connotation

Celui-ci vous poursuit de son amitié — en toute bonne foi d’ailleurs : ce néant, c’est vraiment l’amitié pour lui. Il fait même des efforts, il vous appelle régulièrement, il vous rend des services, et vous envoie des cartes postales. En vain : aucune intimité ne se crée. Les mots, entre vous, continuent d’habiter tranquillement leur sens, comme ils le font entre des étrangers : aucune connotation.

Renaud Camus, « mardi 13 septembre 1994 », La campagne de France. Journal 1994, Fayard, p. 326.

David Farreny, 20 mars 2002
voyage

De chaque voyage, même très court, je reviens comme d’un sommeil entrecoupé de rêves — une torpeur confuse, toutes mes sensations collées les unes aux autres, saoul de ce que j’ai vu.

Pour connaître le repos, il me manque la santé de l’âme. Pour le mouvement, il me manque quelque chose qui se trouve entre l’âme et le corps ; ce qui se dérobe à moi, ce ne sont pas les gestes, mais l’envie de les faire.

Il m’est arrivé bien souvent de vouloir traverser le fleuve, ces dix minutes qui séparent le Terreiro do Paço de Cacilhas. Et j’ai presque toujours été intimidé par tout ce monde, par moi-même et par mon projet. J’y suis allé quelquefois, toujours oppressé, ne posant réellement le pied sur le sol que sur la terre ferme du retour.

Lorsqu’on ressent trop vivement, le Tage est un Atlantique innombrable, et la rive d’en face un autre continent, voire un autre univers.

Fernando Pessoa, « Autobiographie sans événements », Le livre de l’intranquillité (édition intégrale), Christian Bourgois, p. 147.

Guillaume Colnot, 8 nov. 2002
néant

Quant à la métaphore du jugement de Salomon, elle se résume à peu près à ce choix : ou bien quelque chose, ou quelqu’un, une valeur, un privilège, un bonheur, un jardin, survivent et perdurent dans l’être, mais c’est au profit d’une seule personne ou d’une seule classe, d’une partie seulement d’une société donnée, d’un nombre délimité de personnes (c’est le choix que fait la vraie mère, même si cette solution-là implique qu’elle va perdre l’enfant) ; ou bien ce quelque chose, ou ce quelqu’un, cet enfant, ce privilège, ce bonheur, cette valeur, ce parc, vont faire l’objet d’une répartition générale, entre toutes les parties présentes, tous les membres d’une société donnée — et cela, même si cette répartition générale implique que l’enfant soit tué, la valeur pervertie, le privilège aboli, le bonheur réduit à néant (du moins personne n’en jouira-t-il : c’est le choix de la fausse mère et, à mon avis, de toute la modernité).

Renaud Camus, « vendredi 9 mai 2003 », Rannoch Moor. Journal 2003, Fayard, p. 224.

David Farreny, 30 avr. 2006
confirme

Jadis en Argentine, il m’est arrivé de naviguer sur le haut Parana — fleuve aux méandres largement étalés — accueillant en moi avec un sentiment de tension atroce des paysages que chaque tournant du cours d’eau renouvelait — comme s’ils avaient pu m’affaiblir ou me rendre plus puissant, et ce n’est pas autrement que, durant les longues années de mon travail littéraire, je scrutais du regard le monde, cherchant à savoir si mon Temps me confirme ou au contraire m’abolit.

Witold Gombrowicz, Journal (2), Gallimard, p. 519.

David Farreny, 3 mars 2008
canines

Ô rictus faussement souriants, ô mon amour déçu. Car j’aime, et lorsque je vois en son landau un bébé aimablement m’offrir son sourire édenté, angélique sourire tout en gencives, ô mon chéri, cette tentation de prendre sa mignonne main, de me pencher sur cette main neuve et tendrement la baiser, plusieurs fois la baiser, plusieurs fois la presser contre mes yeux, car il m’émeut et je l’aime, mais aussitôt cette hantise qu’il ne sera pas toujours un doux bébé inoffensif, et qu’en lui dangereusement veille et déjà se prépare un adulte à canines, un velu antisémite, un haïsseur qui ne me sourira plus. Ô pauvres rictus juifs, ô las et résignés haussements d’épaules, petites morts de nos âmes.

Albert Cohen, Ô vous, frères humains, Gallimard, p. 10.

Bilitis Farreny, 22 avr. 2008
culture

Je forcerais à peine ma conviction en écrivant qu’« il n’y a d’histoire que de la noblesse » — et encore pourrait-on remplacer dans cette phrase le mot histoire par le mot culture. La culture, c’est l’histoire de la noblesse des idées, des œuvres, des gestes, des sentiments et des arts ; et c’est aussi, inséparablement, la chronique des ancêtres, et de leurs propres gestes et de leurs sentiments. S’il n’y a plus d’ancêtres, plus de noblesse, plus d’histoire, plus de gestes et de geste, il n’y a plus de culture — à moins, bien entendu, et comme nous le voyons faire parmi nous, d’appeler culture ce qu’il y a.

Renaud Camus, « lundi 30 mai 2005 », Le royaume de Sobrarbe. Journal 2005, Fayard, p. 281.

David Farreny, 17 janv. 2009
pourquoi

Les étoiles, elles aussi, sont des corps lumineux par eux-mêmes, qui ont pour existence seulement l’abstraction physique de la lumière ; la matière abstraite a précisément cette abstraite identité de la lumière pour existence. C’est là cette réalité punctiforme des étoiles, qui consiste, pour elles, à en rester à cette abstraction ; ce n’est pas dignité, mais indigence, que de ne pas passer au concret ; c’est pourquoi il est absurde d’avoir plus de considération pour les étoiles que pour, par exemple, les plantes. Le Soleil n’est pas encore du concret. La piété veut transporter des hommes, des animaux, des plantes sur le Soleil et sur la Lune ; mais seule la planète peut porter de tels êtres. Des natures qui sont allées dans elles-mêmes, de telles figures concrètes qui se conservent pour elles-mêmes face à l’universel, il n’y en a pas encore sur le Soleil ; dans les étoiles, dans le Soleil, il n’y a de présente que de la matière lumineuse. Le lien du Soleil en tant que moment du système solaire et du Soleil en tant que lumineux par lui-même, c’est qu’il a dans les deux cas la même détermination. Dans la mécanique, le Soleil est la corporéité se rapportant seulement à elle-même, et cette détermination est aussi la détermination physique de l’identité de la manifestation abstraite ; et c’est pourquoi le Soleil luit.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel, « Des manières de considérer la nature (additions) », Encyclopédie des sciences philosophiques, II. Philosophie de la nature, Vrin, p. 396.

David Farreny, 28 fév. 2011
phrase

Aimer la littérature, c’est être persuadé qu’il y a toujours une phrase écrite qui nous re-donnera le goût de vivre, si souvent en défaut à écouter les hommes. Soi-même, entre autres.

Georges Perros, Papiers collés (3), Gallimard, p. 50.

David Farreny, 24 mars 2012
air

Il y a bien quelque chose dans les magasins, mais ils ont tous l’air de vendre le même article : de petits paquets mal emballés d’un gros papier triste ; ils ont tous l’air de vendre des clous. Dans la vitrine d’une modiste, posés sur trois piquets, trois petits chapeaux de paille, rose, vert, bleu, tragiquement démodés, attendent et s’empoussièrent tout doucement.

Qui donc en voudrait ?

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 44.

Cécile Carret, 18 juin 2012
ancêtre

Mais peut-être est-ce là aussi l’apparence – l’apparition : avec un ancêtre en moi, je ne suis plus au singulier ; je me tiens plus droit, j’ai une autre attitude ; je fais et j’évite, je dis et je tais ce qu’il faut faire et éviter, dire et taire en cas de danger.

Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 148.

Cécile Carret, 11 sept. 2013
équidistant

L’œil équidistant de la lune quand on se déplace.

Emmanuelle Guattari, Ciels de Loire, Mercure de France, p. 103.

Cécile Carret, 23 sept. 2013
religiosité

Religiosité contemporaine monstrueuse. Pourquoi ? Parce que plus personne, à moins d’être fou à lier, ne croit plus à la résurrection des corps ou à la vie éternelle. L’ennui, c’est que ce soit la seule croyance qui ait disparu. Tout le reste est intact, toute la religion est intacte. Or, c’était la seule croyance qui, parce qu’elle était réellement folle, justifiait la folie religieuse.

Philippe Muray, « 13 janvier 1991 », Ultima necat (III), Les Belles Lettres, p. 409.

David Farreny, 23 fév. 2024

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