peaux primitives et mal cousues, ou bien de la nécessité de protéger la masse viscérale et molle du sexe, comme une coquille protège un mollusque — si bien que les expressions populaires et même assez vulgaire de « moule » et de « chatte » résumaient assez bien le début et le terme de la phylogénèse de cet étrange organe, d’un côté le crustacé, le bivalve, l’huître en cela qu’elle perlait elle aussi, qu’elle sécrétait des perles d’eau, qu’elle en conservait même une, polie, nacrée, élastique et cachée sous la jointure des lèvres supérieures — de l’autre le petit félin domestique —, comment donc, pour couper court à ma rêverie mais surtout pour mettre fin à ma dévoration visuelle, à chercher jusqu’au fond du conduit couleur sang, capitonné, ondulant et annelé, l’origine de la vie —, je remontais jusqu’à vouloir discerner la cellule primitive, à la façon dont, à l’autre bout de l’échelle, l’astronome repère, au fond de l’infini, le point zéro du temps —, pouvaient-ils donc avoir été, tous ces ressorts physiologiques, simplement et mystérieusement physiologiques, depuis toujours, le fondement même de notre vie, de notre histoire et le foyer de ce feu formateur d’industries ingénieuses, de tout ce qu’on osait appeler, non sans orgueil, notre culture ?

Jean Clair, Les derniers jours, Gallimard, pp. 315-316.

Guillaume Colnot, 20 juin 2016
contaminé

Nous récupérerons demain les rideaux du salon, les tableaux, après quoi, je suppose, nous ne reviendrons jamais plus dans cette maison. Entre autres étrangetés de la mémoire, il y a celle-ci : l’instant où nous y avons emménagé me semble proche tandis que celui, qui le précède immédiatement, où nous avons quitté la rue Gambetta, semble appartenir à un âge extrêmement éloigné, contaminé qu’il est, sans doute, par l’obscure éternité de l’enfance à laquelle, par l’effet du lieu, il touchait.

Pierre Bergounioux, « lundi 25 octobre 2004 », Carnet de notes (2001-2010), Verdier, p. 526.

David Farreny, 24 fév. 2024

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