La peau des bêtes est douce aux dos des volumes de la pensée humaine.
Louis Calaferte, Septentrion, Denoël, p. 76.
Cet inapaisable hurlement, des heures, des jours durant, que rien, qu’aucune menace, aucun pourparler n’arrêteront. Ce hurlement sans fin, ce hurlement spécial du vent par vagues et par reprises et damnés crescendos nous provoque, nous oblige nous-mêmes à hurler.
Si encore il y avait une raison, mais impossible d’en trouver une. Cette machine à nous coudre à des fous qui courent et qu’on ne voit pas est la plus haïssable qui soit.
Henri Michaux, « Passages », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 300.
Entre-temps, le squat de la rue Denis-Papin a périclité, comme un empire, à la suite d’un grand incendie et d’un afflux soudain de barbares.
Jean Rolin, La clôture, P.O.L., p. 208.
Je commence à trouver suspects bon nombre de nos jeunes.
Emil Cioran, « Les limites de la mobilité intérieure », Solitude et destin, Gallimard, p. 241.
C’est assez simple : dès qu’il y a de l’homme, il y a du hangar.
Renaud Camus, « jeudi 21 février 2002 », Outrepas. Journal 2002, Fayard, p. 43.
Je sais que mon corps est un réservoir à pièges, mon sang perclus de chausse-trapes, mes os émaillés de silences inquiétants. Partout peuvent affleurer des symptômes, se dresser des malaises. Ces lieux qui me constituent me sont à la fois familiers, amicaux, même quand ils génèrent des serpents, et inaccessibles. Les images qu’en donnent les échographies ou les scanners sont de magnifiques fantasmes à usage médical, un vertigineux empilement de pixels qui ne peut pas me concerner, encore moins me représenter.
Mathieu Riboulet, Mère Biscuit, Maurice Nadeau, p. 23.
Je descends de la lande, j’ai vu les digues de dessus et la mer au-delà des digues. J’ai vu en haut de la rue Monte-à-regret les crânes bien farcis de terre, sans le moindre souvenir d’amour, sans le moindre désir de mer. J’ai cru mourir dans la côte, mon corps était un puits où mes yeux voulaient se jeter. Je descends lentement, très lentement, que chaque fleur exhale sa bonté. Les collations sont douces au fond des cafés, je ne comprends rien à rien, je sais qu’on ne peut se faire à la puanteur des images mortes dans l’œil de mouton, je sais aussi que le malheur même est fragile. Je descends vers la ville, je vois l’octroi, je veux aimer.
Michel Besnier, Humeur vitrée, Folle Avoine.
Ce que je préfère : qu’on me fiche la paix. En cela le mail a été une grande avancée par rapport au téléphone. Je n’ai pas de portable, presque tout ce qui importe passe au quotidien par des messages écrits, silencieux, que je lis quand j’en ai envie. Le mail a été une reconquête du silence.
Antoine Émaz, Lichen, encore, Rehauts, p. 76.
Musique qui en tout cas n’a rien d’humain. C’est le chant de l’absolu. Au xylophone les temps forts et différenciés, d’autres instruments viennent couper en syncope là-dedans. Le gong suspend tout.
[…]
Vers la fin de certains morceaux ils freinent et c’est exactement comme une carriole qu’on arrête. Les pas des chevaux et le rythme des sonnailles ralentit et la roue, car cette musique est plus qu’une autre une roue, s’arrête de tourner.
Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 132.
L’homme dont je rêve sera celui qui aime en moi la femme qui ne dépend plus de lui. – Et qu’aimerez-vous en lui ? – Cette sorte-là d’amour.
Peter Handke, La femme gauchère, Gallimard, p. 66.
Notre intelligence, certes, élucide les énigmes, éclaire les zones d’ombre, démêle les imbroglios les plus complexes, mais tout aussi sûrement on peut compter sur elle pour embrouiller les situations simples et trouver des nœuds dans l’eau.
Éric Chevillard, « mercredi 12 juin 2013 », L’autofictif. 🔗
Cela doit apparaître tout autrement aux barbus.
Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 192.
Les gens qu’a connus Chamfort sont pour beaucoup dans l’immortalité de son esprit ; peut-être que les imbéciles qui m’environnent seront la cause de mon oubli.
Henri de Régnier, « Le bonheur des autres ne suffit pas », L’égoïste est celui qui ne pense pas à moi, Flammarion, p. 40.
Les gens ne fument plus ; ils ne se demandent plus de feu. Les gens ont tous une horloge et un GPS sur leur téléphone ; ils ne se demandent plus l’heure ni le chemin. Cette fois, je crois bien que nous n’avons plus rien à nous dire.
Éric Chevillard, « vendredi 26 avril 2024 », L’autofictif. 🔗