expérience

L’expérience, c’est se rendre compte que rien n’a changé.

Georges Perros, Papiers collés (2), Gallimard, p. 71.

David Farreny, 21 mars 2002
passages

Étranger, néanmoins, c’est encore une espèce de statut, une épithète pour le voyageur, un label pour ses rapports avec le ciel, les passages cloutés, les fontaines, les visages. À Chamalières, je ne suis même pas étranger. Qu’importe que j’avance, me hâte, coure peut-être, me retourne, lève les yeux, sourie dans le vide ? Je peux bien aller jusqu’à changer de trottoir. Nulle part je ne serai mieux innommable, ni plus rigoureusement inqualifiable ; jamais chose plus transparente, ni corps mieux dépecé.

Renaud Camus, L’élégie de Chamalières, P.O.L., p. 28.

David Farreny, 7 juin 2003
devions

Mais les autres après nous, ceux qui ne savaient pas, ceux qui n’existaient pas encore, ceux-là sans doute nous verraient (si elle voulait bien) tels que, d’une certaine façon, nous étions, nous devions être, l’un près de l’autre, comme si avant même que nous sachions, que nous soyons, il avait été dit quelque part, écrit, que nous serions ensemble, rien que cela.

La micheline est sortie du silence. J’ai regardé le visage jusqu’à ce qu’elle m’emporte parce que je savais bien que, lorsqu’il aurait disparu, ce serait encore comme s’il n’avait pas vraiment existé.

Pierre Bergounioux, La maison rose, Gallimard, p. 144.

Élisabeth Mazeron, 15 sept. 2004
personnage

Le danger, avec nous autres hommes, c’est que, lorsque nous croyons analyser notre caractère, nous créons en réalité de toutes pièces un personnage de roman, auquel nous ne donnons pas même nos véritables inclinations. Nous lui choisissons pour nom le pronom singulier de la première personne, et nous croyons à son existence aussi fermement qu’à la nôtre propre. C’est ainsi que les prétendus romans de Richardson sont en réalité des confessions déguisées, tandis que les Confessions de Rousseau sont un roman déguisé. Les femmes, je crois, ne se dupent pas ainsi.

Valery Larbaud, « Journal intime de A.O. Barnabooth », Œuvres, Gallimard, p. 93.

Élisabeth Mazeron, 14 juin 2006
représentation

Une chose arrive

qu’on n’attendait plus

on l’accueille avec une réserve

bienveillante et cosmique

non sans penser aux désirs de feu

qui parfois nous ont ravagés

et n’ont eu comme les étoiles

qu’une pauvre durée de vie

Je mène deux pages de front

car ce n’est pas la vie qui est belle

c’est sa représentation

Jean-Pierre Georges, Je m’ennuie sur terre, Le Dé bleu, p. 56.

Élisabeth Mazeron, 23 juin 2006
dessous

Examinateur encore ignorant mais beaucoup moins, il questionne. L’esprit du pardon, est-ce qu’il y songe ?

Des femmes qui s’ennuient viennent à lui. Ennui à soulever. Il sait ce qu’il y a dessous.

Henri Michaux, « Textes inédits autour du “Poltergeist” », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1037.

David Farreny, 7 août 2006
tourisme

Le tourisme se détruit lui-même. C’est là la règle générale.

Renaud Camus, Le département de la Lozère, P.O.L., p. 32.

David Farreny, 12 mars 2008
pellicule

D’où le pouvoir de définition attaché à tous ces canaux hollandais. Il y a là, de toute évidence, un complexe eau-marchandise ; c’est l’eau qui fait l’objet, en lui donnant toutes les nuances d’une mobilité paisible, plane pourrait-on dire, liant des réserves, procédant sans à-coups aux échanges, et faisant de la ville un cadastre de biens agiles. Il faut voir les canaux d’un autre petit peintre, Berckheyde, qui n’a peint à peu près que cette circulation égale de la propriété : tout est pour l’objet voie de procession ; tel point de quai est un reposoir de barils, de bois, de bâches ; l’homme n’a qu’à basculer ou hisser, l’espace, bonne bête, fait le reste, il éloigne, rapproche, trie les choses, les distribue, les reprend, semble n’avoir d’autre fin que d’accomplir le projet de mouvement de toutes ces choses, séparées de la matière par la pellicule ferme et huilée de l’usage ; tous les objets sont ici préparés pour la manipulation, ils ont tous le détachement et la densité des fromages hollandais, ronds, préhensibles, vernissés.

Roland Barthes, « Essais critiques », Œuvres complètes (2), Seuil, p. 286.

David Farreny, 12 sept. 2009
détache

Le plus intéressant dans cette histoire, c’étaient les lieux. La campagne est magnifique, en ce moment ; et même cette terrasse de Mauvezin, dans sa paisible insignifiance, son Dasein insinuant, tout de vacance, un dimanche fait espace, du rien fait air… J’imagine que la perversion commence quand les balustrades se mettent à produire plus d’effet sur vous que les corps, les ciels que les visages, les feuillages que les queues… À moins que ce ne soit le grand âge ? Ou bien encore la sagesse, le détachement ? Programme d’une vie : je me détache. Programme d’une mort ?

Renaud Camus, « dimanche 23 août 1998 », Hommage au carré. Journal 1998, Fayard, p. 244.

Élisabeth Mazeron, 28 avr. 2010

J’ignore si les gens, globalement, s’intéressent aux volcans d’Auvergne. S’ils ont à l’esprit qu’il s’agit de volcans, même éteints. Personnellement, je tends à l’oublier. Je m’avançais dans un paysage de petite montagne, avec des mamelons et peu d’à-pics, et j’observais la végétation. À un moment, je suis descendu de voiture et me suis avancé en grimpant vers des bosquets d’épineux. Il n’y avait personne, le sol était pelé, il recommençait à faire chaud. Je me suis dit que tout était quand même très beau, très silencieux, très hostile. Qu’on voyait très loin, trop. Que je ne détestais pas la montagne mais que la question était de savoir ce qu’elle faisait là, et pour qui. Je doutais de tout ça.

Christian Oster, Rouler, L’Olivier, p. 13.

Cécile Carret, 25 sept. 2011
séparé

Travaillé jusqu’à tard. Roulé dans la ville, célibataire, séparé. L’irréalité dont tout est frappé se reconnaît sans mal ; c’est celle de l’attente.

Gérard Pesson, « dimanche 1er octobre 1995 », Cran d’arrêt du beau temps. Journal 1991-1998, Van Dieren, p. 208.

David Farreny, 4 fév. 2014

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