équilibre

La contemplation d’un chou rouge coupé en deux lui procura un réconfort : replis blancs et violets, mystérieuse géographie, secrets de cervelle. Il s’arrêtait ainsi devant les structures végétales, minérales, animales, dont la luxuriance baroque semblait résumer la complexité de l’existence. Alors, il ne pensait pas, ne devenait nullement plus lucide, mais il se sentait en équilibre avec ce qu’il contemplait.

Michel Besnier, Le bateau de mariage, Seuil, p. 73.

David Farreny, 13 avr. 2002
stalle

Elles conservèrent de Léon une image compliquée et noirâtre dans une stalle peu fréquentée de leur mémoire, comme une petite idole exotique au temple à demi écroulé.

Pierre Jourde, Pays perdu, L’Esprit des Péninsules, p. 75.

David Farreny, 16 mai 2004
chat

Crab ne pourrait pas avoir de chat. Je suis beaucoup trop indépendant, dit-il.

Éric Chevillard, Un fantôme, Minuit, p. 119.

David Farreny, 3 mars 2008
inconnus

La simple présence proche suffit amplement.

Étant gravement atteint de crise d’étouffement, j’en louai moi-même une sur les indications de mon conseiller. Son épaule et la naissance de sa poitrine exquise, voilà la zone touchée qui me fit le plus grand bien, et le plus prompt.

Cette fille simple et d’un charme qui allait loin ne fit durant le traitement que lacer et délacer une jambière, mais très modestement.

Elle me regardait de temps à autre, puis sa jambe, ne disant rien, et ses sentiments me demeurèrent inconnus.

Henri Michaux, « Ailleurs », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 95.

David Farreny, 4 mars 2008
instituteur

L’histoire de la tragédie de la demi-instruction n’est pas encore écrite. Il me semble que la biographie d’un instituteur de village peut de nos jours devenir un livre de chevet, comme autrefois Werther.

Ossip Mandelstam, « Achtarak », Voyage en Arménie, L’Âge d’Homme, p. 77.

Guillaume Colnot, 2 juin 2009
obstacle

Aller à la fenêtre. (Ne pas presser le front contre la vitre ; ça se fait à la rigueur dans ces romans de pacotille où l’on s’agite beaucoup ; en vérité le radiateur y fait obstacle, ou aussi la longue et étroite tablette carrelée ; et d’ailleurs la susdite partie de votre anatomie rougit sous la pression et se salit, c’est tout ce qu’on obtient).

Arno Schmidt, « Sortie scolaire », Histoires, Tristram, p. 131.

Cécile Carret, 2 déc. 2009
voix

Juste à ce moment-là, un sifflement fusa, puis un autre encore. On avait l’impression qu’ils naissaient très très loin, puis qu’ils fondaient sur nous comme une locomotive emballée : la terre trembla, un instant les travées de béton du plafond vibrèrent comme si elles étaient en caoutchouc, et enfin ce furent deux explosions, suivies d’une pluie de gravats et, en nous, ce délicieux relâchement qui succède au spasme. Valerio s’était traîné dans un coin et, le visage enfoui dans son coude comme pour se protéger d’une gifle, priait à voix basse.

À nouveau, un sifflement monstrueux jaillit. Les nouvelles générations occidentales ne connaissent pas ces sifflements si caractéristiques : ils n’étaient certainement pas fortuits, il faut que quelqu’un les ait voulus ainsi, pour donner aux bombes une voix qui exprime toute leur soif et leur menace. Je me laissai rouler au bas des sacs, contre le mur : ce fut l’explosion, toute proche, presque physique, puis le souffle puissant de déplacement d’air.

Primo Levi, « Capaneo », Lilith, Liana Levi, p. 11.

Cécile Carret, 21 mars 2010
polyvalent

Aujourd’hui l’artiste polyvalent se charge aussi bien de l’œuvre que de son commentaire… Mais me direz-vous la décence ? Eh oui, la décence…

Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 91.

David Farreny, 27 juin 2010
pituita

Un oiseau invisible pituita quelque part entre les herbes et les stratus, il y eut quelques souffles d’un vent âpre, puis tout se tut et, au bout d’un moment, le soleil apparut, et ensuite il se leva.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 69.

Cécile Carret, 4 sept. 2010
confusion

Je ne savais plus si j’étais Will Scheidmann ou Maria Clementi, je disais je au hasard, j’ignorais qui parlait en moi et quelles intelligences m’avaient conçue ou m’examinaient. Je ne savais pas si j’étais mort ou si j’étais morte ou si j’allais mourir. Je pensais à tous les animaux décédés avant moi et aux humains disparus et je me demandais devant qui je pourrais un jour réciter Des anges mineurs. Pour ajouter à la confusion, je ne voyais pas ce qui s’ouvrirait derrière le titre : un romånce étrange ou simplement une liasse de quarante-neuf narrats étranges.

Et soudain, j’étais comme les vieilles, ahurie par l’interminable. Je ne savais pas comment mourir et, au lieu de parler, je bougeais les doigts dans les ténèbres. Je n’entendais plus rien. Et j’écoutais.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 201.

Cécile Carret, 3 oct. 2010
redire

Une vie, nous en sommes vite convenus, mais ce n’était pas une découverte, ça tient en quelques mots ; il n’y a, somme toute, pas grand-chose à en dire. Ce qui prend du temps, en revanche, et là-dessus nous étions aussi tous les deux d’accord, ce sont les hésitations à propos du présent et de l’avenir proche, qui ne cessent de se dire et de se redire sous une forme ou sous une autre.

Marc Augé, Journal d’un S.D.F. Ethnofiction, Seuil, p. 96.

Cécile Carret, 27 fév. 2011
foi

Lire comportait un travail sourd, spécial, hasardeux, souvent infructueux, visant à corriger cette déformation prismatique. Il fallait sans cesse déplacer l’accent. Ce que, spontanément, nous jugions significatif, bon, important, réel ne possédait aucune de ces qualités sur la page. À l’exception de travaux savants, d’un traité de géologie, en deux volumes, dont je reparlerai, les livres que je consultais à la bibliothèque municipale renvoyaient invariablement à des faits, des gens, des endroits dont nous n’avions nulle expérience et dont l’existence, par suite, présupposait de notre part un acte de foi. Il fallait d’abord se persuader que les caractères imprimés se rapportaient à quelque chose d’effectif. L’opération était relativement aisée lorsqu’il s’agissait d’ouvrages didactiques. Pour étranges, incroyables, parfois, qu’aient pu paraître des personnages, des événements, des animaux, des machines, ils ne faisaient qu’ajouter de l’ampleur, de grands gestes, des phrases superbes, des crocs, des couleurs, des chevaux-vapeur à la version simplette qui traînait dans les parages. Mais les récits d’imagination me jetaient dans un extrême embarras.

Pierre Bergounioux, Géologies, Galilée, pp. 18-19.

David Farreny, 7 juin 2013
place

Le bonheur d’une journée entière à naviguer sur mes pages, tout seul dans l’appartement. L’horreur de les entendre rentrer, bruyants, pleins d’assurance, comme s’ils étaient vraiment à leur place ici.

Philippe Muray, « 14 janvier 1989 », Ultima necat (III), Les Belles Lettres, p. 28.

David Farreny, 29 fév. 2024
lâche

Nul ne serait donc suffisamment lâche pour ne jamais mourir ?

Éric Chevillard, « samedi 30 mars 2024 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 13 avr. 2024

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