prémonition

Qu’est-ce que le passé, sinon une intense prémonition de l’inévitable ?

Geoff Dyer, La couleur du souvenir, Joëlle Losfeld, p. 207.

David Farreny, 23 mars 2002
attendre

Que faire ? Rien. Attendre. Ne pas mentir. Ne pas trop parler non plus, quand on ne nous demande rien. Pas de cachotteries, pas d’exhibitionnisme.

Renaud Camus, Aguets. Journal 1988, P.O.L., p. 253.

Élisabeth Mazeron, 19 août 2005
moment

Je songe qu’il est juste et bon que ce soit à Jean que le sort ait fait cette faveur. Il manquerait à ses jeunes années ces bonheurs inattendus, énormes, immérités qui nous semblent, non seulement dans l’instant mais plus tard, lorsqu’on s’est rangé à la triste loi des jours et qu’on se les rappelle, à peine croyables. Que le premier geste aille comme négligemment au but alors que deux heures d’efforts opiniâtres ne m’ont rien livré, voilà qui trahit l’intervention d’un esprit bienveillant, du dieu bénin, munificent qui marche aux côtés des petits enfants. À moi aussi, il a fait quelques largesses invraisemblables, quand ce fut le moment.

Pierre Bergounioux, « jeudi 31 mars 1983 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 195.

Élisabeth Mazeron, 28 sept. 2008
couler

Le spectacle des passants me fait douter que la vie n’est qu’urgence, tension permanente de toutes les forces, fatigues, désespoirs. J’aimerais aller d’un pas tranquille par les rues, l’esprit en repos. Mais il y a trop longtemps que j’ai perdu ce droit et presque tous les autres. C’est à la table de travail, à peiner, interminablement, que je trouve une sorte de paix. J’aimerais comprendre un peu ce qui s’est passé avant de couler à pic.

Pierre Bergounioux, « mercredi 20 avril 1983 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 200.

Élisabeth Mazeron, 28 sept. 2008
défendre

Lectures : le fond des miennes, ces temps-ci, ce sont les présocratiques, toujours. Je dévale Xénophane, je gravis Héraclite avec des sandales ailées, je m’allonge en Épicharme, hume Alcméon, frôle Iccos, Paron, Aminias, feinte Euphranor et contemple ébloui Parménide, avant que d’affronter le cruel Zénon, Zénon d’Élée. Interminable est le voyage, à travers les petits caractères et les italiques du texte de la Pléiade, d’autant que toutes les trois lignes se proposent ces chemins de traverse, les notes, sans compter l’ensorceleur index des irrésistibles doxographes. Qui saurait se défendre efficacement contre Porphyre, contre Posidonius d’Apamée, contre Favorinus d’Arélate (c’est-à-dire d’Arles), « le plus ancien philosophe gaulois, platonicien puis sceptique » ? Not me, that’s for sure. Bacchios de Tanagra me trouve ville ouverte. Chaméléon d’Héraclée, qu’Athénée de Naucratis (à ne surtout pas confondre avec Athénée le Mécanicien, le plus sexy, forcément) s’obstine à citer sous le nom de Chaméléon du Pont, me fait rendre les armes, pâmé, tandis que Terpandre et saint Fulgence le disputent en ma haute mais capricieuse faveur à Rufus d’Éphèse et à Tertullien. Pour le fond, s’il y en a un, je ne suis pas sûr d’y comprendre grand-chose. Est-ce de science, qu’il s’agit ? Mais pourquoi se donner le souci de tâcher de saisir ce que sont les théories astronomiques, cosmologiques, physiques ou médicales des uns et des autres, puisque non seulement elles sont fausses, archi-fausses, pour la plupart, mais elles paraissent, même, tout à fait gratuites ? Pour Thalès le principe de toute chose est l’eau, pour Anaximène c’est l’air, pour Xénophane de Colophon c’est la terre, pour Héraclite c’est le feu. Pour Anaximandre, c’est l’Illimité. So what ? Que nous enseignent ces doctrines ravagées, sinon leur propre errance, leur suffisance parfois, leur cocasserie bien souvent ? Relèvent-elles de la philosophie ? C’est à craindre.

Renaud Camus, « mercredi 24 août 1988 », Aguets. Journal 1988, P.O.L., p. 248.

David Farreny, 21 août 2011
opposer

Il y avait bien un village, tout près, jusqu’où il m’eût amusé de pousser, surtout à cause de son nom, Aureille, mais j’ai eu peur d’être déçu. En même temps, je n’attendais rien de spécial de quoi que ce soit, et, si j’évoque ici la crainte que je pouvais nourrir une déception, ce n’était pas réellement par rapport à un enjeu. Je n’attendais rien en vérité d’un village comme Aureille. Ce que je veux dire, c’est que si j’avais été dans un état normal, légèrement porté par la vie, par exemple, j’en aurais probablement attendu quelque chose, et c’est par rapport à ce quelque chose en soi que j’avais peur d’être déçu. Pas pour moi, donc, ni pour Aureille. Mais pour ce que cette déception, objective, en somme, aurait signifié de négatif et, partant, d’inutilement noir, comme une preuve de refus que peut opposer le monde. Je ne voulais pas être, non la victime, mais le témoin de ça. Je suis donc rentré.

Christian Oster, Rouler, L’Olivier, p. 134.

Cécile Carret, 30 sept. 2011
petitesse

Arsène, du plus haut de son esprit, contemple les hommes ; et dans l’éloignement d’où il les voit, il est comme effrayé de leur petitesse. Loué, exalté, et porté jusqu’aux cieux par de certaines gens qui se sont promis de s’admirer réciproquement, il croit, avec quelque mérite qu’il a, posséder tout celui qu’on peut avoir, et qu’il n’aura jamais […].

Jean de La Bruyère, « Les caractères ou les mœurs de ce siècle », Œuvres complètes (1), Henri Plon, p. 211.

Guillaume Colnot, 27 fév. 2013
sortis

J’observais les couples qui tournaient avec tant de sérieux, d’attention, de sûreté sur le parquet de danse avec un frisson d’étonnement, de respect même, comme s’il s’agissait de la vénération d’un mystère. Cette jeune femme qui se mouvait avec tant de dignité était pourtant bien la même qui autrefois sautait, sur une seule jambe, par-dessus les limites, tracées à la craie, du ciel et de l’enfer ? Et il n’y avait pas longtemps que celle qui, à pas mesurés, soulevant légèrement sa robe, gravissait les marches de l’estrade nous avait, dans un pâturage, montré son sexe d’enfant sans poils ! Avec quelle rapidité ils étaient sortis des enfantillages et me regardaient littéralement de haut en bas !

Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 41.

Cécile Carret, 3 août 2013
signifierait

Monsieur Songe dit sans y penser je n’ai jamais eu tant de peine à n’en avoir aucune. Et puis il se demande ce que ça veut dire. Il pense que la bête a perdu de son poil et qu’il éprouve moins qu’autrefois le besoin de lui en reprendre. Ce qui signifierait à première vue résignation et probablement déclin. À seconde, sagesse mais il faut bien peser ce mot-là. Il finit par opter pour le mot paresse qui soudain lui paraît d’un juste…

Robert Pinget, Monsieur Songe, Minuit, p. 65.

Cécile Carret, 7 déc. 2013
birbes

Mes exacts contemporains me font l’effet de birbes décatis, j’observe leurs visages détruits en protégeant le mien d’une éventuelle contamination sous un masque fripé que je ne retire plus et dont les plis de plus en plus marqués me prouvent que j’ai raison de prendre ces précautions : voici donc comment se flétriraient mes joues fraîches si je les exposais à ces atmosphères et contacts délétères.

Mes sourcils sont restés noirs et bien plantés. Je m’en coiffe. Raie au milieu. Ma tête d’enfant.

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 79.

Cécile Carret, 16 fév. 2014

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