stabilisatrice

Je comprends qu’adoptant une bonne mienne habitude, renverse-monde, mais très stabilisatrice, vous passez la moitié de votre vie au lit.

Henri Michaux, « lettre à Claude Cahun (avril 1952) », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. XXIX.

David Farreny, 14 avr. 2002
ailleurs

J’espère recouvrer ici la paix de l’esprit, — peut-être même accéder à des qualités plus hautes. Je ne sais encore d’où viendra le salut, mais j’irai jusqu’au bout de mon effort, jusqu’aux limites de mon appel ; je ne renoncerai pas.

Et, d’abord, il me faudra apprendre à échapper au pouvoir effrayant des choses. Car je n’ai pas choisi ces coïncidences : mais le fait est que dans mon voisinage, sur trois points différents, se trouvent un cimetière, une prison et une maison de fous. Trois avenues divergentes, de proportions presque grandioses, partent de la place située sous ma fenêtre, et descendent, entre des rangées de marronniers, vers ces trois métropoles de la mort, du crime et de la folie.

Il est vrai, cela fait qu’on respire ici beaucoup plus d’air qu’on n’en respire ailleurs.

Paul Gadenne, La rue profonde, Le Dilettante, p. 199.

Guillaume Colnot, 20 mars 2003
maître

Les buissons d’un minuscule jardin sont devenus si hauts et si touffus qu’on peut à peine se glisser jusqu’au croisement des deux courtes allées. Un escalier aux marches descellées descend vers une pièce d’eau couverte de morènes. Noirceur du labyrinthe de poche, longues ombres des deux vieux cyprès, soleil pâle — je n’aime rien tant que ces maisons abandonnées et leurs jardins solitaires, dont je suis le maître par amour, par attention, par absence au monde, le temps d’un allongement sur la murette. Même les chiens paraissent entendre des voix éteintes, et les rires d’enfants morts. Ils s’avancent sur la pointe des pattes, comme si à tout instant quelqu’un allait pousser les volets et s’étonner de leur présence, et de la mienne.

Mais non, nous sommes bien seuls.

Renaud Camus, « mardi 10 février 1998 », Hommage au carré. Journal 1998, Fayard, p. 69.

David Farreny, 22 fév. 2004
arsouilles

Déjeuné de tomates, de sardines, de vaches qui rit, de raisin sur les hauteurs d’un pré. Des maçons arsouilles allongés à côté d’une villa qu’ils bâtissaient ont appelé des étudiantes qui partaient en promenade à une heure de l’après-midi. Les maçons ont échoué, le chant tenace d’un oiseau invisible a buté l’hymen des jeunes filles qui s’éloignaient en se donnant la main.

Violette Leduc, Trésors à prendre, Gallimard, p. 138.

Cécile Carret, 11 mars 2007
vertu

Au retour, nous retrouvions notre baraque chauffée à blanc par le soleil de la journée. En poussant la porte, nous retouchions terre. Le silence, l’espace, peu d’objets et qui nous tenaient tous à cœur. La vertu d’un voyage, c’est de purger la vie avant de la garnir.

Nicolas Bouvier, L’usage du monde, Payot & Rivages, p. 30.

Cécile Carret, 30 août 2007
conduite

— On frappe. Il n’ouvre pas. On bousille sa porte. On entre. On fouille partout. On s’explique pas.

— On dit rien. Rien.

— Ou bien on frappe, il ouvre, on lui demande une fois où est le fric, il le donne, on repart.

— Il le donne pas. On le massacre. Il le donne. On repart.

Pétapernal fit une moue. Mandex la modéra, dit en tout cas, on s’explique pas.

Ils n’avaient pas envie de se répéter ni de développer les faits que Papantoniou connaissait parfaitement. Pas les prendre pour des idiots. Ils avaient, de concert, défini une ligne de conduite qui se résumait à être bien dans toutes les situations. Faut qu’on soit bien. Quand ils se répétaient être bien, la tranche de leur main fendait l’air pour partager des plans de symétrie, bloquer des faits en volumes. Ne se chevauchaient que les projets. La peau, également, de leur front, se tendait. L’absence de rides épousait le rivage d’un bien souhaité. Le visage lisse, déserté de soucis, Mandex enfonça le bouton de sonnette d’un index net. Bien, oui, voilà. On fait ça, on appuie sur le bouton de sonnette, on n’est pas autre part. on n’hésite pas. on ne s’en parle pas. on ne se dit pas je fais ci, je fais ça, on le fait. Oui.

Alain Sevestre, Les tristes, Gallimard, p. 54.

Cécile Carret, 9 déc. 2009
meublaient

Ils avaient toujours adoré organiser des réunions, avec ou sans Cayel. Il y avait un début, on s’y mettait, les participants arrivaient au compte-gouttes, meublaient. On parlait d’autre chose en attendant les retardataires. Les rôles s’inversant de la connaissance spécifique qu’on avait de l’angle d’une affaire, chacun pouvait prendre la parole. Certains brillaient d’une éloquence inattendue, leur sujet les motivant. D’autres s’écoutaient parler, une fesse au bord du bureau, allant même jusqu’à marcher de long en large. Il y avait parfois débat. Quelqu’un cochait un bloc à mesure que les obstacles d’un problème se levaient. Le bureau s’animait de l’impression de maîtriser des problèmes. Des discussions pouvaient traîner jusqu’au déjeuner, pris ensemble. Car la faim venait en même temps, preuve d’une collaboration sinon d’une concordance. Quelqu’un disait : « Bon, allons déjeuner » ou mieux « Et si on allait déjeuner » ou mieux encore « Et si on allait en parler à table », des phrases qu’ils attendaient, qui faisaient plaisir, et la sensation d’avoir avancé, de connaître un appétit sain, de se nourrir pour une bonne cause. Pour ces réunions où jamais ils ne furent plus de quatre, ils détachaient les chaises des bureaux, les disposaient devant un tableau de papier et là, se suivant, alternant, ils prenaient la parole, le gros feutre, exposaient, concrétisaient noir sur blanc les grandes lignes de ce que serait le travail des prochains jours, des plans avec des configurations inintelligibles pour qui arriverait maintenant, des flèches aussi, ils aimaient bien, et des schémas, des sigles, des chiffres qu’ils totalisaient. Veste ôtée, en bras de chemise, l’été.

Alain Sevestre, Les tristes, Gallimard, p. 167.

Cécile Carret, 10 déc. 2009
illusions

Au cours de la route mon compagnon B. me prône une décevante philosophie de l’immobilité, de l’indifférence et de l’échec ; il est intéressant et je le crois absolument sincère. Il prétend que j’ai des illusions, c’est bien le cas. J’en ai beaucoup qui n’attendent que moi pour les rendre réelles ; je crains pour lui qu’il n’ait renoncé aux siennes un peu trop tôt. Il prétend que la joie n’existe pas. Je lui accorde qu’elle est disparue quand on croit la tenir, mais comme la contrebasse d’un orchestre on la devine quand elle nous manque.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 35.

Cécile Carret, 17 juin 2012
férié

Toute chose a son côté ouvrable et son côté férié.

Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 309.

David Farreny, 20 fév. 2015
saisir

Ces jours de rien, sans rien, sans signes particuliers, et d’ailleurs sans signes du tout, ces jours traînés, oscillants, nuls, si nombreux – peut-être que c’est d’eux qu’il faudrait partir pour saisir le fil rouge, mais d’un rouge pâli, éteint, qui tient tout ensemble : tout, non pas l’édifice (quel édifice ?), mais les feux lointains et les feux rapprochés, les élans et les retombées, le cœur de la fabrique et les copeaux errants, la pensée : là où elle n’a pas d’air ni d’allure, là où elle est stoppée, rongée, négative, incapable de parvenir jusqu’à une aire qui ne serait pas celle des bribes, des commencements et des repentirs mais celle d’une sorte – oui – d’envol, de vol plané…

Jean-Christophe Bailly, Tuiles détachées, Mercure de France, p. 7.

Cécile Carret, 27 mars 2015

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