présent

Les promenades dans une ville souffrent de cette imperfection que Proust attribue au présent.

Michel Besnier, Cherbourg, Champ Vallon, p. 11.

David Farreny, 23 mars 2002
gens

« Moi j’aime les gens », écrit-il par exemple. Ou pire encore : « J’ai un gros défaut, mais qu’est-ce que vous voulez je n’arrive pas à m’en débarrasser : c’est plus fort que moi, il faut toujours que j’aime les gens. »

Je ne sais trop, pour ma part, si j’aime beaucoup « les gens », mais ce sentiment-là et son expression me paraissent tellement obscènes que j’hésiterais à les consigner, de toute façon, quand bien même ce serait au plus intime de mon journal intime.

Renaud Camus, Du sens, P.O.L., p. 40.

David Farreny, 27 avr. 2002
éducation

« Nous savons bien que ceux que nous chargeons d’éduquer nos enfants n’ont, pour la plupart, pas reçu d’éducation eux-mêmes. Et nous n’ignorons pas qu’ils ne peuvent transmettre ce qu’ils n’ont jamais appris et qui ne peut s’acquérir d’une autre manière. » Ainsi s’exprimait Leopardi il y a presque deux siècles. Il eut la prudence d’attendre d’être mort pour faire connaître au public de si beaux sentiments.

Renaud Camus, Du sens, P.O.L., p. 300.

David Farreny, 19 mai 2002
hériter

Qui veut la mort de ces malheureux artistes que rien ne parvient plus à faire sortir de la misère, hormis le plus froid des monstres froids d’aujourd’hui, l’État, dont le soutien culturel a été l’un des spectacles les plus obscènes qu’il y ait eu à subir depuis une vingtaine d’années ? Personne. Et on souhaite encore moins leur martyre. On désirerait seulement qu’ils cessent de se dire artistes, comme avaient pu l’être Michel-Ange, Degas ou Giotto durant la période historique ; et qu’ils arrêtent de s’affirmer leurs héritiers (on connaît le couplet habituel de ces maîtres-chanteurs : « Ceux qui crachent sur mon œuvre sont les descendants de ceux qui crachaient sur Manet »). Pour désigner leurs activités dans l’espace Art, on ne saurait trop leur conseiller de trouver des mots nouveaux. L’inimitable style dans lequel ont été proposés les « emplois jeunes » de Martine Aubry pourrait les inspirer : on les verrait assez bien s’intitulant agents d’ambiance symbolique, coordinateurs-peinture ou médiateurs plasticiens. Mais la vérité est qu’ils n’entrent en art que comme on entrait en religion jadis : parce qu’on n’avait aucun espoir d’hériter de qui que ce soit. Le dépeuplement des campagnes, puis la montée du chômage, sont les causes prosaïquement désolantes et sociologiques de cette inflation d’artistes, après-guerre, tout enfiévrés de leur apostolat poético-magique venu de nulle part et transfiguré en mission créatrice. Encore les fameuses « Trente Glorieuses », où il y avait du travail pour presque tout le monde, nous ont-elles sans doute épargné quelques vocations artistiques supplémentaires, heureusement détournées en leur temps vers des professions plus honnêtes. Cette époque, hélas, est bien terminée. Sur le terreau de l’ « exclusion » et du chômage galopant, les artistes prolifèrent ; et ils se nourrissent en circuit fermé de toute cette misère dont ils sont les parasites.

Se sachant sans justification, ils tentent de se légitimer en affichant une bonté, une compassion, un dévouement aux intérêts des plus démunis par lesquels ils tentent de désarmer une hostilité qui grandit. C’est toujours quand on sort de l’Histoire qu’on invoque la morale, par laquelle on espère encore donner au présent une apparence d’éternité.

Philippe Muray, Après l’histoire, Les Belles Lettres, pp. 77-78.

David Farreny, 19 janv. 2008
manières

17. Choses détestables

[…] Des gens de cette sorte, quand ils arrivent chez quelqu’un, balaient d’abord, avec leur éventail, la poussière de l’endroit où ils vont s’asseoir ; puis ils ne se tiennent pas tranquilles à leur place, ils s’étalent, prennent leurs aises, et ramènent sous leurs genoux le devant de leur vêtement de chasse. On pourrait croire que de telles manières se rencontrent seulement chez des personnes négligeables ; mais j’ai connu des gens d’une assez bonne condition, comme un « troisième fonctionnaire » du Protocole, dignitaire du cinquième rang, un ancien gouverneur de Suruga, qui se conduisaient pareillement. De même, c’est un spectacle extrêmement détestable que celui de gens qui, après avoir bu du vin de riz, crient fort, s’essuient la bouche d’une main hésitante, caressent leur barbe s’ils en ont une, et passent leur coupe à d’autres. Sans doute s’encouragent-ils mutuellement à boire ? Ils frissonnent, branlent la tête, font la moue, et chantent des chansons comme celle de « La jeune fille qui vint aux bureaux de l’administration provinciale ». Tout cela, je l’ai vu chez des gens très bien, et je trouve que c’est répugnant.

Sei Shônagon, Notes de chevet, Gallimard, pp. 53-54.

David Farreny, 11 mai 2010
opprime

Durant l’enfance, quand aucune impression ni émotion n’est encore devenue ordinaire, l’été, avec les déplacements qu’il amène, les profonds changements dans les habitudes de la journée, les fréquentes solitudes et les isolements qu’il impose, avec, à pic au-dessus de la maison, les hauts silences écrasants ou dehors, dans la campagne, ce bourdonnement infini et ce lointain bruissement, suscite dans le cœur un égarement pareil à une blessure. L’enfant sent qu’est en train de passer sur la terre quelque chose d’énorme, d’impérieux et de vague qui, dans les hommes, les animaux et les plantes, opprime et charme la vie.

Mario Luzi, « Été, enfance », Trames, Verdier, p. 27.

David Farreny, 26 fév. 2013
chaleur

Nous avions coutume alors de fermer les volets et de lire à la lumière d’une lampe des feuilles jaunies et des papiers qui nous avaient accompagnés dans maints voyages. Nous reprenions aussi de vieilles lettres, et ouvrions, afin d’y puiser courage, les livres éprouvés, où des cœurs depuis bien des siècles tombés en poussière nous dispensent leur chaleur.

Ernst Jünger, Sur les falaises de marbre, Gallimard, p. 88.

Cécile Carret, 27 août 2013
que

Que va faire ce petit chemin dans la forêt ?

Éric Chevillard, « dimanche 16 mars 2014 », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 19 mars 2014
archipel

Très simple à expliquer, le paysage, en dépit de la diversité de ses aspects. Le puissant massif qui couvre la Norvège septentrionale s’élève à peu près partout à pic au-dessus de l’océan, en falaises gigantesques, précédé d’îles montueuses pareilles à des blocs détachés de l’énorme édifice continental. De Throndhjem au cap Nord le vapeur longe la base de cette formidable muraille. À droite c’est un entassement de pics et d’escarpements fantastiques ; à gauche, un archipel infini, dissimulant presque complètement la vue de l’océan ; à peine de loin en loin, par l’entrebâillement d’un chenal, un bout de mer bleue apparaît-il dans un horizon vague de mirage. Entre Throndhjem et Bodö, le skjœrgaard atteint son plus grand développement, composé de centaines et même de milliers de rochers essaimés jusqu’à 50 kilomètres au large. Derrière cette épaisse digue la nappe des fjords reste calme ; pas la plus légère houle, pas la moindre risée à la surface de l’eau.

Toutes ces pierres sont polies, comme passées à la meule ; toutes ces montagnes grattées et émoussées ; des îlots très bas ont l’aspect d’œufs flottant à la surface de la mer. L’énorme coupole de glace qui a recouvert le Nord scandinave durant la période quaternaire a étendu sur l’archipel son épais revêtement cristallin. La lente friction des glaciers a poli les cimes, érodé les aspérités, strié les monticules, et à travers les siècles ce faciès singulier s’est maintenu intact.

Charles Rabot, Au cap Nord. Aux fjords de Norvège et aux forêts de Suède, Hachette.

David Farreny, 15 juil. 2014
aubergiste

Les gens se trompent quand ils croient qu’ils mettent au monde des enfants. Ils accouchent d’un aubergiste ou d’un criminel de guerre suant, affreux, avec du ventre, c’est celui-là qu’ils font naître, pas des enfants. Alors les gens disent qu’ils vont avoir un petit poupon, mais en réalité ils ont un octogénaire qui pisse de l’eau partout, qui pue et qui est aveugle et qui boite et que la goutte empêche de bouger, c’est celui-là qu’ils mettent au monde. Mais celui-là, ils ne le voient pas, afin que la nature puisse se perpétuer et que le même merdier se poursuive à l’infini.

Thomas Bernhard.

David Farreny, 9 déc. 2014
trottinette

Que fait ce galopin sur une trottinette ?

Éric Chevillard, « vendredi 15 janvier 2016 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 7 mars 2016

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